1.2. La Guerre du Premier Contact

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Journal de Bord du Capitaine Alaric Feranc de l'armée impériale d'Askalon

15ème Jour du Mois d'Hexabre, Année 1272 du calendrier impérial

Le vent du matin me rappelle que nous avons franchi une étape décisive dans notre quête. Après tant de mois d’attente et de préparation, nous avons enfin mis le pied sur ces terres qui s’étendent à l’ouest de nos frontières. Ce jour, après des semaines d'une marche ininterrompue à travers les limites connues de nos terres , nous avons pénétré ce que je n’hésiterai pas à appeler des terres vastes et infinies. En tant que Capitaine de cette expédition, j’éprouve un mélange de fierté et d’inquiétude, car nous nous aventurons là où peu d'Humains ont osé aller.

Nous avons commencé notre marche à travers les plaines verdoyantes, un paysage à la fois étranger et familier. Les herbes se dressent haut, caressant nos hanches, et des fleurs inconnues aux couleurs éclatantes semblent danser au gré du vent. Chaque pas nous éloigne des souvenirs de nos terres, chaque écho du pas de nos chevaux résonne comme un appel à la découverte. Les cris de la faune locale résonnent autour de nous, une symphonie de bruits que je n’ai jamais entendue. Ce jour, j’ai vu des oiseaux aux plumages flamboyants s’envoler dans le ciel, et je me suis demandé quelles merveilles se cachent encore dans les recoins inexplorés de cette vaste étendue.

Nos premiers jours ici ont été consacrés à établir un campement, une première ligne d'attaque contre l’inconnu. Nous avons dressé des tentes et creusé des fossés pour nous protéger des dangers invisibles. Des scouts ont été envoyés pour explorer les alentours, et bien que nous n’ayons pas encore rencontré d’Hommes ou d’êtres intelligents, nous avons trouvé des traces de vie plus étranges. Des empreintes larges et profondes marquent le sol, et j’en ai conclu que nous ne sommes pas seuls sur cette terre. Des créatures, d’une taille que je n’aurais jamais imaginée, se déplacent ici, peut-être dans l’ombre, observant nos gestes avec curiosité ou méfiance.

Il n’y a aucune structure, aucun signe que cette terre ait jamais été visitée par la main humaine. Nos hommes se reposent peu, mais l'excitation est palpable ; chacun se sent prêt à bâtir quelque chose de grand ici, quelque chose qui, peut-être, pourrait un jour rivaliser avec nos plus grandes cités d’Askalon. La soif de conquête qui nous pousse est teintée d’une certaine crainte face à ce que nous ne connaissons pas. Pour l’instant, le massif du Walladi nous semble déjà loin derrière, et la chaleur accablante nous rappelle que nous sommes loin de notre foyer. Nos réserves s’épuisent lentement, mais le désir de découvrir ces terres inconnues est plus fort que tout. Nous avons décidé d’explorer plus loin à l’intérieur des terres demain, avec l’espoir de découvrir des ressources qui pourraient soutenir notre installation.

Si je devais faire une prévision, je dirais que ce territoire, encore sans nom, cache tant de secrets. Peut-être que ces terres donneront naissance à de nouvelles histoires, de nouvelles légendes à raconter à nos enfants. Mais pour l’instant, je me concentre sur l’urgence de notre situation. Nous avons besoin de construire des abris, de découvrir des sources d’eau, et surtout, de nous préparer à ce que cette terre a à offrir, qu’il s’agisse de beauté ou de danger.

Ainsi, je m’engage à noter chaque détail, chaque découverte dans ce journal. Peut-être qu’un jour, d’autres capitaines suivront mes traces, et qu’ils liront ces lignes avec la même passion que celle qui m’anime aujourd’hui. Que l’avenir de cette terre soit lumineux, ou que l’ombre du danger se profile sur nous, je suis prêt à avancer.

30ème Jour du Mois d'Hexabre, Année 1272 du calendrier impérial

Alors que le soleil se lève sur nos installations, je prends le temps de consigner les découvertes faites au cours des dernières semaines. Nos installations prennent forme, et les avant-postes, bien que modestes, sont maintenant prêts à accueillir des renforts. Nos ingénieurs ont construit une première palissade de bois et de pierre. Ces terres sont étranges, certes, mais elles regorgent de ressources robustes et de bois aux essences inconnues, solides et résistant aux conditions arides de ces plaines. Nous avons nommé ce premier campement l’avant-poste de Fort-Espérance. Des tentes supplémentaires sont en cours d'érection, et des barques rudimentaires sont mises en place pour assurer le passage de l’eau, car il s’avère que la rivière à proximité est une source précieuse pour nos besoins. Les deux autres, en cours de construction, seront nommés Fort-Roy, à l'avant-garde, et Fort-Aube, à l'arrière-garde. La communication entre eux reste un défi, et le terrain ne se prête pas aux déplacements rapides. Des éclaireurs sont partis aujourd’hui pour cartographier plus précisément les plaines et les zones boisées. Plus nos installations grandissent, plus les hommes ressentent la certitude que nous poserons ici les bases d’un nouvel Askalon.

Nous avons également eu l'occasion d'explorer plus profondément l'environnement qui nous entoure, et je dois dire que la faune locale ne cesse de nous impressionner. Récemment, lors d'une expédition, mes hommes et moi avons rencontré une créature qu’aucun de nous n’aurait pu imaginer. Un rhinocéros à collerette, presque aussi massif qu’un éléphant, a traversé notre chemin. Sa peau rugueuse et ses cornes imposantes sont des merveilles de la nature, ornées de motifs chatoyants qui semblent vibrer sous la lumière du soleil. Ces créatures, au premier abord redoutables, s’avèrent assez dociles si elles ne se sentent pas menacées. Nous avons commencé à les observer à distance, et leur comportement social est fascinant ; ils se déplacent en groupes, partageant des gestes de protection et d’affection.

Mais ce n'est pas tout. La flore de ces terres est tout aussi singulière. Nous avons découvert des arbres géants aux feuilles qui brillent d’une couleur argentée, semblables à des miroirs reflétant le ciel. Ces arbres fournissent non seulement de l'ombre, mais leurs racines forment des réseaux si denses que nous avons décidé de les utiliser comme fondations pour nos constructions. En étudiant ces spécimens, nous avons réalisé qu'ils abritaient des fruits juteux, dont la saveur sucrée peut à la fois apaiser notre soif et nous nourrir. Je compte faire des expériences pour voir si ces fruits peuvent être cultivés, car ils seraient un ajout précieux à notre approvisionnement alimentaire.

Avec ces ressources à notre disposition, nous avons commencé à construire les premiers avant-postes dans cette terre que nous apprenons à aimer. Nos architectes ont imaginé des structures en bois solides, renforcées par les branches d’arbres que nous avons coupés. Chaque avant-poste sera non seulement un refuge, mais aussi un centre de rassemblement pour les troupes qui suivront. Nous avons prévu d'ériger des murs en rondins pour nous protéger des dangers potentiels, et des postes d’observation pour surveiller l’horizon. L’idée est de créer un maillage de sécurité qui permettra à notre empire de s'étendre sans crainte.

Les rumeurs de cette terre riche et accueillante se répandront, j’en suis convaincu. Les nobles d’Askalon doivent être informés des merveilles que nous avons découvertes. Nous avons d’ores et déjà envoyé un message pour prévenir de notre avancée, tout en signalant que tout est sous contrôle. Je peux déjà imaginer la fierté dans les yeux de mes compatriotes lorsqu’ils fouleront ces terres à leur tour, avec la promesse d’un avenir radieux.

Cependant, l’ombre de l’inconnu plane toujours. Bien que nous n’ayons pas encore croisé d’Hommes sur cette terre, les traces de vie abondent. Je ne peux m’empêcher de penser que ces vastes plaines et ces forêts pourraient abriter d’autres peuples, d’autres cultures. Alors que nous avançons, je suis de plus en plus conscient que nous devons agir avec prudence et respect envers ces terres. La conquête peut se transformer en partenariat, et je reste convaincu que le succès de cette expédition repose sur notre capacité à nous adapter à ce que nous découvrons.

Il est temps de préparer nos prochains déplacements. L’appel de l’inconnu résonne dans le cœur de chacun de mes hommes. Nous sommes déterminés à faire de cette terre un nouveau chapitre pour Askalon, mais je reste vigilant. Les mystères de ces plaines ne sont pas encore révélés, et chaque jour apporte son lot de surprises.

9ème Jour du Mois d'Heptabre, Année 1272 du calendrier impérial

Aujourd’hui marque un tournant décisif dans notre entreprise. Après plusieurs semaines d’expansion sur ces terres encore inexplorées, nous avons rencontré une espèce humanoïde. Je ressens encore l’écho de l’excitation mêlée à la peur qui a traversé mes hommes lorsque, à l’ombre de nos installations, nous avons aperçu des silhouettes s’avançant vers nous. Au début, nous pensions à une bande d’animaux sauvages, mais à mesure qu’ils se rapprochaient, leurs formes se sont précisées : des êtres humanoïdes, mais bien plus imposants que nous.

Ces êtres… imposants, dépassaient la taille des plus grands de nos soldats, culminant bien au-dessus de nos deux mètres. Leurs silhouettes colossales se dessinaient avec des peaux aux teintes d’un brun-verdâtre ou rougeâtre, où la lumière se réfléchissait sur une surface qui semblait écailleuse et solide. Leurs traits étaient surmontés de cornes et d’épines osseuses, à la place de tout ce que nous considérions comme une chevelure. Ce matin, nos éclaireurs ont observé un groupe de ces guerriers accompagnés de créatures semblables à des chiens, mais d’une stature plus large et capable d'émettre des flammèches en ouvrant la gueule.

Nous avons tenté de communiquer en nous servant de gestes et de signes, mais les indigènes nous observaient, silencieux, leur regard fixe et lourd de méfiance. Ils ne parlaient pas notre langue, et leurs murmures entre eux semblaient gutturaux, comme des grognements résonnant du fond de leur poitrine. Il ne leur a pas fallu longtemps pour comprendre que nous n’étions pas simplement de passage mais bel et bien installés sur leurs terres.

Nos ingénieurs et artisans proposèrent de leur offrir des objets et outils, persuadés qu’ils ne pourraient qu’être impressionnés par notre technologie et nos savoir-faire. Pourtant, ces indigènes acceptèrent ces « présents » d’un air hautain, presque avec dédain. Leurs regards fiers ne cachaient guère qu’ils nous voyaient comme des intrus. À leurs yeux, notre présence ici ne représentait rien de plus qu’une occupation inutile et arrogante.

La nouvelle de cette rencontre fut envoyée et elle suscita l’enthousiasme et l’inquiétude au sein du Conseil d'Askalon. Lorsqu'un nouveau contingent arriva, un collègue me mit au parfum. Certains nobles virent dans cette découverte une opportunité de « civiliser » ces indigènes, d’étendre notre savoir et notre empire, en faisant miroiter un avenir prospère de collaboration forcée, tandis que d’autres, plus prudents, préconisèrent d’user de patience et de respect envers ce peuple visiblement attaché à ses traditions.

Je ne sais pas où se situe la juste attitude. Le pragmatisme voudrait que nous cherchions à apaiser les tensions, à tisser des alliances avec ces géants, tout en assurant notre position sur ces terres. Mais la fierté de ces êtres se heurte à l’arrogance impériale d'Askalon, et chaque rencontre semble intensifier la tension.

La semaine passée, une délégation d'indigènes s’est approchée de Fort-Espérance. Ils portaient des armures rudimentaires mais efficaces. Leur chef s’avança, un guerrier imposant marqué de cicatrices qui semblaient autant de récits d’exploits guerriers. Il nous fit signe de poser nos armes. Les nôtres hésitèrent, mais je leur fis signe d’obéir, espérant calmer les esprits.

En levant la main, le chef parla d’une voix grave. Son discours, même incompréhensible, se révéla assez clair par le ton : il nous reprochait de violer ses terres et exigeait, semble-t-il, des explications ou des garanties. Nos tentatives de lui expliquer par signes et mots notre intention de bâtir ici un empire de prospérité, une civilisation qui pourrait être partagée, ne firent que renforcer son mépris. Il recracha une flamme à nos pieds, à peine à un mètre de ma botte, comme pour nous avertir de la puissance qu’ils détenaient.

Ces indigènes ont beau être à leurs yeux les seuls maîtres légitimes de ces terres, les ingénieurs et soldats qui m’entourent voient en eux des « primitifs » qui refuseraient la main que leur tend la civilisation. Ce regard de conquérant ne fera qu’exacerber la fierté de ces guerriers. Je sens que la situation est sur le point de basculer ; ils n’accepteront jamais notre expansion, et les forces d'Askalon ne reculeront pas pour si peu.

Je ne puis dire combien de temps encore nous parviendrons à contenir cette tension grandissante. Une étincelle suffira pour que cette terre de promesses se transforme en un champ de bataille où nos deux peuples mesureront leur force.

28ème Jour du Mois d'Hendecabre, Année 1272 du calendrier impérial

Le calme après la tempête. Comment décrire ce que nous avons vécu pendant la Guerre du Premier Contact, une période de chaos, de violence et de révélations amères. Si j’avais cru que notre installation pacifique sur ces terres serait la clé d’une cohabitation harmonieuse avec les Dragoviens (comme nous les avons nommés), j’étais loin de la vérité.

Nos premiers échanges, bien que marqués par des tensions palpables, avaient semé les graines d’une méfiance profonde. Alors que nous poursuivions notre expansion, nous avons ignoré les signes précurseurs d’un conflit imminent. Les Dragoviens, protecteurs de leurs terres, observaient notre progression avec une colère croissante. Ils ont tenté de négocier, mais chaque tentative de dialogue a été accueillie par nos dirigeants avec arrogance, persuadés que notre technologie et nos compétences agricoles nous donnaient un droit d’imposer notre volonté.

Les tensions ont éclaté un matin, lorsque l’un de nos avant-postes, une petite fortification que nous avions érigée près de la rivière principale de la région, a été attaqué. Les Dragoviens ont lancé une offensive surprise, mettant à mal nos défenses. Ce jour-là, j’ai vu des camarades tomber sous les coups de leurs flèches et sentir la chaleur de leurs souffles enflammés. La bataille a duré des heures, un désastre d’armures brillantes et de cris perçants, tandis que les Dragoviens, bien plus endurcis, envoyaient des vagues de guerriers impétueux contre nos rangs.

Nous avions sous-estimé leur force. Les Dragoviens sont des guerriers nés, aguerris par des générations de lutte pour leur survie. Leur corps, une armure naturelle, et leur détermination sans faille nous ont été fatales. Au lieu de faire preuve de respect, nous avons agressé leurs coutumes et ignoré leur besoin de protection. En cherchant à étendre notre présence, nous avons provoqué un puissant courroux.

L’issue de cette bataille n’a pas tardé à se répandre comme une traînée de poudre. Les nouvelles de notre défaite ont incité d’autres tribus dragoviennes à se rallier, et nous avons réalisé, trop tard, que nous avions réveillé une tempête. Les jours suivants ont été marqués par un enchaînement de combats. Chaque fois que nous construisions un avant-poste, il était pris d’assaut. La notion de paix que nous avions espérée s’est muée en une lutte constante pour notre survie.

Un autre affrontement mémorable a eu lieu sur un vaste espace que nous avions jugé idéal pour nos champs. Les Dragoviens ont fait appel à leurs montures, les fameux Rhinocéros à collerette, et leurs cris de guerre résonnaient comme un écho de notre propre faiblesse. Ce jour-là, nous avons perdu non seulement des hommes, mais également notre fierté. Les Dragoviens nous ont repoussé avec une brutalité qui a laissé des cicatrices sur notre armée.

Après des semaines de combats, la guerre a fini par épuiser nos ressources. Les Dragoviens, bien que victorieux, ont également payé un prix élevé. Leurs cicatrices et leurs balafres, fierté et symbole de leurs triomphes, témoignaient des affrontements acharnés qu’ils avaient menés. L’orgueil des Humains, pourtant si démesuré, a dû faire face à la dure réalité de la défaite.

Face à l’impasse, nos chefs ont convoqué une réunion. Nous avons finalement dû accepter ce que nous avions refusé de voir : l’Egladregor ne nous appartenait pas. Après cette guerre sanglante, un armistice a été proposé par les Dragoviens, que nous avons dû accepter à genoux, humbles et meurtris. Ce qui devait être un échange de savoirs s’était transformé en une lutte pour la survie.

Les Dragoviens ont choisi d’établir des frontières claires, limitant notre expansion. Nous avons replié nos troupes, laissant derrière nous nos rêves de conquête. À notre grande honte, nous avons renoncé à nos ambitions, fuyant la colère des habitants d’Egladregor.

Je me souviens encore des regards des hommes lorsque nous avons finalement quitté ces terres, battus mais non brisés. Les Dragoviens ont assisté à notre départ, un mélange de triomphe et de mépris sur leurs visages. Ils avaient défendu leur terre avec une fierté que nous avions négligée. Nous avons appris, bien trop tard, qu’une coexistence pacifique nécessitait un respect mutuel, quelque chose que nous avions échoué à comprendre. C’est une victoire pour les Dragoviens, une victoire qu’ils n’ont pas volée.

Nous retournons dans notre patrie, avec l’espoir de trouver de nouveaux horizons. Mais dans le fond de mon cœur, je sais que nous ne devons jamais oublier les leçons de cette guerre. Le souvenir des Dragoviens, leurs cicatrices comme autant de rappels de notre arrogance, me hantera. Nous avons laissé derrière nous des terres qui nous ont été refusées, mais je n’oublierai jamais le prix que nous avons payé pour notre ignorance.

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