Brad #S32 - Le secret le mieux gardé des magiciens
Hugues et Coraline adorent leur grand-père. Il est très très vieux et il leur raconte des histoires incroyables. Ce jour-là, il leur offrit une pépite qu’ils savoureraient encore à l’âge adulte.
- Ah, mes grands. Il est temps que je vous enseigne une importante vérité qu’aucune école de magie ne révèlera à ses élèves.
- Ah, ben, si papi, l’interrompit Coraline du haut de ses sept ans plein de certitude, moi, je vais aller dans la plus grande école de magie du monde, alors ils savent tout et ils vont tout m’apprendre !
- Bien sûr, Coraline, l’apaisa-t-il. Mais savoir n’est pas partager.
Pendant que Coraline essayait de comprend si son papi avait critiqué sa future école, son jumeau s’assit bien sagement, en tailleur, sur un gros pouf fassi, face au vieil homme. Celui-ci bourra sa pipe et commença :
« Vous ai-je déjà parlé d’Eglantine Wöö ?
- Je ne crois pas, répondit Hugues
- Il est bizarre son nom, ajouta Coraline.
- Tu as raison Coraline. C’est que Eglantine était surprenante à plus d’un titre. Elle était la fille d’une Dogon (un peuple du Mali, en Afrique) et d’un indonésien. Son nom complet est Anggun Aïssata¨Wöö mais elle a choisi Eglantine pour les Occidentaux.
- C’est quoi les occidentaux ? demanda Coraline.
- Elle est de quelle couleur alors ? ajouta Hugues, pensif.
- Les Occidentaux, c’est vous les enfants. Les gens qui vivent en Europe et en Amériques. Et pour sa couleur : mi citron, mi-chocolat, sourit le grand-père.
- C’est raciste, ça, papi ! s’insurgea Coraline.
- Oui. Un peu, au goût d’aujourd’hui. Mais c’est elle qui le disait.
- Elle est morte ?
- Non, non. Elle est actuellement l’une des directrices de l’Academia Dragonului, en Roumanie.
Hugues se leva d’un coup.
- De vrai ! Tu connais la chef de l’école des dragons, s’exclama-t-il les yeux plein d’étoiles.
Coraline ne partageant pas l’enthousiasme inépuisable de son frère pour les dragons le coupa :
- Chut. On s’en fiche des dragons. Je veux savoir la chose importante.
Le grand-père fit un clin d’œil à son petit-fils et l’invita à se rasseoir.
- Ecoutez-moi bien car cette leçon vous ne devrait pas l’oublier.
Coraline se cala avec trois coussins et hocha la tête.
- Je vous l’ai déjà raconté, je n’ai pas grandi ici en Italie. J’ai grandi sur une grande île qui s’appelle Java. Et à Java, en ce temps-là, on n’apprenait pas la magie en latin.
- On peut pas faire de magie sans connaitre ses sortilèges en latin. C’est mama qui le dit.
- Et bien Coraline, ta maman a tort. Elle a oublié que petite, son premier mot de magie était du javanais.
- C’était quoi, demanda Hugues, très sérieux.
- Lejechajavoljol, au grand dam de Mistigri.
- Mistigri not ’chat ? demanda Coraline
- Pas votre chat ma chérie. Ta mère n’a jamais eu une grande imagination, marmonna le vieil homme en soufflant trois ronds de fumées en forme de chats.
- T’as dit quoi papi ?
- Rien, rien, mon grand. Pour en revenir au chat, il s’est envolé. C’est le sens de cette incantation.
- Donc, on peut faire de la magie sans parler latin, d’accord. Et l’histoire de la dame, c’est quoi ? insista le petit.
- Eglantine avec des parents si différents savait déjà que la magie est bien plus simple que ne se plaisent à croire les grands magiciens d’une certaine école anglaise. Quand vous serez en première année à La Scuola dei Grandi Magi Romani , vous passerez des heures à tourner votre poignet d’un quart à droite, pencher la baguette de trente degrés vers le bas en articulant Amplificatum ou de quarante-cinq degré vers la droite pour Stupeflix. Les parents d’Eglantine étant tout deux magiciens, et aucun ne parlant le javanais, elle n’usait jamais de Chajastajatuju pour figer un chat mais juste d’un « Chat ! » cinglant assorti d’un claquement de talon.
- Mais c’est n’importe quoi, protesta Coraline.
- Et ça marchait, papi ? demanda Hugues, le cou tendu vers la réponse.
- Bien sûr. Au désespoir de nos professeurs. La javanaise n’est pas une langue facile pour les incantations, alors à quoi bon apprendre un truc compliqué si c’est pour y arriver d’un seul mot et claquement de pieds.
Hugues et Coraline se regardèrent, sourcils froncés. Comme à chaque fois, le grand père leur laissait quelques minutes pour réfléchir avant la grande révélation. Cette fois, c’est Hugues, les yeux ronds comme des soucoupes, qui se lança :
- Dis papi, si on peut faire de la magie dans plein de langues, alors c’est pas les mots qui comptent pour de vrai ?
- Tujuajaconjonpriji
- Quoi ? demanda Coraline tandis que Hugues rosissait de plaisir.
- Coraline, ton frère a compris qu’en réalité les mots et les gestes n’ont pas tant d’importance.
- Bah pourquoi on les apprend alors ? C’est quoi qui compte ?
- Ce qui compte, ma sémillante jeune magicienne, c’est l’intention. Il faut dicter, avec son cœur, ce que l’on souhaite faire, à sa baguette.
Les deux petits le regardèrent, bouches ouvertes. Il en profita pour poursuivre :
- ...l’important, c’est l’intention et si vous répèterez mille fois ce stupide Stupeflix, c’est pour créer dans votre mémoire un lien entre ce mot, le geste et le résultat. Vous allez vous habituer à ce que Stupeflix aille avec une intention de figer quelque chose. Là où un Dogon apprendra beku avec un hochement de tête. Et les deux marchent.
Coraline secoua la tête. Même Hugues n’en revenait pas.
- Vous ne me croyais pas ? Je vous montre. Konjonsonejoneajalajaporjorteje.
Aussitôt la sonnette retentit ainsi que le pas pressé de leur mère.
- ça prouve rien, protesta Hugues pendant que Coraline essayait encore de décrypter le javanais.
- Môssieur mon petit-fils veut du sensationnel. Ah ah ! Très bien. Bonjonbonjonvienjienicijici
Une corbeille de friandise apparut sur les genoux du magicien. Les enfants se précipitèrent et levant la main pour les retenir, leur grand-père, sans dire un mot, tendit sa baguette, exécuta un cercle avec un mouvement sec vers la fenêtre et la corbeille apparut de l’autre côté du carreau.
- Oh non !
Les petits le supplièrent des yeux. Il claqua de la langue en tapotant leurs têtes avec sa baguette et un bonbon apparut dans chacune de leur bouche, déclenchant une moue délicieusement gourmande. Ils n'oublieraient pas.
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