Le carnage d’une lame dansante.

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Dans un entrepôt vétuste acheté pour une somme dérisoire en île de France, se trouvent de nombreuses camionnettes pleines de drogues.

C'est le Gang auquel j'appartiens, a fait un très bon investissement. C’est isoler, tranquille et facile à surveiller.

C’est aussi un lieu de rassemblement pour revendre aux dealers des sachets. Ce fameux Gang est la branche d'un réseau bien plus grand qui marche bien, mais sa croissance s’est faite en versant le sang. Peu de gens sont innocents dans ce milieu, je crois être bien le seul avec mon pote à ne pas avoir tué quelqu'un.

C’est un métier bien risqué entre la police qui nous cherche et les concurrents que l’on craint plus que les autorités, ça craint.

D’ailleurs, les dealers d’une autre faction ont disparu, leurs corps sont enfouis profondément dans la terre. Et ce n'est même pas de notre fait, on les a juste retrouvées par hasard non loin de nos points de deal. Non, vraiment, ce n’était pas nous.

Mon rôle, quant à moi, est simple. C'est de veiller à ce que personne ne s’approche de nuit. Je me demande bien qui serait suffisamment stupide pour venir ici seul à cette heure si tardive.

Cet entrepôt est grand au point de pouvoir contenir vingt camionnettes. Le toit est suffisamment haut pour accueillir un poids lourd, et même plus, le seul petit problème est qu’il y a des trous de part et autres, mais c'est sans importance, il faut avoir la taille d’un enfant pour s’y faufiler.

Un soir, il y a un rassemblement et une réunion stratégique. Ce soir, le ciel est recouvert de nuage et comme tous les soirs, j’observe l’extérieur.

Mon amie et colocataire aussi, j’ai nommé Amir, m’invite à l’intérieur pour me rafraîchir un coup, une petite pause de cinq minutes.

Je bois cul sec la bouteille de bière, les yeux tournaient vers le toit, je discerne dans l’un des trous une tête. Mais je ne suis pas certain, à cause, de mon état. Il faut dire, je tiens mal l’alcool. Alors je pointe du doigt pour le montrer.

- Amir, tu vois ce que je vois ? Il y a quelque chose, je crois.

Il regarde dans la direction désignée, concentré sur la forme.

- ouais, je vois ce que tu vois Marcel. C’est un pigeon.

Il semble sûr de lui, mais moi, je ne constate pas la même chose.

- Nan, pas un pigeon, trop gros.

Amir sourit, bouteille à la main, déjà prêt pour s’enivrer encore.

- Un très gros pigeon ramier alors.

Puis la lune dévoile tout, des griffes sur ses mains qui ouvrent le toit avec force, la chose tombe sur une de nos camionnettes, elle se redresse lentement, une femme noir ébène au sourire terrifiant, scintillante de bleu.

- Bonsoir, Messieurs.

Elle a une voix sombre et déformer. Nous pointons nos armes sur elle qui reste immobile telle une statue. Sa main désigne un homme.

- Vous, vous avez tué quelqu’un.

Puis un autre.

- Vous aussi et…

Un autre, j’ai l’impression qu’elle nous prend pour des abrutis.

- Vous aussi.

Elle caresse quelque chose d'accroché à sa hanche, une sorte de fourreau.

- Il y en a beaucoup des meurtriers ici. Dites-moi, que trafiquez-vous ?

Un homme se moque d’elle et il y a de quoi. Nan, mais franchement, que trafiquons-nous… La meilleure blague de l’année.

- Rien, ma jolie, rien. Mais si tu veux, on peut s’occuper à te regarder, tu veux bien nous distraire ?

- Je ne suis pas ta jolie, mais…

Elle rit, l’ambiance est malsaine, l’air n’est plus le même, je crois qu'elle est bien plus qu’une femme.

- Je vais vous distraire en vous tuant.

L’homme tire avec son pistolet une seule balle, elle fait un geste rapide, presque invisible à nos yeux, elle a sorti une lame noire, un katana.

- Il est temps de dormir Messieurs, pour l’éternité.

D’un bond, elle s’approche et coupe en deux l’homme qui s'était moqué d’elle à la verticale, nous lui tirons dessus sans retenue ; puis d'un seul pas, elle disparaît de notre champ de vision. L’instant d’après, les quatre autres hommes proches du mort se font tuer. La chose est repassée à une allure inhumaine tout en coupant leur tête. Au passage, elle a pris dans sa main libre un homme, elle le jette la tête en première contre le mur à côté de moi.

Sa cervelle gicle sur le mur et son crâne fendu est méconnaissable. OK, là, je suis sûr que ce n’est pas un pigeon ramier !

Je tremble, je tire, elle tranche dans le vide, ma balle vu l’étincelle se scinde en deux, deux hommes derrière tombent. Elle en rit et tourne la tête pour regarder.

- Jolie, tire, mon brave. En plein dans leurs têtes.

Elle disparaît à nouveau derrière une camionnette. J’assiste à un carnage sans nom et une volée de têtes et de corps, totalement impuissant face à son aisance de se mouvoir. J’essaie de la tuer et de la maintenir en mire, c'est presque impossible de suivre. Une exécutrice sans remords qui emporte dans la mort de par son épée des hommes forts, tranchés, transpercés, décapitée, la précision mortelle dans toute sa terrible grâce.

Cette lame qui traverse même la carrosserie d’une voiture pour perforer encore une fois une tête. Cette lame qui à chaque fois qu’elle rencontre la taule grince qui fond à son contact, une odeur de plastique et d’acier brûlée envahit le bâtiment.

Le sol est jonché de cadavre, l’air presque impossible à respirer à cause de cette ignoble odeur de chair brûlée ou crue. Cette lame suintant de sang s'extirpant du dernier vivant. Elle est maudite et en veut plus, je crois même l'entendre vibrer, un tintement aigu quasi-imperceptible qui susurre à nos oreilles son désir de meurtre.

Amir et moi sommes face à elle, illuminée par la lune, l’éclat rouge du sang sur le sol et cette vision d’horreur, tout est limpide, clairement, nous n’avons aucune chance. Elle nous regarde entourer au milieu de cette scène macabre. On vide nos chargeurs avec l’énergie du désespoir, mais pour chaque coup elle frappe les balles avant qu’elles ne lui parviennent.

- Piou et piou.

La sournoise démone s’amuse, penche la tête sur un côté, les yeux braqués sur nous, ses prochaines victimes.

- Voici ce qui me parvient, des petits bruits inoffensifs. Jetez vos armes Messieurs et je vous laisse partir.

Amir tremble et hésite à appuyer. Il va faire le con, c’est sûr et certain !

- Non ! Et reste loin de nous !

- C’est votre peur qui parle ?

Elle fait un pas vers nous, alors je recule.

- Oui, c’est bien elle. Écoutez là plus attentivement, fuyez en laissant vos armes ici et vous survivrez, sinon, vous mourez.

Elle s’avance lentement, la mare de sang bouillonne là où l'étrange lame pointe. Rien que de nous frôler pourrait lui suffire à nous faire cuire comme du poulet. Alors je lâche mon pistolet, mais mon ami est têtu, il veut vraiment se faire tuer !

- Lâche la Amir et suis-moi ! On ne peut rien lui faire !

Il obéit et m'emboîte le pas dans ma fuite, après lui avoir pratiquement déboîté l’épaule en le tirant vers la sortie. Nous sortons de l’entrepôt, nous nous éloignons de ce cauchemar, je me retourne et je la vois sortir elle aussi, toujours à nous observer. Nous prenons notre voiture et on fuit en quatrième vitesse.

Ainsi nous partons en direction d'une boite de nuit qui fait du strip-tease appartenant au réseau, c'est un clicher certes, mais la réalité et que cet endroit cache des trafics encore plus sordides. Le patron de tout notre réseau n’est trouvable qu’ici, on l’appelle JG, Joe le grand. Un homme d’une taille impressionnante et une musculature qui l’est toute autant. Deux choses l’énervent, lui faire remarquer que les gros cigares sont démodés et les balances.

La musique et les danseuses omniprésentes divertissent les clients de minuit. Il y a une estrade pour VIP avec une personne au crâne rasé, c'est JG qui est évidemment entouré de jolies filles et d’amis qui observent le spectacle.

Nous parlons au serveur du bar, qui communique avec JG via une ligne téléphonique interne. De là où il est, il peut nous voir. Deux gardes nous invitent à monter.
Le patron est un homme démodé qui se donne un genre distingué, il est toujours affublé des classiques chaînes en or, de ses lunettes disco en or aux verres de même couleur, mais c'est une personne accueillante. Grand sourire, bras ouverts, il nous dit avec une voix des plus chaleureuse et joviale possible.

- Mes chers et inestimables collaborateurs, installez-vous donc ! Profitez du confort de ce fauteuil, vous semblez éreinter ! Vous voulez un verre ?

Je décline poliment sa proposition et nous lui racontons ce qui s'était passé. Après nous avoir écoutées sans interruption, il fronce des sourcils et demande.

- Une seule femme ?

Il regarde les autres sérieusement, le sourire qui s'efface.

- Les filles disposées. La discussion est très sérieuse.

Ce qu’elles font. Je suis inquiet, JG a un regard moins chaleureux. Il semble même suspicieux en regardant par-dessus ses lunettes.

- Nous sommes désolés de n’avoir rien pu faire.

Il croise les bras, finit son cigare et l’écrase sur le cendrier.

- Pourquoi alors vous a-t-elle laissé partir ?

Amir répond spontanément.

- Si nous le savions, on vous l’aurait dit.

Il soupire, les mains jointes, sûrement dues à une réflexion intense, c’est une personne connue dans notre milieu pour envisager nombreuses possibilités.

- J’aimerais vous croire, mais j’ai des doutes. Vous comprenez, cette histoire ne tient pas debout.
Puis toutes les lumières s’éteignent, finis les couleurs violet et rose. Une autre musique passe en coupant l'autre. JG alors se lève et hurle.

- Qui a lancé ce son ! Je n’ai pas donné d’autorisation pour une impro !

Son regard se focalise sur la même chose que nous, une femme parcourut de scintillement bleuté, marchant avec élégance sur le podium central.

- C'est elle !

Crie Amir désespérait. Elle danse, je ne sais pas pourquoi, mais elle danse. JG semble subjuguée, oh non, pas encore !

- Jolie dance du ventre et faite avec passion qui plus est. J’aime cette déesse.

Et voilà, nous l'avons perdu ! Depuis toujours, il est obnubilé par les jolies femmes, bien plus que n’importe quel homme et celle-ci la charment, je ne vois pas comment. Enfin si, elle a un déhanché très impressionnant et osé, ainsi qu'une maîtrise de ses muscles ventrale digne d’une professionnelle. Mais bordel ce visage de l’enfer ! Il n’y a rien de beau dans son costume !

Elle prend la barre comme le ferait l’une des danseuses. Une abominable déesse qui virevolte, s'abrogeant de la gravité qui n'a plus aucune emprise sur son corps, JG semble en transe, emportait par ce déchaînement de technicité sportive.

- Cette grâce, cette force...

Elle tourne autour de la barre entre les cuisses et remonte comme attirer par le plafond sans le moindre effort. Soudain, elle saute vers nous comme une ballerine.

- Quelle beauté, serait la perfection incarnée ?

Bras ouvert, il laisse la lame noire lui parvenir, brillante de la lumière de la démone et transperce le cœur de JG, les pieds s'arrêtent sur la rambarde de l’escadre. Le son monte, couvrant les voix au-delà de notre zone, des lumières bleues illuminent les clients, mais nous, nous sommes dans le noir. Personne ne nous voit ni ne nous entend.

- Suis-je toujours belle ?

Non, elle est affreuse. La musculature noire sans peau est d'un mauvais goût. Et malgré tout cela, JG est en admiration devant cette horreur.

- Oui. J’aime ces petits détails que sont les rubans en tissus noirs, scintillants de bleu qui pendent de vos étranges oreilles.

Amir cri de stupéfaction.

- Oh, putain, il est encore en vie !

- C’est normal, ma lame n’a pas atteint le cœur.

JG sourit à son tour à pleine dent, posséder par ce qui lui paraît être la perfection.

- Que veut donc une si sublime femme à un homme comme moi ?

Ses hommes pointent leurs armes, JG crie.

- Inutile !

Il rit, atteint d’une sorte de folie.

- Si c’est vrai, si votre histoire est fidèle, alors pour cette femme fatale, on est inoffensif.

Et sans la moindre émotion apparente, elle acquiesce.

- En effet, JG, vous avez compris. Maintenant ce que je veux savoir, c'est la vérité. Avouez l'intégralité de vos crimes, meurtres, trafics d’armes, de drogues et d’organes. Si vous le faites, je vous accorde une mort sans douleur. Par contre si vous mentez, je vous laisserai agoniser des heures en pleine forêt.

Il avoue ses méfaits sans broncher. Alors elle retire sa lame pour armer son coup, elle prend son temps, JG en profite pour lui poser une question.

- Pourquoi demander ce que vous savez déjà ? Pourquoi de cette manière ?

Elle répond avec toujours cette voix sombre, satisfaite des réponses.

- J’aime confirmer ce que je sais déjà, surtout de celui qui en est l’instigateur. Quant à la façon, vous n’auriez pas répondu autrement.

JG acquiesce.

- En effet, autrement, je n’aurai pas répondu.

Il ferme les yeux avec toujours le sourire aux lèvres, tout en faisant face à la sombre déesse qui lui coupe la tête puis celles de ces hommes avec une rapidité telle qu’ils ne crient pas. Quant à nous, nous survivons. Cependant, avant de nous laisser seuls au milieu des corps elle nous dit avec douceur, mais aussi une autorité qui me rappelle ma mère.

- Vous êtes innocent, deux veilleurs de nuit avec aucun sang sur les mains. J’espère ne jamais vous revoir dans les mêmes circonstances, car sinon, je serai obligé de vous punir très sévèrement.

Cette perspective ne nous enchante pas du tout. Nous n’avons aucune envie de nous faire sabrer comme une bouteille de champagne. Amir et moi, nous renterons directement dans notre appartement, tous nos contacts sont soit morts ou sont soit cloîtrées comme des Hikinomoris effrayées par ce qu’il y a dehors.

La police a mené une enquête, il n’y a aucune preuve qui nous implique, et c'est tant mieux, ils ne peuvent pas nous arrêter sans ça. Nous nous sommes tous tu quant à son sujet, cette terrible femme dansante avec une lame noire. Malgré ça, la police sait qu’elle était là, mais on a nié, ce serait avoué notre complicité. De plus, Amir et moi n’avons jamais fait de mal à personne. C’est sûrement cela qui nous a sauvé la vie.

Il n’empêche, j’avais raison, ce n’était pas un pigeon.

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