Le petit ange sauvé de l’enfer part une fille de l’ombre.
Mon père, ma mère et moi, nous cherchons des cadeaux de Noël qui arrive dans deux semaines, surtout pour grand-mère. Nous sommes à Paris, lumineuse comme toujours, le soir est l’un de mes moments préférés, j’aime beaucoup observer les étoiles ou les lumières de la ville.
Il n’est pas facile de trouver quelque chose pour grand-mère, elle a toujours eu des goûts difficiles, mais elle est si gentille, généreuse et bienveillante.
C’est pour toutes ces raisons que nous prenons autant temps ce soir.
Un vêtement ? Déjà fait l’année dernière. Un appareil électronique ? Elle a déjà tout ce qu'il y a de plus moderne. Une voiture ? Elle préfère la moto et il est hors de question de changer sa vieille bécane, elle l'adore trop.
Ça me fait penser à cette fois-là où elle m’a parlé. Sa fille, soi ma mère, ainsi que mon père, lui ont offert le plus beau qui soit, moi, une petite fille.
Alors je me pose la question depuis déjà quelques jours. Que lui manque-t-elle ? Même la santé, elle l’a encore. Son mari est toujours vivant et notre famille est aisée, on nous dit privilégiés ou chanceux.
Surtout moi, je suis blonde aux yeux bleus alors on dit que je serai très jolie quand je serai grande. Si je prends suffisamment soin de moi, je serai aussi belle que ma mère. On me dit, très souvent, que je serai l’abri de tous. Si seulement, c’était vrai.
Je m’éloigne de mes parents et je vois une librairie, elle aime beaucoup la lecture. Là, je suis happée par une force inouïe et enfermée dans une voiture.
Réagir ! Je dois réagir ! Je hurle, porte bloquée, mes parents essaient de me sauver, criant mon nom.
- Cassia !
Mais la voiture démarre, les portes sont verrouillées ! Sécurité enfant, mon œil ! Je veux sortir ! S’ailler, je ne les vois plus, je m’adresse à l’homme qui conduit.
- Qui êtes-vous ?!
Il pointe une arme, je suis tétanisée de peur, mes jambes ne me portent plus.
- Tais-toi petit ange où je serai obligé de te réduire au silence. J’ai besoin uniquement de ton cadavre.
Je ne suis pas si chanceuse que ça et je ne suis pas du tout à l’abri ! Et dire que je me suis projeté pour mon onzième anniversaire dans quatre mois ! Les minutes qui suivent, j’entends les sirènes, il accélère, les coups de volant me donnent envie de vomir, j’essaie de trouver un objet pour briser les vitres, je tape du poing avec toute ma force.
- Si tu continues, je te tue ! Un coup bien placé dans ton cœur et tu ne pourras plus rien faire ! Crois-moi, c'est très efficace !
Je lui obéis, la poursuite continue un moment, mais jamais la police nous retrouve, il connaît Paris très bien.
- Mais qui êtes-vous enfin ?
Il répond, le visage déformé par la folie.
- Cela a peu d’importance, ce que je veux, c’est ton corps.
Mon corps ? Ce regard malaisant, lubrique. Non… C’est un pervers ?! Quoiqu’il arrive, je ne vais sûrement pas m’en sortir, prendre le volant ! Je vais essayer de nous mettre dans un mur et de m’échapper ! À peine dressé, il me frappe le visage, il pointe son arme puis donne un coup de volant à la vue de la police ! Il est trop attentif ! Ce n’est pas vrai !
- J’aimerais éviter de trop t’abîmer, je dois créer un être parfait, quoi de mieux que le visage d’une enfant.
Oh non, je vais me faire disséquer par-dessus le marché ! Presque une demi-heure de poursuite, nous quittons la capitale ; une autoroute vide ? C’est là qu’il se met à beugler.
- Merde ! Ils savent où on est, ils ont bouclé le secteur. Heureusement, mon 4X4 a un pare-buffle et des pneus épais, ils ne pourront pas nous avoir avec un simple barrage !
Il rit encore ! Je crois avoir trouvé la définition incarnée de fanatique !
- Rien ne peut arrêter ma quête divine !
Il est complètement fou ! Plus d’espoir, il me tuera sans doute si quelqu'un essaie de l’arrêter ! Je suis un otage et une grenouille à disséquer, qu’ai-je faits pour mériter un tel sort ?! Si Dieu existe, qu’il entend ma prière, envoie-moi n’importe qui pour me sauver ! N’importe qui avant que ce dingue nous tue dans le barrage !
- Le voilà, huit-cents mètres, pied au plancher et défonçons cette barrière de flics !
Je vois les lumières rouge et bleu au loin, à droite dans la forêt, il y en a une autre, azure comme le ciel. Elle éclaire les ténèbres des bois. Il y a une grille juste avant, la lumière, la traverse et… La grille brûle ? Elle brûle et fond ! Toute la clôture est soudainement parcourue d'arcs électriques, c’est vraiment spectaculaire.
Les lumières des gyrophares sont éclipsées par cette lueur si forte. Elle s’approche si vite ; puis le temps, il s’écoule si lentement, même mon cœur semble figé.
Des éclairs, une silhouette, je vois un visage noir, il me sourit, le plus grand que je n’ai jamais vu de ma vie. Des mains avec des griffes traversent le pare-brise, l’éventrent, la tête s’y engouffre. Le corps s'y glisse comme un serpent, pieds et mains d’acier s’appuient sur les sièges avant et de mon kidnappeur. Elle continue pourtant son avancée, ne me quittant pas du regard, son visage est si proche du mien, je sens son souffle glacial, elle me rappelle la nuit, avec une pointe d’arôme réglisse.
Elle me saisit, m’entoure, me plaque contre son torse, enfonce une porte avec ses pieds et saute. Enroulée autour de moi, je ne sens presque rien, mis à part qu’elle a comme ma mère, un buste tendre de femme. Après avoir roulé sur le sol, elle me pose à terre délicatement.
- Tout va bien, petit ange. Tu es sauve.
Encore ce petit ange, mais cette fois dite par un visage sombre étrangement rassurant, malgré les canines bizarrement disproportionnées. Le temps reprend son cours, j’entends la voiture faire des tonneaux. La taule qui tonne et grince pour finalement s’arrêter.
Elle observe la scène et dit.
- Il s'est tué tout seul.
Je vois du sang sortir de la voiture, luisant au clair de lune.
- Ne regarde pas, petit ange, fixe-moi.
Ce que je fais, elle est grande, lumineuse comme un ciel étoilé, certaine filants sur tout son corps, je la fixe, contemplatif.
- Tu vois les policiers ?
J’acquiesce bêtement, sans vraiment les regarder.
- Va les rejoindre.
Elle commence à faire un pas vers les bois.
- Attendez !
Elle s’arrête, les cheveux portés par le vent du soir.
- Qu’elle ait votre nom ?
- Ombre Bleutée.
- Et moi, c'est Cassia, et j’aimerais vous dire…
Elle m’observe droit dans les yeux, si froids et pourtant, je me sens réconforté, apaiser.
- Merci.
Les policiers arrivent et l’Ombre se glisse dans l’obscurité, étoile après étoile, elle s’éteint pour ensuite disparaître. Je retrouve mes parents en pleurant, ainsi que ma grand-mère, qui a dû se ronger les ongles pendant ce temps. C’est confirmer, sa manucure est fichue, complétement, elle va y passer une heure voir plus.
Cependant, je me retrouve aux commissariats à tout expliquer aux policiers. Un enquêteur, qui se nomme George, très gentil, me pose plein de questions. Il m'a avoué un secret sur elle. Je ne sais pas d’ailleurs pourquoi il me l'a révélé, il m’a dit qu’elle avait piraté la fréquence de la police et m'a retrouvé grâce à ça.
Une chose est sûre, je ne verrai plus la nuit de la même façon. Une bonne étoile nimbée de mystère, vieille sur nous.
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