Cauchemars
J'entrouvris la porte. Sur le lit du dessus, Jeanne dormait à poings fermés ; sa respiration était à peine audible. Mais en dessous, Blanche ne dormait plus.
Je pouvais apercevoir sa peur et ses lèvres tremblantes dans l'obscurité de la pièce. Les yeux vers le plafond, elle ne m'avait pas remarqué. Pourtant, je m'étais éveillé en sursaut, persuadé qu'elle avait crié.
Je m'approchai et elle se tourna enfin vers moi.
- Ne dors-tu pas ? lui demandai-je bêtement.
- Non, et toi ? répliqua ma douce amie avec un soupçon d'ironie dans sa voix.
Je m'enhardi à m'asseoir près de son lit, à même le sol, mon visage au niveau de son visage. Mes doigts recueillirent délicatement les gouttes de rosée qui tombaient abondamment de ses yeux et remplacèrent quelques mèches derrière son oreille.
- Tu as fait un cauchemar...
- ... Oui...
- Veux-tu me le raconter ?
- Non.
Le ton de ses murmures était devenu sec. Je décidai de ne pas insister et de changer de sujet. Ma senestre caressait ses cheveux, tandis que ma dextre avait été kidnappée par les fébriles mains de mon interlocutrice.
- Tu étais la reine de la soirée, Blanche, le savais-tu ? As-tu vu tous ces regards admiratifs posés sur toi ? Blanche... tu étais magnifique...
Je continuais sur le même ton calme à lui parler de la soirée et elle buvait mes paroles. J'essayais de reproduire sa méthode qui amenait les gens à se confier à elle. Je savais qu'elle n'était pas et ne serait jamais "les gens", mais cependant elle finit par me confier son affreux rêve.
- Je le fais souvent depuis que j'ai revu Sylvie. J'ai peur Eric. Elle m'a tout pris et dans mon cauchemar, je la vois triomphante sur le tombeau de ma chère maman, admirant son œuvre de chaos et toutes nos vies détruites et dispersées aux quatre coins de la France. Et dans mon rêve, il est avec elle...
- Qui, il ?
- Je me suis fait la promesse de ne plus prononcer son nom. Désormais il n'est plus pour moi que Judas le traître... C'était mon frère. Il n'est plus qu'un homme parmi les hommes, sans remord de son crime.
Durant quelques secondes je revis l'affrontement de l'enterrement et ce jeune homme froid. Blanche l'avait bien griffé puisque dans mon souvenir il était reparti la joue en sang. Je repris doucement en appuyant sur chacun de mes mots.
- Blanche. Douce Blanche. Sylvie a gagné une bataille, oui. Elle a dispersé tes frères et sœurs, oui. Ses actions odieuses et criminelles ont tué ta mère, oui. Elle a envoyé son fils dans un fauteuil, oui. Elle est irrécupérable, sans doute. Mais elle n'a pas détruit ni ta vie, ni celle de tes frères et sœurs. Non, laisse-moi terminer, Blanche. Ce que tu fais en ce moment doit cesser. Arrête, je t'en supplie car la vengeance n'a jamais servi à rien. Que veux-tu donc ? C'est toi qui lui donne sa victoire en tombant dans le cercle vicieux de la vengeance. Laisse tomber, Blanche. Dieu voit ce qu'elle t'a fait. Dieu est justice, Blanche. Ce sera Lui, ta revanche. Laisse-Le faire. Et tourne la page.
- Mais c'est si dur Eric ! Je ne peux pas. Et j'ai attendu Sa justice, mais Dieu ne m'a pas répondu.
Les larmes inondaient l'oreiller.
- Le temps de Dieu n'est pas celui des hommes. Dieu t'aime, Blanche. Il est mort transpercé, sur une croix pour toi. Pour ta maman. Pour ta famille. Pour moi. Mais aussi pour tous les criminels. Ce sont des enfants égarés à qui Il donne une chance de revenir à Lui. Mais quand ils n'écoutent pas sa voix et font du mal aux touts petits, alors grand est le courroux de Dieu. Ton cri de désespoir a été entendu, Blanche, sois-en certaine. Dieu a vu tes douleurs. Au temps fixé, son bras s'abattra sur tes oppresseurs. Mais souviens toi Blanche, que Jésus a pardonné, même à Judas...
- Mais je ne suis PAS Jésus ! Je ne peux pas. Je n'y arrive pas...
Sa voix se perdait dans les sanglots. Mon cœur saignait de la voir dans cet état. Je m'assis sur son lit et l'attirais à moi. Elle tremblait. De froid, de rage, de désespoir, de chagrin...
- Qui suis-je, Blanche, pour exiger de toi le pardon ? Si tu ne peux pas, ne leur pardonne pas. Pas encore. La plaie est trop récente. Je ne peux te demander d'oublier car c'est impossible. Mais souviens toi, qu'une guide regarde en avant ! Je vais demander ta main, Blanche et nous nous marierons. Tes frères et sœurs seront présents, nous ferons tout pour cela. Aucun de tes frères et sœurs ne sont détruits, Blanche. Chacun d'entre eux ont gardé espoir. Vous avez toujours été une famille unie et solidaire. Rien n'a changé. Un jour, vous vous retrouverez. Ne regarde plus le passé, Blanche. Regarde l'avenir ! Tu seras ma femme, tu seras la plus grande couturière du pays, la plus belle aussi. Tu seras maman à ton tour... Et un jour, justice sera faite. Je t'en fais le serment.
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