Chapitre 4 Je me faufile, tu t’esquives (M)

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Un walkman… Cet objet, disparu de notre quotidien, apparut tel un trésor inattendu. Je ne pus m’empêcher de m’en emparer. Je reconnus immédiatement toutes les sensations : la prise en main, la douceur des écouteurs, le cliquetis du play, l’attente avant le lancement de la première musique. Je vivais un souvenir éveillée. Voilà pourquoi, quand la musique a commencé à résonner dans mes oreilles, je me laissai envahir par le rythme. Je fermai légèrement les yeux, de sorte que les objets et êtres qui m’entouraient devinssent de simples traits de lumière, rose, verts, jaunes, bleus. Et comme d'habitude, depuis mon adolescence, le tempo m’entraîna dans un monde imaginaire où tout n’est que joie et paillettes et où j’étais la reine.

Je rendais cette scène encore plus intéressante en imaginant les mains de mon bel inconnu se poser sur mes hanches, son corps à quelques centimètres du mien, suivant mes courbes et leurs mouvements. Il me susurrait alors tendrement :

  • Tu t’accapares souvent les affaires des autres comme ça ?

Pardon ? Mais ce n’était pas la réplique que j’attendais !

Me voilà une nouvelle fois victime de mon imagination débordante. Je me sens non seulement confuse de m'être donnée en spectacle mais aussi d’avoir utilisé ses affaires sans son consentement.

Mais une chose me turlupine plus que ça : cet homme me fait vraiment un drôle d’effet. C’est comme si je le connaissais depuis toujours, comme si on ne s’était pas rencontré, mais retrouvé. Et une envie irrésistible de rester avec lui, de ne pas - plus ? - le perdre me pousse à me présenter à lui.

N’allez pas vous méprendre. Toujours de bonne humeur et très sociable, je suis aussi du style sauvage et solitaire. A part mon cercle d’amis profs, mes élèves, sans oublier ma famille et mes meilleures amies Shirley et Lise, je me complais dans une joyeuse solitude. Je n’ai ni le temps, ni le luxe de donner accès à ma vie intime. Trop de secrets sont en jeu ; trop de missions restent inaccomplies.

Emportée par l’esprit des vacances, la douce ambiance de cette fin d’après-midi, par mon rêve de danse endiablé, ou par le charme magnétique de cet homme, qui sait ?

Je décide de faire une entorse à ma conduite habituelle.

  • Marina ! lui dis-je pleine d'enthousiasme.

Encore une fois, je me trompe de scénario : mon élan enthousiaste se trouve face à une mine déconfite et ma main tendue… reste suspendue. Finalement il n’y a peut-être pas que moi qui ai de lourds secrets à cacher.

Mon beau brun se défile avec élégance.

Cette conversation prend vraiment une drôle de tournure. Mon coup de cœur devient de plus en plus intrigant. Mon impression de déjà-vu ne serait peut-être pas qu’une impression et semble de toute évidence partagée.

Et s’il savait ?

Je décide donc de jouer à son jeu : réponses vagues, et focalisation sur mon interlocuteur afin d’en dévoiler le moins possible de ma personne. Tout ça avec mon pétillant et habituel sourire bien sûr !

A cette parade d’anguille notre poisson est très fort ! Il retourne les questions sur moi, voulant savoir si j’étais d’ici, ce que je faisais dans le coin. Je mets un terme à ce jeu de cache-cache avec un coup franc en pleine face.

  • Et du coup, ton prénom ?

Marina Declair. 1 Bel inconnu (pas pour longtemps). 0.

Bon la victoire est maigrichonne : j’apprends qu’il s’appelle Quentin et… c’est tout !

Mais je ne lâcherai pas l’affaire. Par curiosité ou plutôt par simple plaisir, je continue à bavarder avec lui. Il est plaisant, et le courant passe instantanément ! Le tutoiement fut tout aussi naturel. Je lui parle de mon métier, de mes goûts cinématographiques (et on a plein de points communs : il adore Rocky, Indiana Jones, et la série Star Wars). Puis, au fur et à mesure, viennent des questions plus intimes :

  • Tu as des enfants ? me demande-t-il
  • Si tu ne comptes pas la centaine de mioches à qui je fais cours la semaine, je n’ai pas d’enfants. Et toi ?
  • Il me manque la personne avec qui les concevoir.

Je n’insiste pas, mais cette révélation me procure un sentiment de soulagement quelque peu disproportionné !

  • Je comprends, je crois qu’on est nombreux dans ce cas-là.
  • Si je comprends bien, tu as tout ton temps de libre quand tu sors de l’école. Qu’est-ce que tu aimes faire ? Un sport, une activité particulière ?

Ha ça, mon petit Quentin, je voudrais bien te répondre. Certaines idées me viennent immédiatement à l’esprit : quand je rentre chez moi, je laisse tomber mon cartable, enfile mon déguisement de Lara Croft et part à la recherche d’objets antiques non traduits aux symboles mystérieux. J'ai tout un carnet hérité de mes grands-parents. Tu veux que je te montre ?

J’ai mieux encore : je suis sujette à d’étranges expériences de voyage astral. Parfois, mon esprit se dissocie de mon corps et part explorer des espaces-temps. Si tu me vois m’évanouir, ne prends pas peur, je reviens toujours !

Mais je crains que ces informations stratégiques ne soient pas les meilleures à donner dès la première rencontre ! Alors je vais te servir quelque chose de plus doux :

  • Eh bien, comme tu as pu le constater, j’adore nager ! Il m’arrive souvent d’aller à la piscine municipale et faire un ou deux kilomètres.
  • Cela explique ce corps fin et musclé, me dit-il avec un sourire charmeur. Je me doutais que tu étais une sportive. Je t’imaginais bien faire de la gym.
  • Ah, de la gym, tiens, c’est marrant, dis-je avec une voix de chèvre qui parle à peine notre langue.

Les intuitions de mon gentil séducteur pourraient devenir dangereuses ! Je dois rester sur mes gardes !!

Quentin est vraiment un drôle de personnage. Il semble avoir un réel besoin de savoir à qui il a affaire avant d’entamer la moindre relation. Il a un esprit pratique et affûté, pose plein de questions tout en se gardant de lâcher la moindre info sûr sa vie personnelle.

  • Tes parents sont aussi dans l’enseignement ? Continue-t-il
  • Ma mère l’était, tout comme son père.
  • L’était ?
  • Elle est morte dans un accident de voiture.
  • Je n’aime pas être dans le cliché, mais je suis sincèrement désolé. Je ne voulais pas te plonger dans de douloureux souvenirs.
  • Le temps passe et calme les peines. Sur le coup, je n’ai rien compris. Mon petit frère non plus. C’est comme si nous avions reçu un coup de massue. Mais nous avons été très entourés, surtout nos grands-parents. J'ai mis toute mon énergie à survivre et à profiter justement. A partir de ce jour tragique, j’ai appris ce qu’est le destin, et que l’aventure n’est simple pour personne. Quand je regarde autour de moi, je constate que, chacun à un moment ou un autre, avance contre le vent et porte son fardeau. Tu ne crois pas ?

Quentin se contenta de me sourire et baissa les yeux.

Je regarde ma montre et me fais de nouveau rattrapé par le temps qui court ! Emportée dans mon élan je me lance un peu plus et l’invite bêtement à la soirée de Dimitri Williams.

Et…ma joie se transforme en tristesse. Pour une fois qu’un homme me plait, que je me laisse aller…

mon anguille glisse entre mes mains une fois de plus. Quentin devient rouge comme une tomate. Ses yeux se tournent, cherchant à gauche une issue de secours, un panneau EXIT. Il bat en retraite en me servant l’excuse de la vieille tante à qui on doit rendre visite.

Quentin, je n’ai ni ton nom de famille, ni ton métier, ni ton travail. Mais je suis certaine d’une chose : tu me caches quelque chose.

Je me lève et je commence à partir. Il me stop.

  • Marina, attends, donne-moi au moins ton numéro de téléphone !

Alors qu’il me tend son téléphone pour que je note mon numéro, je profite du moment où je le lui rends pour m’esquiver.

Apparaître et disparaître comme par magie : telle est ma spécialité. Quand je ne suis devant mon tableau en train d’expliquer les subtilités des langues anciennes à mes élèves, je m’efforce d’être une femme surprenante. Voleuse ? Équilibriste ? Contorsionniste ? Sûrement un peu des trois.

Alors qu’une famille revenait le pas lent, encombrée par les serviettes, pelles, seaux, bouée en forme de licornes et mômes en tout genre, je m’éclipse derrière celle-ci, me fond dans les ombres et m’élance vers ma fiat 500. Je sais : cette voiture est le cliché de la midinette. Mais l’avantage va de pair : il y en a énormément et elle se fond dans la masse. Ma voiture est mon deuxième chez moi : vitres teintées, elle me permet de passer inaperçue et d'observer mon environnement et de réfléchir.

J’avoue que ce Quentin m’a fait perdre la tête. Comment ai-je pu me laisser emberlificotée par le charme d’un garçon ? Et prendre autant de risques ?? Je vais finir par croire Shirley : il serait grand temps que je m’inscrive sur un site de rencontre ! Cela me rendrait moins sujette au coup de cœur inopiné et potentiellement dangereux !

Et pourtant, une partie de moi ne peut en rester là. Il y avait quelque chose d’autre, comme si ce garçon cachait un mystère…dont je serai la cible ?

Après quelques virages en épingle, j’arrive à mon petit hôtel en bordure sur les hauteurs d’Annecy. C’est une maison à colombages aux doux aspects de chaumière. D’ailleurs, la réceptionniste ressemble à Capucine dans la Belle au bois dormant de Walt Disney.

Mais le temps presse. Le début de la réception est donnée pour 19h30 et il est.. 17h45 ! De mon côté je suis plus proche du lapin d’Alice au pays des Merveilles que d’une quelconque princesse !

Arrivée dans la chambre douillette, je jette mes clés sur le meuble d'entrée, enlève mes baskets basses et file à la douche.

Encore une fois l’eau m’apaise et me recentre. Je dois impérativement réussir le coup de ce soir. Je dois dérober le disque de Phaistos ! Cet objet trouvé au début du XIXème siècle reste une énigme pour la plupart des spécialistes. Une série de symboles orne le tour de ce disque, dont le sens reste mystérieux.

La première fois que j’ai entendu parler de ce disque, c’était chez mon grand-père paternel, un instituteur qui consacra sa vie à étudier, chercher, comprendre. Modeste, son bureau recélait néanmoins de globes terrestres, de livres parlant philosophie, biologie, astronomie, chimie, mathématiques. C’est sans doute grâce à lui qu’a germé mon goût pour la connaissance. A chaque fois que je sortais de son bureau, je ressortais assoiffée d’infini, affamée d’apprendre.

Mais aujourd’hui, le savoir ne dirige plus le monde. Le pouvoir a changé de main et ce sont des financiers comme Dimitri Williams qui règle la cadence. Pour lui, le disque de Phaistos ne prime que par sa rareté, rien de plus. Pour moi, c’est l’une des clés d’un autre univers.

Mais pour voler cet artefact, je dois me plier aux codes d’aujourd’hui.

Je laisse glisser ma serviette à mes pieds. La robe choisie est parfaite, douce à porter et me laissant libre de mes mouvements. Je relève mes cheveux en chignon, détachant simplement quelques mèches pour éviter le côté austère et pincé de ce type de coiffure. Je décide d’agrémenter ma tenue par deux boucles d’oreille argentées en forme de perle et de deux couteaux pliant à manche d’ébène habilement dissimulée dans mes sous-vêtements. Il suffit de prendre mes chaussures à talon et mon indispensable mallette et me voilà partie. À nous deux Dimitri !

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