Brad#22 - Eveil
Une branche lui cingla le visage. Lima la sentit à peine. L’Aya chantait dans ses veines. Elle courait sans fatigue. Un chemin s’ouvrait pour ses yeux aux pupilles dilatées, la densité de la jungle ne l’effrayait pas. Elle ne s’appartenait plus. Elle courait et percevait simultanément les battements de cœur des petits aras cachés en haut des palmiers, la course d’un tapir, la pulsion de la sève dans les arbres qu’elle touchait parfois de la main. La forêt était sienne et elle était la forêt.
Les heures s’enfuirent et le soleil s’inclina. Le rideau de verdure céda soudain la place au vide et Lima chuta dans le puit d’eau douce en contrebas. La brusque fraicheur berça son cœur enflammé par l’Aya et elle hésita à rejoindre la surface. Alors qu’elle envisageait sérieusement de se laisser couler, une lueur blanche perçât ses paupières closes. D’un battement de pieds, elle remonta et découvrit l’arbre aux yeux.
Une fierté immense l’inonda avant d’être touché par une sagesse incommensurable. L’arbre blanc regarda en elle et elle sut. La forêt était Lima et Lima était la forêt : chacun de ses habitants, chacune de ses respirations, chacune de ses cellules. Tous étaient liés. Il en était ainsi de tout homme, même s’ils avaient choisi de l’oublier en quittant le couvert des arbres. Elle noua ses bras autour du tronc et planta son regard dans celui d’un œil. Le temps s’arrêta. Le savoir fut partagé. Ce serait sa mission. Elle devait partager son savoir, avec tous, sans pré-sélection. Elle devrait quitter la forêt. La forêt ne la quitterait jamais. Elle serait femme-chamane et porterait sa parole à chaque peuple de la Terre.
— Professeure, professeure, vous allez-bien ? demanda inquiet le jeune Miguel.
Enfant Shipibos, il avait été élevé à la mission catholique de la ville après la mort de sa mère et la jungle le terrifiait.
— Je vais bien Miguel. Pas la peine de hurler, murmura-t-elle péniblement.
— Mais vous pas bouger pendant trois jours. Si le señor Estéban était revenu, lui être très fâché, gémit le jeune homme.
— Va me chercher de l’eau, s’il te plait.
Mila sourit, les lèvres fendillées. Estéban serait bientôt plus que furieux. Elle allait révolutionner son petit univers étriqué, elle allait secouer le monde occidental. Dès qu’elle se serait réhydratée. Mila s’évanouit un sourire aux lèvres. Un évêque bleu vint se poser dans sa main abandonnée. Il y laissa une noix. Un germe en fendait l’amande.
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