Face à l'Erreur
La sonnerie retentit. Un bruit banal, mécanique, mais qui, à cet instant, glaça la jeune femme jusqu’aux os. Elle resta immobile, les yeux fixés sur la porte d’entrée, hésitant entre l’ouvrir ou ignorer ce visiteur inconnu. L’heure tardive, le silence oppressant de la nuit… tout semblait conspirer pour annoncer un mauvais présage. Pourtant, une curiosité insidieuse finit par l’emporter.
Elle se leva, le cœur battant, et s’approcha lentement de la porte. Sa main tremblait légèrement lorsqu’elle saisit la poignée. Après un instant d’hésitation, elle ouvrit la porte.
Elle était là. L’Erreur.
Il était difficile de la décrire. Elle n’avait pas de forme définie, une silhouette floue, en perpétuel mouvement, comme une image brouillée sur un écran mal réglé. Son visage changeait sans cesse : des traits enfantins s’effaçaient pour laisser place à ceux d’un vieillard, des expressions de joie glissaient vers la tristesse ou la colère. C’était comme si toutes les possibilités du monde coexistaient en elle. Et pourtant, ses yeux, eux, restaient immuables : perçants, insondables, comme s’ils voyaient à travers elle, à travers le temps.
— Je suis l’Erreur, dit-elle d’une voix douce, presque apaisante. Tu peux me poser tes questions. Je suis ici pour ça.
La jeune femme déglutit difficilement, incapable de détourner son regard.
— Pourquoi toi ? Pourquoi maintenant ? demanda-t-elle d’une voix hésitante.
L’Erreur esquissa un sourire – ou quelque chose qui y ressemblait.
— Parce que c’est le moment où tu te poses les bonnes questions, répondit-elle calmement. Je viens lorsque le doute devient insupportable, lorsque l’incertitude te ronge. Je suis le reflet de ce que tu hésites à affronter.
Les mots résonnèrent dans l’esprit de la jeune femme. Elle recula légèrement, mais l’Erreur avança d’un pas.
— Entre, murmura-t-elle finalement, comme si elle n’avait pas vraiment le choix.
Elles se dirigèrent vers la salle à manger. La jeune femme alluma la lumière, dont l’éclat vacilla presque face à la présence de l’Erreur. Elles prirent place à la table, une distance prudente les séparant.
— Alors… est-ce que tout ce que j’ai fait était une erreur ? demanda-t-elle, le regard fuyant.
L’Erreur inclina légèrement la tête, son visage se stabilisant brièvement avant de redevenir flou.
— Ce n’est pas à moi de te le dire, répondit-elle. Les erreurs ne sont pas absolues. Ce que tu vois comme une faute aujourd’hui peut devenir un point de départ demain. Mais… si tu le souhaites, je peux te montrer ce que tes décisions ont engendré.
La jeune femme frissonna. L’idée était à la fois fascinante et terrifiante.
— Et si je ne veux pas savoir ? Si je préfère ignorer tout ça ?
— Alors je disparais, répondit l’Erreur simplement. Mais tu vivras toujours avec cette question en toi, comme une ombre tapie dans ton esprit.
Elle baissa les yeux, jouant nerveusement avec ses mains. La tension dans la pièce était presque palpable. Puis, comme si l’Erreur lisait en elle, elle murmura doucement :
— Pose-moi la vraie question. Celle qui te hante. Celle que tu n’oses pas formuler.
La jeune femme resta silencieuse un moment, les pensées tourbillonnant dans sa tête. Ses lèvres tremblaient. Enfin, elle se décida.
— Est-ce que… je mérite le bonheur ?
L’Erreur l’observa longuement. Cette fois, son visage cessa de changer. Elle devint presque humaine, ses traits apaisants et empreints d’une étrange bienveillance.
— Le bonheur n’est pas une question de mérite, répondit-elle doucement. Il est vécu. Ce n’est pas une récompense qu’on gagne ou qu’on perd, mais une expérience qu’on accepte. La vraie question, est-ce que tu es prête à accueillir le bonheur, même s’il vient avec des doutes, des imperfections… et des erreurs ?
Les mots restèrent suspendus dans l’air. La jeune femme fixa l’Erreur, incapable de répondre. Quelque chose en elle semblait se briser doucement, mais cette cassure libérait un poids qu’elle portait depuis trop longtemps.
L’Erreur reprit :
— Les erreurs que tu as commises ne doivent pas être des chaînes. Regretter ne te libère pas. Assumer, en revanche, te permet d’apprendre, de grandir. Chaque pas maladroit t’a menée là où tu es aujourd’hui. Même dans les moments sombres, tu as avancé.
La jeune femme sentit ses yeux s’embuer. Ces mots, qu’elle n’attendait pas, résonnaient profondément en elle.
— Alors… que dois-je faire maintenant ? demanda-t-elle dans un souffle.
L’Erreur se leva lentement, sa silhouette floue devenant presque translucide.
— Continue. Fais des erreurs, accepte-les, et apprends d’elles. Ce n’est pas un chemin sans heurts, mais c’est le seul chemin.
Elle se tourna vers la porte, prête à partir.
— Tu ne reviendras pas ? demanda la jeune femme, la gorge serrée.
L’Erreur sourit une dernière fois, un sourire énigmatique.
— Je suis toujours là, murmura-t-elle. Pas sur ton seuil, mais en toi.
Puis elle disparut, comme une ombre dissipée par la lumière.
La jeune femme resta assise à la table, le regard perdu dans le vide. Mais quelque chose de nouveau naquit en elle : une étrange légèreté, comme si un poids avait glissé de ses épaules. Peut-être que l’Erreur n’était pas venue pour la juger, mais pour lui rappeler que ses fautes faisaient partie intégrante de son chemin.
« L'erreur est la fondation sur laquelle s'élève l'édifice de la sagesse »
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