Le baiser de Judas [2/2]
— La seconde raison, c'est toi. Ce journal, ça fait un long moment que je l'ai. J'ai entrepris une investigation après avoir su que Lauren et toi, vous aviez été proches à Paris durant les derniers mois de sa vie. Tu sortais de nulle part et, soudain, tu étais là dans la galerie où je travaille à la recherche de la grande experte de sa génération, Mrs Smith. Toi, une jeune étudiante de vingt-ans.
Voilà pourquoi, j'avais pressenti que Simon avait changé à mon égard après le décès de Lauren. Tout devient de plus en plus clair.
— Charlène ?
À mon tour d'enfouir mon visage entre mes mains pour exploser de sanglots incontrôlables.
— Tu n'as pas avoir honte de cela. C'était toi la victime.
— Bien sûr que j'ai honte de cela ! Tu penses que j'ai reçu quel lynchage après ma plainte ? Oui, parce que je n'ai pas voulu être anonyme, qu'on connaisse enfin un visage, victime d'un viol. Tu sais ce que ça m'a valu ? Des railleries, des chuchotements et des accusations de mensonges. J'ai changé de vie en venant ici. J'ai souhaité être anonyme pour réparer mon erreur.
— Pourquoi n'en as-tu pas parlé avec James ?
Je ris jaune.
— Il y a une sonnette d'alarme chez vous les hommes quand la femme que vous convoitez, vous annonce qu'elle a été violée. Si c'est avant de coucher avec la victime, vous la fuyez par peur que ce soit une folle qui risque de porter plainte contre vous, au cas où elle serait la responsable. Ou sinon, vous la prenez par pitié et c'est encore plus lamentable pour moi. J'ai horreur de ce sentiment, le ressentir pour quelqu'un ou l'avoir envers moi. C'est un sentiment faible avec lequel on peut jouer. Et, si c'est après l'acte, qui plus est si c'est une partie de jambes en l'air plutôt orgasmique, vous allez croire que cette femme-là est une menteuse. Oui, comment une fille victime d'abus sexuel puisse encore écarter les cuisses ? Hein ? Quoiqu'on dise vis à vis de ça, le problème, c'est nous. Alors, je préfère me taire.
— D'abord ce sont des conneries, des mecs qui disent cela, ce sont des gamins pas des hommes. Ensuite, je me répète, c'est avec James que tu aurais dû en parler.
— Non, jamais !
Un silence entre nous s'éternise, comblé par le brouhaha des parisiens, occupés à sourire à la vie. Au bout de quelques minutes, il reprend la parole :
— Tu te souviens que je t'avais dit qu'il te fallait un homme mature, un vrai.
Je souris malgré ma colère.
— Oui.
— J'ai pensé que James t'irait à merveille pour dépasser tes craintes et tes peurs. Je t'assure que c'est un mec bien, un peu obsessionnel, je conçois, mais il a réellement des sentiments pour toi. Le seul problème, c'est qu'il est comme toi.
— C'est-à-dire ?
— Trop con pour se l'avouer, atteste-t-il en prenant une gorgée de son café.
— Donc, tu as menti ?
— Donc, j'ai menti.
— Mais te rends-tu compte que j'ai couché avec le mari de Lauren ? C'était une amie pour moi, protesté-je en me penchant vers lui, d'un ton froid. C'est comme si j'avais attendu qu'elle meure pour me taper son mari.
— Et c'est le cas ?
— Non, voyons ! me défendé-je.
— So what ?
— Ça ne se fait pas, basta, conclus-je en m'adossant confortablement au siège.
— Elle est morte et enterrée Lauren. Tu vas passer à côté d'une histoire d'amour juste pour une défunte.
— Oh mais ferme-là ! rétorqué-je. Ce n'est pas une histoire d'amour, c'était un plan cul régulier. Lauren était son grand amour.
Il secoue la tête.
— Lauren était son épouse et il l'aimait par habitude. Il l'aimait comme on aime sa mère. Je sais que c'est très bizarre ce que je dis. Lauren avait des intentions maternelles, surprotectrices avec lui. Et ça s'est amplifié à la mort de sa mère. Mais, il n'était pas jaloux, ni possessif. Il aimait sa compagnie car c'était une femme d'exception, qu'il adulait tout comme toi. Sauf qu'avec toi, il était perdu. Tu ne le ménageais pas. C'était tout nouveau pour lui. Hé ! Je suis son meilleur ami et je l'ai rarement vu courir après une nana. Bon... à part, Cindy Fisher. Ouais, une sale gamine qui l'avait balancé en primaire.
— De quel sentiment me parles-tu ? m'empressé-je de lui faire avouer.
— La passion amoureuse.
— Il s'en est bien gardé, en tout cas.
— Parfois, Charlène, quand on a été trop blessé, on arrive plus à mettre des mots sur des sentiments et la passion l'emporte et parle à leur place, laissant l'acte plus explicite qu'une déclaration.
Je comprends mieux pourquoi Simon est négociateur d'œuvres d'art. Il trouve la bonne formule pour apaiser. Néanmoins, il semble vulnérable après ces allégations.
— On dirait que tu connais aussi ?
— On va dire que je fais aussi partie du club des cons, dit-il en baissant la tête en jouant avec sa serviette en papier.
J'ai un petit rire et avec tendresse, je lui attrape la main.
— Je te crois. Mais, j'ai d'autres questions.
— Vas-y.
— Connais-tu un certain Mark Livingston ?
Il fronce les sourcils et j'aperçois ses iris bouger rapidement.
— Non. Pourquoi ?
— Ce nom ne te dit rien ? Un expert dans la vente d'œuvres d'art.
— Livingston... Livingston... si, des Juifs y'en a pas mal dans le milieu, mais un Mark... répète-t-il. Non, rien du tout. Pourquoi cette question ?
— Lauren n'a jamais eu affaire avec lui pour la galerie ?
— Non, sinon j'aurais été au courant, vu que c'est moi qui négocie les ventes.
— D'accord. Autre chose ? Savais-tu que James avait marchandé le faux Botticelli à Salvatore Federighi, un des parrains de la Sacra Imposta ?
— Ce n'est pas lui qui l'a vendu, mais le musée. Il connaissait seulement Maria par l'intermédiaire de Lauren, quelques années auparavant, lors de leur voyage en Italie. Rien de plus.
Une dernière fois, je dévisage Simon avec assiduité en examinant sa bouche qui ne tressaillit pas, ses yeux qui ne vrillent pas, ni sa jambe qui se secoue nerveusement, son sourcil qui s'arque ou qui se fronce. Il ne se gratte ni le menton, ni le coude. Rien, il n'a plus rien à se reprocher. Il ne sait absolument rien sur ces deux affaires. Ni sur Mark Livingston et son lien étrange avec son ancienne patronne. Ni sur cette expertise, qui semble sûrement une réelle controverse sans parfum de faussaire avec la mafia. James s'était trouvé là au bon moment.
Je respire un bon coup et le poids qui s'était emparé de moi, depuis la Saint-Valentin se relâche doucement. Car une dernière chose reste à faire : tout avouer à James.
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