Brad#8 - Malfaisante - Partie 1
On sonne la fin des vêpres dans l'église du village. Les fidèles commencent à sortir. De la porte, une bourgeoise chaudement vêtue interpelle une jeune paysanne qui semble scruter la façade depuis le pied des escaliers.
— Bonjour Louise !
— Bonjour Mme Marteau, marmonne Louise, résignée.
Elle n'aurait pas dû venir ce soir. Les grenouilles de bénitier assistent sans faillir à chaque office. Elle n'arrivera pas à croiser le père Philippe avant son départ pour le presbytère dans la commune voisine.
— Vous ne m'écoutez-pas, jeune fille ! assène la matrone.
Louise coule un regard, paupières demi-fermées, vers son ainée. Celle-ci devient mielleuse.
— Je vous demandai comment vous vous en sortez, pauvre enfant ? Vous semblez avoir maigri et ces vêtements ne sont pas de première fraicheur. Votre père est au plus mal m'a-t-on dit ?
— Oui madame. Les médicaments le soulagent mais ne le guériront pas. D'après le docteur Roux, il ne lui reste qu'une poignée de jours.
— C'est le foie n'est-ce pas ? Ah ! Votre père a toujours était un bon vivant, surtout avant son mariage tout de même, et un vrai pilier du Bar-Tabac après le décès de votre mère. Il y a déjà sept ans, n'est-ce pas ? Une femme avec un air qui troublait les hommes, finalement dotée d'une nature fragile : elle n'était pas taillée pour la vie de la ferme. Il en était prévenu. Heureusement qu'il vous a. Vous avez hérité de sa constitution. On prétend que sa famille remonte aux Vikings et à vous voir, on n’en doute plus. Peu d'hommes l'apprécieront, pourtant sans votre force la ferme n'aurait rien rapporté ces dernières années. Même s'il en a bu la majorité, j'imagine que vous arriviez à sauver de quoi vous sustenter pour assurer l'ensemble de la besogne. Quel dommage qu'un si bel homme ait sombré pour une évanescente fille du Sud. D'autres lui auraient mieux convenues. La femme du notaire m'a informée de votre situation. Une chance que votre voisin accepte d'attendre la fin de l'hiver pour occuper ses nouvelles terres. Savez-vous où aller ensuite?
Louise ne répond pas.
—... Un travail de journalière sur une autre exploitation peut-être? Peu appropriée pour une femme, assène-t-elle avec un claquement de langue désapprobateur. J'espère que tout se passera bien pour vous. Avec votre stature, vous devriez éviter le pire. Tout de même, je me demande qui entretiendra les tombes de vos parents. Il faudra revenir, au moins à la Toussaint. Oh, mon mari me fait signe. Je dois vous quitter. Au revoir Louise.
— Au revoir Mme Marteau, réussit-elle à articuler malgré ses mâchoires douloureuses.
Toute envie de discuter avec le prêtre oubliée, Louise s'éloigne vivement, jambes contractées et poings serrés. Elle sort de l'ombre de l'église que le crépuscule allonge. Un vent glacial lui gifle le visage.
Passé le cimetière, un bel homme, en bras de chemise, sort de derrière un fin bouleau dépenaillé qui n'aurait pas suffit à masquer ses mollets. Ses yeux sont intégralement noirs. La jeune fille n’a aucun mouvement de recul. D'un ton qui se veut joyeux, l'homme débute son baratin :
« Alors demoiselle Louise ? La visite à l’église a-t-elle été bonne conseillère ? Qu'avez-vous décidé ? Signerons-nous ce pacte afin de libérer toute cette tension que je sens en vous? Ou, comment disent-ils déjà ? Ah oui! Tendrez-vous l'autre joue?»
Louise le foudroie d'un regard ardent. Ses prunelles rougeoient presque. Un sourire goguenard étire les lèvres de Moloch, prince du pays des larmes.
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