Brad#19 - Génération
Paris, septembre 2027
David rentre, harassé, de sa journée à l’hôpital. Il est 23h. Heureusement, il va avoir deux jours de relâche avant de redémarrer sur une semaine du matin. Il préfère nettement cet horaire car il peut mieux profiter de sa fille et sa femme est moins stressée car elle ne craint pas de revenir du bureau trop tard pour les activités de leur fille.
Il pose les clefs dans le plateau en cuir, souvenir de Florence, retire ses chaussures puis va se laver les mains dans la salle de bain. Il peut enfin retirer son masque, le placer délicatement dans la poubelle isolante, avant de se laver à nouveau les mains. Après une douche, il jette un œil à sa fille endormie avant de se diriger vers sa chambre. En poussant la porte, il est surpris de trouver la lumière allumée et plus encore de trouver sa femme qui l’attend, les yeux bouffis par des larmes à peine séchées.
— Sweet heart, que s’est-il passé ? Olivia va bien ? lui demande-t-il, tout en la prenant dans ses bras.
Sa femme le serre fort, puis le repousse doucement. La main posée sur le torse de son mari, elle le regarde, visiblement troublée.
— David, je ne sais pas comment réagir. C’est Olivia…
— Quoi Olivia ? Elle a eu des problèmes à l’école ? l’interrompt-il, son cœur de père prompt à l’embrasement.
— Non, non. Elle a voulu discuter avec moi et je ne m’attendais pas à la tournure qu’a pris cette discussion.
— Les prémices de l’adolescence et des conflits mère-fille ? moque-t-il gentillement.
— Arrête, je suis sérieuse, dit-elle avec un mouvement d’humeur
— Ok, je t’écoute. Raconte-moi.
— Ta fille à onze ans cette semaine et elle voulait nous parler du port du masque…
Elle lève la main pour éviter qu’il ne l’interrompe.
— … Evidemment, elle n’a rien contre le porter. En fait, cela va bien au-delà. Attends, je te remets ça dans l’ordre. Je suis passée lui dire bonne nuit et j’ai voulu l’embrasser sur le front. Elle m’a à moitié repoussée. Elle voulait me parler. J’ai souri sans même m’en rendre compte. Tu sais comme j’apprécie de la voir mûrir et tester son pouvoir de persuasion sur nous. Là, elle m’a dit de cesser de sourire comme un enfant. Elle a enchainé sur le fait que c’est justement de ça qu’elle voulait me parler. A onze ans, le masque devenant obligatoire, il n’était plus nécessaire que nous ayons ce genre d’attitude envers elle. Pour elle, il s’agit d’une prise de risque inutile.
David se laisse tomber sur le lit, la bouche entrouverte. Sa femme continue :
— Je lui ai demandé de quelle attitude elle parlait et elle m’a répondu : les sourires, les bisous, l’absence de port du masque dans des pièces partagés. Elle a ajouté que les personnes responsables ne se conduisent pas ainsi et que comme elle n’était plus une enfant, elle voulait que la vie soit normale à la maison aussi. Quand je lui ai demandé de préciser, elle m’a énuméré : plus de contact physique, port de masque sauf pour les repas et la douche. Repas qu’elle aimerait prendre seule si possible. Là, je l’ai sentie penaude. Je n’en menais pas large, non plus, je t’assure. Je me suis retenue de lui tendre la main et l’ai regardé tendrement avec un « qu’est-ce que tu n’oses pas me dire ma chérie ? Je sens que quelque chose te dérange. » Et elle m’a répondu en toute innocence : «Maman, je ne sais pas comment tu vas le prendre mais je déteste vos mentons et vos bouches. Je n’en vois jamais et je trouve vraiment ça obscène de vous regarder manger ou sourire. C’est dégueu. Tu comprends ? »
Les yeux humides, David regarde sa femme. Puis prend son visage entre ses mains, abasourdi. Son monde s’écroule.
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