I-d-
Dans son bureau Saïtan ne prit que le strict nécessaire pour rejoindre l’AN-F-R. Il n’était pas matérialiste et s’était toujours moqué ouvertement de ceux qui s’attachaient aux objets. Il n’avait pas de famille, hormis sa mère avec qui il entretenait des relations distendues et qui venait de reprendre un second enfant, pas d’ami, Issa avait été le seul avec une amitié solide s’était liée, mais avait tout de même quelques affaires à régler à l’AN-F-R avant de partir pour un exil dont il ne savait pas s’il en reviendrait. Avant de quitter définitivement l’AN-G, Saïtan passa par le bureau d’Issa. Les enclos avaient été transportés dans l’E-D-N et le silence rappelait que l’occupant ne reviendrait pas. Issa n’avait pas d’attaches et de toute façon, comme son ami, n’accordait que peu de valeur aux inertes mais, pour une fois, Saïtan aurait aimé emporter quelque chose qui lui rappelle les heures partagées. Rien de personnel n’attirait l’œil et, abandonnée sur le plan de travail, seule une masse de glaise rougeâtre commençait à s’effriter.
Sur l’AN-F-R, Saïtan fit des adieux expéditifs, et à ses connaissances, et à sa famille où il vit le bébé qui grandirait sans connaître son frère, expliqua sommairement comment s’étaient déroulés les évènements, chargea sa mère de relater plus tard à sa petite sœur ce qu’il était advenu, rencontra N-R-V qui lui apprit que le Verb venait d’être dissout suite à ses protestations chargées de menaces, rendit une visite prolongée à Lilite, devenue propriétaire du seul mobile créé par Issa qui aurait une vie en dehors de la petite planète, afin de lui faire entendre les enjeux liés au futur de sa petite protégée et, au bout des deux jours, rejoignit l’A-G-N.
Ils se retrouvèrent soixante-treize exilés dans le cargo, presque tous créateurs de mobiles. En effet, les créateurs de mobiles s’appuyaient sur le travail des forgeurs d’histoires et des brodeurs de statiques et, ceux-ci ayant terminé leur tâche, ils avaient en grande partie rejoint leurs résidences avant que la rébellion soit enclenchée.
À bord, l’ambiance était morose et les échanges se réduisaient au minimum. M-K-L se tenait à l’écart, chargé de rancœur, à peine remis de ses blessures, ses yeux ne quittant pas Saïtan, installé auprès de ses anciens collègues.
Brusquement M-K-L s’avança en direction de Saïtan, en criant clairement :
— Tout est de ta faute, Saïtan de malheur !
Saïtan releva la tête, surpris, et confia le petit sac qu’il tenait à son voisin. Il se leva, vint au-devant de M-K-L, le défiant du regard, et s’arrêta à quelques pas de l’ancien garde. M-K-L n’était plus revêtu de son armure protectrice, mais n’en paraissait que plus redoutable. Il ne se forma pas de cercle autour des deux anciens AN-Gs mais tous les yeux étaient braqués sur eux. Ils allaient bientôt atterrir et chacun savait que sur leur terre d’exil, il n’y aurait plus que la loi qu’ils mettraient eux-mêmes en place qui s’appliquerait. Autant mettre les choses au point dès le début et ne pas laisser les ressentiments empoisonner la vie de tous. Il fallait un chef, et un combat permettrait de départager les prétendants.
Saïtan et M-K-L étaient conscients des enjeux. Jusqu’à présent Saïtan avait rassemblé les créateurs derrière lui, ou plutôt derrière Issa, mais sans avoir recherché la suprématie. M-K-L était lui un fervent adepte de l’autorité musclée, ne voyant en Saïtan qu’un petit malin qui s’avérerait inefficace à mener un rassemblement d’intellectuels démunis, et ne doutait pas que sa force pourrait être garante d’une certaine stabilité. Dans le lot gagnant se trouvait non seulement leur place au sein du groupe mais l’avenir du groupe même.
Face à M-K-L, Saïtan jouait de la gloriole tout en se demandant si en réalité il avait une seule chance de s’en sortir. Certes, il avait failli avoir le dessus lors du dernier affrontement, mais c’était sous le coup de la colère. Il sentait que son point fort serait l’esquive, être rapide et avoir son adversaire à l’usure. Toutefois, dès qu’il eut l’impression que M-K-L tentait un assaut, il se lança lui-même dans le corps à corps et, comme un remake du combat précédent, s’enroula autour de son rival. Puis serra.
Saïtan réussit à assurer sa prise et se mit en devoir d’étrangler son adversaire, mais M-K-L avait gardé ses deux bras libres et lui aussi enserra le cou de son agresseur. Ce serait à celui qui résisterait le plus longtemps.
Le cargo étant arrivé à destination, les portes s’ouvrirent brutalement et le plancher s’inclina. Les deux combattants déséquilibrés roulèrent au sol. Aucun ne relâcha sa prise. Saïtan manquait d’air. Dans un ultime effort, il fit un quart de tour sur lui-même pour libérer sa gorge. Il eut le temps d’aspirer un filet de la nouvelle atmosphère qu’il recracha aussitôt sur les ailes de M-K-L. L’haleine magnésienne de Saïtan ne lui avait jusqu’à présent jamais valu de compliment mais, mélangée à la forte teneur en oxygène de la nouvelle planète, elle devint l’un de ses atouts majeurs : les plumes de M-K-L s’enflammèrent sous le souffle de son adversaire.
Les deux belligérants s’écartèrent vivement l’un de l’autre, M-K-L roulant sur lui-même pour éteindre le feu et Saïtan tentant de reprendre son souffle.
— Ce n’est pas fini ! gronda M-K-L en se redressant, une fumée âcre accompagnant le mouvement.
Cependant, il ne fit aucun geste agressif en direction de Saïtan, un nouveau jet de flammes lui apportant par avance une réponse explicite.
Comme M-K-L s’éloignait, Saïtan lui cria de manière à être entendu de tous :
— Si tu t’en prends à un seul des mobiles d’Issa, tu auras affaire à moi !
Rompu, ayant épuisé ses ressources en magnésium, il s’assit sur un rocher et fut bientôt entouré de ses camarades. Le groupe resta silencieux pendant que le cargo s’éloignait.
A-I-Q s’approcha de Saïtan et lui rendit le sac qu’il lui avait confié.
— C’est tout ce que tu as emporté ?
— Oui
— Et qu’est-ce que tu veux en faire ?
— Le jeter…
Puis, ce fut R-F-L qui apporta à Saïtan un objet oblong, soigneusement emmailloté.
— On a trouvé ça dans la soute…
Saïtan s’en saisit et défit les rubans qui protégeaient l’article. Une épée flamboyante apparut. Il la recouvrit de sa protection sans dire un mot. Une arme de la garde, elle ne pouvait avoir été apportée que par M-K-L.
Il se remit debout, fatigué du poids qu’il sentait que ses collègues voulaient lui faire porter.
— Ce n’est pas mon rôle de vous dire quoi faire. Dispersez-vous et surveillez les créations, que l’on n’ait pas travaillé en vain, ou faites comme vous le voulez. On tentera de régler les problèmes au fur et à mesure qu’ils se poseront.
Il soupira, ne voyant pas quoi ajouter, n’arrivant pas à signifier clairement qu’il ne voulait pas être un chef, ni un Di-E, ni un D-S.
— Nous ne savons pas combien de temps l’exil durera… Faisons en sorte que ça ne vire pas au cauchemar. Et si vous avez besoin de moi, vous pourrez me trouver près des U-M-1s… Tant que je ne saurai pas ce que M-K-L a l’intention de faire.
Ses compagnons furent consternés. Laissés à eux-mêmes, sans directive, ils ressentaient plus lourdement l’abandon. Certains se regroupèrent et partirent explorer les environs. La plupart resta sur place, tentant de trouver un consensus sur l’organisation de leurs vies futures.
Fin de la Partie I
(La seconde et la troisième parties n'étant pas écrites, il est inutile de les attendre ^^)
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