Marie-Madeleine [2/2]
Lorsque le train reprend, James continue à voix basse :
— Il y a une autre théorie. L'évangile selon Matthieu parlerait d'une Sainte Famille réfugiée, qui s'enfuit en Égypte pour éviter que son enfant soit assassiné sur ordre du roi Hérode, inquiet à l'idée que le nouveau-né puisse un jour revendiquer le trône d'Israël. Il fut révélé en songe à Joseph, le « mari de Marie », qu'il devait prendre son épouse et Jésus, et fuir l'Égypte. Je passe les détails de nombreux spécialistes qui considèrent qu'il s'agit d'une mythologie inventée par l'auteur de l'évangile, balaye-t-il de sa main. Enfin bon, dans la tradition issue d'une légende provençale - en vieux français - nous raconte qu'un autre Joseph, Joseph d'Arimarthie, que nous retrouvons dans la légende de la Table Ronde, fut le gardien du Sangraal et que l'enfant sur le bateau était égyptien. Il paraît probable qu'après la crucifixion de Jésus, Marie-Madeleine jugeât nécessaire de fuir vers le plus proche refuge pour le salut de son enfant à naître, en France. Il y a de grandes chances, dans ce cas précis, que l'ami de Jésus, Joseph d'Arimathie, ait été son protecteur.
— Je croyais que tu ne divulguais pas de théories, ou de légendes ? taquiné-je, un sourire en coin.
— Tu as l'air de t'intéresser aux mythes, je t'en offre, me signale-t-il en effleurant mes doigts des siens. Aux Saintes Marie de la Mer, dans le Sud de la France, il existe encore des festivités annuelles, du 23 au 25 mai, autour d'un sanctuaire dédié à Sainte Sarah l'égyptienne, également appelée Sara Kali, la « Reine Noire ».
— La fille de Jésus, confirmé-je. Sara veut dire « princesse » en hébreu. Une jeune fille égyptienne, au nom de « princesse », ça n'est pas du pur hasard.
— Faut-il savoir qu'ils accostèrent, Lazare, Marthe et Marie-Madeleine approximativement, là en 42, avec une petite égyptienne.
— Tu commences à y croire !
— Toute rumeur part d'une base de vérité, c'est l'exagération des hypothèses qui falsifie l'information.
Chacun dans ses pensées, le bruit des rails fait un vacarme assourdissant.
Un nouvel arrêt et un homme entre faisant la manche.
James lui tend deux euros.
— J'ai une question pour toi, lui demandé-je.
— Vas-y je suis toute ouï.
— Quelles sont les architectures masculines ?
— Pardon ?
— Allez ! Répond à ma question.
Il me défie du regard, une lueur taquine dans les yeux.
— Le gratte-ciel et le phare.
— Et féminines ?
— L'amphithéâtre et le château. Pourquoi ?
— C'est comme ça qu'on le reconnaît un érudit d'un misogyne.
— En sachant ceci ?
— N'importe quel homme aurait mis le château dans l'architecture masculine, pensant qu'il est uniquement un symbole de force et de puissance, alors que les douves ajoutent à la métaphore féminine de la protection et de la maternité.
— Alors toi qui es si brillante sur le sujet, se penche-t-il vers moi, si proche que je peux sentir son haleine fraîche. Existe-t-il des architectures à double symbolisme ?
— Facile : le palais et la coupole.
Ses yeux rient et ses rides se forment. Satisfait ?
Nous sommes à la station Abbesses.
— Tu n'es pas allé à ta station ? s'inquiète-t-il en fronçant les sourcils.
— Nous étions dans la conversation et je n'ai pas fait attention, lui réponds-je d'un haussement d'épaules. Ne t'inquiète pas, je vais prendre la ligne 2 à Pigalle. J'ai de la chance, il fait beau, je vais pouvoir profiter du soleil rare.
— Je te raccompagne, insiste-t-il en remettant la bretelle de mon sac.
— Non. Ne te dérange pas.
— J'insiste. Comme ça, on pourra continuer à débattre. C'est très intéressant.
Un élan de bonheur s'empare de moi en le dévisageant. Les traits de son visage sont radieux. Il semble heureux près de moi, à discuter. James veut plus que du sexe et à vrai dire, je le trouve encore plus attirant.
Je souris et pose ma main sur sa joue. Il ferme les yeux, apaisé.
— Tu es beau quand tu es heureux, James.
Et je sors rapidement alors que les portes se referment, sans qu'il n'ait eu le temps de me suivre.
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