L'Art de la séduction
Février 2010, Paris
— La synergologie est une science quasi exacte, j'ai lu quelques ouvrages de Philippe Turchet et j'ai particulièrement aimé Les codes inconscients de la séduction. Si vous vouliez le savoir, c'est une pépite d'or. Grâce à l'enseignement de cet ouvrage, j'arrive à percevoir ce que désire ou veut Bastien.
— Aurais-tu trouvé les codes secrets de la séduction, Charlie ?
— Non ! Mais, mieux encore ! Je remarque quand on me ment, quand une personne s'ennuie, rien qu'avec le non-verbal. Je suis capable de décoder ce qu'une personne a envie de me dire, sans qu'elle ne prononce le moindre mot. Beaucoup hésite par peur ou par honte. Et je ne me trompe que rarement.
— Et tu y arrives uniquement en lisant ce livre ?
— J'ai bonne mémoire... Quand ça m'intéresse.
Lauren et moi partons dans un fou rire.
En terrasse sur la Place Dauphine, en plein hiver à treize heures, nous buvons un thé pour moi et un café noisette pour Lauren. L'Anglaise sait se mettre à la mode parisienne. En posant sa tasse, elle observe la place et m'annonce :
— En 1660, il y avait un cheval de bronze... enfin, une statue équestre d'Henri IV. Elle fut détruite sous la Révolution. En entrant dans la Place Dauphine, on voyait d'un côté et d'autre le pourtour de l'amphithéâtre comme aujourd'hui, aboutissant au portique et à la pyramide où prônait l'effigie.
— Mais la statue y est toujours ?
— C'est la première description que l'on a faite de la Place Dauphine, après le traité des Pyrénées entre la France et l'Espagne. À chaque pilier du portique, on retrouvait un élément symbolique : le feu et l'eau d'une part puis la terre et l'air de l'autre. Ils étaient positionnés de manière à ce que les éléments opposés se rejoignent en signe de paix. Autour du feu et de l'eau, les armes de la France et de l'Espagne étaient rassemblées avec cette devise : « le sort sera commun entre ces deux puissances ». Enfin, deux cœurs enlacés faisaient le lien entre la terre et l'air avec cette devise « Jamais le sacré nœud n'a joint des cœurs plus nobles ».
— Pourquoi me dites-vous cela ?
— Pour que tu t'en souviennes.
— À quel moment ?
— Quand il te reviendra en mémoire, au moment opportun.
Je la sonde longuement, mais la synergologie ne marche pas chez elle.
— Alors, comme ça tu arrives à faire ce que tu veux de ton petit ami ? demande-t-elle en prenant un biscuit.
— Non, je ne suis pas une experte en séduction non plus. J'ai beaucoup à apprendre et j'ai toujours peur qu'il remarque que je le drague.
— Déjà, il est tout à fait normal de draguer son copain ou son mari. Rien n'est acquis, d'accord ?
— Vous le faites avec votre époux ?
— Je suis bien obligé, c'est un homme qui peut se lasser rapidement. Il n'est pas du genre jaloux et... il a été très vagabond à une époque... où je n'étais pas avec lui évidemment.
Gênée, je baisse la tête et prends une lampée de mon thé au citron.
Elle s'éclaircit la voix :
— Pour aborder un homme, il faut feinter sa présence sans pourtant le quitter des yeux. Dis-toi que si tu lui as plu, soit il fera le premier pas, soit tu devras te faire remarquer de la façon la plus spontanée qu'il soit. Sans que ça n'en fasse trop, classe et distinction. Être dans un cercle restreint, une tenue, une manière de se positionner ou de faire parler ton corps. C'est un art, la séduction.
— C'est un cours que vous me faites, Mrs Smith ?
— Non, un apprentissage qu'une femme devrait concevoir.
— J'écoute attentivement.
— Quand l'attention de la personne visée est intriguée, sois vague sur ta personnalité et ton caractère. Les hommes aiment percer eux-mêmes à jour les femmes. Crée l'ambiguïté. Montre-toi à la fois dure et tendre, mystique et bonne vivante, naïve et maligne, tout en étant indéfinissable. Tu me suis ?
— Oh que oui !
— Malheureusement, je ne suis pas pour mais, il faut également susciter la jalousie. Que le garçon en question voie que tu es convoitée car, ce que veut autrui, nous le voulons aussi. C'est fâcheux, mais c'est humain.
— Quelle catastrophe !
— Quelqu'un de parfaitement satisfait est impossible à séduire aussi. Fais naître chez ta cible, tensions et frustrations. Rends-la insatisfaite de sa vie routinière, de ce qu'elle est – à savoir une personne banale bien éloignée de ses rêves de jeunesse. Sa fragilité t'offrira la fissure par laquelle tu te présentes comme la solution à ses problèmes. La douleur et l'angoisse sont les meilleurs précurseurs du plaisir. Apprends à créer des besoins que toi seule peut combler.
— Waouh ! Je ne suis pas sûre de pouvoir faire ça un jour.
— Le jour où tu voudras vraiment quelqu'un, instinctivement, ton côté séduction se déclenchera.
Je grimace en m'imaginant jouer les Basic Instinct.
— Important, les hommes aiment que l'on soit envoûté par eux et qu'on partage leur centre d'intérêt. En flattant ainsi leur profond narcissisme, tu leur feras baisser la garde. Fascinés par l'image que tu leur renverras dans ton miroir, ils s'ouvriront à toi. Propose la tentation. Tu dois éveiller tous les désirs endormis chez lui sans qu'il soit capable de les maîtriser.
— Vous pourriez avoir n'importe quel homme !
— Ah, mais je ne voulais pas n'importe qui ! C'est pourquoi il faut aussi savoir à qui on le fait. Qu'il vaille le coup...
— Je vois...
— Trouble-le par le langage de la séduction. Si c'est un homme narcissique, flatte-le, rassure-le... Si c'est un intellect, subjugue-le !
— Un jeu de déduction, par exemple ?
— Désarme-le, ne fais pas de grandes déclarations d'amour tant qu'il ne le fait pas. En général, ça les fait fuir. Une fois prit dans tes filets, fais-toi désirer. Laisse-le mariner, le temps qu'il se rende compte que tu lui manques. Qu'il n'ait qu'une envie, te revoir au plus vite. Feins même la dispute pour l'angoisser, car il sera d'autant plus euphorique quand il te reconquerra.
— C'est barbare.
— Encore une fois, la douleur et le plaisir vont de mèche. Ne sais-tu pas qu'il y a une toute petite barrière entre l'amour et la haine ?
— C'est vrai...
— Si ça ne fonctionne pas. Romps brutalement et rapidement. Si ça continue, il faudra passer à une deuxième séduction.
Annotations