L'expertise Botticelli

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Sous les flocons, plus d'une fois, mon scooter risque de s'encastrer dans une voiture. Je grelotte de froid, d'angoisse et de peur, car à chaque virage j'y croise la mort.

Meurtrie et désorientée, les pieds glacés et le corps tremblant, saine et sauve, j'arrive au pied de mon immeuble. La rue déserte ressemble à un tunnel sombre, silencieux et angoissant.

Je me précipite à l'intérieur de mon appartement et fonce droit dans la salle de bain, sans faire grande attention si Iban est rentré de son rendez-vous ou non.

Le jet d'eau chaude réchauffe mon corps sans calmer les soubresauts de celui-ci, épris par la crise d'angoisse, ni par le déchirement de mon cœur ouvert à sang par la culpabilité et le chagrin. Que ça fait mal ! Je ne cesse de pleurer. Je hurle, je tape où je peux, contre le mur, sur moi en m'arrachant quelques cheveux. Par la colère, je glisse et me retrouve accroupie, le souffle coupé par les sanglots saccadés. Il me faut une quinzaine de minutes pour que la crise se calme et que je puisse faire le point sur ces deux dernières années.

Comment ai-je pu tomber à la Galerie Templon et ainsi sur Lauren et Simon ? L'avais-je choisi ? M'avait-elle choisie ? Impossible, c'était un devoir. Elle n'aurait pas pu savoir qui j'étais, ni que j'allais entrer dans son lieu de travail. Pourquoi avais-je été attirée par cette exposition ? Il y en avait des tonnes. Les signes du destin ?

M'avaient-ils conduit droit vers cette experte en symbologie et son étrange étude sur la mémoire ?

Elle m'avait assuré que j'étais dotée d'un don commun avec son mari, James en l'occurrence. Pourtant, je suis persuadée qu'il y avait une autre histoire là-dessous, et pourquoi ne pas avoir mis au courant son époux ? Aurait-il fait le lien entre sa femme et moi ? Impossible. Comment aurait-il compris ? Il lit les symboles, il n'est pas mentaliste ni médium. Pourquoi m'avoir mis dans la confidence et pas lui ? C'est à ne rien comprendre. Dois-je saisir une information que moi seule puisse deviner ?

Maria.

Maria Federighi. Lauren ne m'a pas amené dans son atelier uniquement pour faire de moi une parfaite restauratrice en œuvre d'art. Elle a délibérément discuté de cette expertise, liée à la famille Federighi. Comment pouvait-elle savoir que je comprenais l'italien ?

Je secoue la tête et sors de la douche. Pressée d'en découdre sur cette histoire, je dois me renseigner suffisamment sur cette expertise Botticelli qui a rendu célèbre James Taylor.

Dans ma chambre, j'enfile mon pyjama et ouvre mon ordinateur.

Dès que je suis assise, mon PC portable ouvert sur mes genoux, mon téléphone sonne. James. Je ferme les yeux et attend que l'appel passe. Néanmoins, je constate qu'il a essayé une dizaine de fois auparavant et fait une nouvelle tentative. À contrecœur, j'éteins mon cellulaire.

Je tape sur le clavier, dans la barre Google « James Taylor et Lauren Smith ».

Aussitôt, des articles, les concernant, s'ouvrent devant mes yeux.

En début d'année, j'avais simplement assimilé Taylor et le mot symbologie, sans résultats. Puis, il y avait le chanteur du même nom qui venait sans cesse en première recherche.

D'après les informations données, Lauren et lui se sont rencontrés à une soirée mondaine en 1998. Rien de plus. Waouh ! J'avais huit ans. James en avait vingt-cinq et elle, dix ans de plus.

Elle l'aurait ensuite embauché dans sa galerie, et en 2000, ils s'étaient mariés.

Une photo circule sur le net : lui, assis, pas de barbe et un visage plus rond, en parfait époux de vingt-sept ans et Lauren, sur ses genoux, une belle robe de mariée. Ils avaient l'air heureux. Un pincement au cœur surgit, et des picotements dans les yeux me prouvent à quel point leur union me rend extrêmement sensible.

Je clique sur la flèche retour pour revenir à l'accueil principal et descends dans les articles suivants.

En défilant, j'aperçois les exploits de Lauren, puis le site internet officiel de la Smith Art Gallery.

Jusqu' à ce que je tombe sur un titre accrocheur : Coup de théâtre à la National Gallery de Londres.

Je n'aurais jamais pu entrevoir ceci il y a quelques mois, sans en avoir toutes les informations. Je clique à nouveau et lis l'article en question :

Coup de théâtre à la National Gallery de Londres.

Une contrefaçon de la Nativité mystique de Sandro Botticelli a été découverte avant-hier, une bombe à retardement survenue ce 7 septembre 2001, dans la soirée. Une inspection minutieuse de la célèbre toile de l'illustre peintre Botticelli, connu pour sa déesse de l'amour La Naissance de Vénus, a été analysée par un expert professionnel en œuvre d'art, James Taylor, et d'un commissaire-priseur du cabinet Sotheby's. Le premier était venu dans l'après-midi rendre une visite au laboratoire du musée avant de s'attarder sur l'œuvre.

Dès lors, il aurait demandé à examiner le tableau et à définir son authenticité. Un effet de lumière qui ne rappelait en rien le génie de l'artiste, a attiré l'œil du professionnel. Après une longue identification, il s'avérerait que l'historicité de la peinture était un faux.

En effet, après enquête scientifique et des analyses plus poussées, les pigments présents sur la peinture n'étaient, par conséquent, pas conformes avec ceux de l'époque de la Renaissance.

Depuis, une vraie chasse à la copie à débuter dans ce lieu chargé d'art.

C’était de lui que Chambers avait parlé à l’Atelier Drouot en début d’année ! La nouvelle m’affaisse sur ma chaise. Tout, tout revient vers lui ! J’en reste stoïque.

Brusquement, la porte d'entrée tinte un premier puis un second cliquetis et quelqu'un entre, me stoppant dans mes recherches :

— Iban ? crié-je.

Des pas traversent le salon et mon colocataire fait irruption dans ma chambre :

— Qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu n'es pas sensée passer ta nuit avec James ? demande-t-il en poussant la porte pour entrer.

En prenant une grande inspiration, je lui avoue toutes les révélations de ce soir, en omettant de parler de l'étude de la mémoire absolue que m'avait confié Lauren.

Iban s'assoit sur le rebord du lit, toujours habillé de son manteau et les clés de la maison dans une main, la bouche ouverte et ses grands yeux hagards.

Quand il reprend ses esprits, il se tourne vers moi, passant sa langue furtivement sur sa lèvre inférieure :

— Comment tu te sens, toi ?

— Perdue. Je ne sais pas quoi faire.

Il ne me répond pas et nous gardons le silence un instant avant qu'il se penche pour regarder ce que je fabrique.

— Tu bosses ?

— Non. Je cherche des renseignements sur une affaire qui lie le mari de Maria Federighi et James.

— Pourquoi ? s'intéresse-t-il, sourcils froncés.

— Parce que Lauren pensait qu'il y avait anguille sous roche. Et je suis persuadée que c'est la clé de toute cette histoire, expliqué-je, à nouveau concentrée face à l'écran. Je le sens.

Iban se débarrasse de son imperméable et ses chaussures, puis s'installe à côté de moi.

— Et toi avec... Kamel ? lui demandé-je, soudain consciente que lui non plus n'a pas découché.

— Je t'expliquerai plus tard... un vrai taré. Il voulait qu'on soit plusieurs. Le type on s'est vu pour la première fois ce soir ! Y'en a, il ne manque pas de culot, vraiment !

— Quel gros dégueulasse !

— Hé ! Je ne suis pas un homme si facile, affirme-t-il, fier.

Avec le sourire, je lui caresse la joue d'une main et Iban me signe d'un geste de poursuivre ma recherche.

La souris en main, je fais rouler l'écran par le bas et Iban m'arrête le bras :

— Attends ! Le faux Botticelli vendu à près de 250 000 $. C'est peut-être ça, non ?

Le cœur battant, j'appuie pour ouvrir le nouvel article datant de novembre 2001.

Nouveau rebondissement dans l'affaire de la National Gallery de Londres, baptisée « l'expertise Botticelli ».

Il y a deux mois environ, un expert en œuvre d'art et un commissaire-priseur ont découvert un faux Botticelli et, par la suite, plusieurs copies ont été relevées dans le même musée.

James Taylor a reçu de nombreuses pressions de la part de ses collègues et de personnes influentes du milieu de l'art.

Faisant fi de ces atteintes à son travail, l'outrageant d'arriviste, il eut la visite d'un acheteur très généreux pour acquérir la contrefaçon de la Nativité mystique. Le musée, conformément à la loi de biens, a accepté l'offre en multipliant les controverses sur la vente de cette tromperie.

Après investigation d'un journaliste américain, l'acheteur serait un partisan de la Sacra Imposta, société mafieuse implantée dans le sud de l’Italie. Un des chefs de gangs, incarcéré il y a quelques années pour trafic de drogues, Salvatore Federighi, aurait été impliqué dans d'autres trafics, notamment dans celui des œuvres d'art italiennes, sans y avoir été inculpé.

L'annonce de cette découverte remue le monde de l'art et divise deux clans : ceux qui veulent voir cette œuvre détruite et ceux qui souhaiteraient que les faux soient répertoriés par leurs auteurs, afin d'être vendus, si un collectionneur est intéressé.

En tout cas, cette affaire est loin d'avoir fini de faire couler de l'encre et elle continuera à remuer la toile de ce milieu très sélect'.

— Merde ! Qu'est-ce que vient foutre la mafia italienne dans cette histoire ? s'interroge Iban, curieux.

— Mais surtout, et d'après Lauren, James aurait caché quelque chose de cette expertise. Un secret que seuls, lui, ce Salavatore et Maria sauraient, expliqué-je d'un ton impatient.

— C'est étrange... dit-il en se grattant le menton. Tu crois que James bosse pour la mafia ?

— Je ne sais pas. Mais si c'est le cas, ça ferait de James un trafiquant d'œuvres d'art, et peut-être même, un faussaire.

Mon cœur palpite, comme si je sentais un trésor en-dessous de cette affaire.

— Ça craint ... Qu'est-ce que tu vas faire alors ?

— Rien. Si Lauren n'a rien trouvé, ce n'est pas moi, avec le peu de monde que je côtoie du milieu, qui trouvera, conclus-je avec une moue désespérée.

— Ouais... mais avec James ?

— Dans trois jours, ce sont les vacances, je vais aller chez le médecin pour qu'il me prescrive un certificat médical. Je ne suis pas prête à le voir et j'aurais deux bonnes semaines pour me préparer à nos retrouvailles. D'ici là, dis-je avec un soupir, je vais faire mon deuil...

Ce mystère, bien qu'alléchant, ne m'aide pas à aller mieux. Au contraire, j'ai l'impression d'avoir été encore plus bernée, et extrêmement lasse de toutes ces informations impromptues.

Iban me prend dans ses bras et j'appuie ma tête sur son épaule, tandis qu'une migraine s'accentue. Il faut que je puisse me vider l'esprit. Pourtant, je ne cesse de réfléchir à tout ce que je viens d'apprendre ce soir.

Pourquoi m’as-tu réellement choisi Lauren ? Et James, qu’as-tu fait pour cela ?

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