– Donc si je comprends bien, il est fort probable qu'on soit plus de deux.

 Assis sur la fine couche de glaise, Brent hocha la tête. L’individu s’agita un peu plus, grattant la tignasse bouclée qui surmontait son crâne. Les échos faiblissaient, remplacés par l’action discrète des engrenages.

 – Tu entends ce que j’entends ? demanda-t-il.

 – Je... je ne comprends strictement rien à ce qui se passe.

 – Oui mais attends... genre... t’es arrivé comment ici, toi ?

 Brent se tourna vers son interlocuteur. Les tensions grégaires de leur rencontre semblaient s'être envolées, en témoigne son attitude bien plus avenante.

 – Allez mon gars ! encouragea-t-il de plus belle. Si on réfléchit à deux on va bien trouver comment sortir d'ici.

 Brent sonda son partenaire. Enfin, sa langue se délia.

 – Ecoute, je ne sais vraiment pas comment je suis arrivé ici… J'ai entendu des voix, et je me suis réveillé au beau milieu d'un de ces tunnels…

 – Oh…

 L'espace d'un instant, l'inconnu sembla déçu.

 – En effet, c'est encore moins cocasse que moi – Brent releva la tête, les sourcils froncés –. Je me suis réveillé, tout comme toi, mais par contre j'étais dans une grande pièce avec plein d'écrans partout.

 – Que… quoi ? Mais attends, pourquoi t'as quitté cette pièce ?

 – Mais parce que je suis tout aussi perdu que toi. Mon but, ce n’est pas de m'installer ici.

 Brent se leva et commença à faire les cent pas. Alors que l'espoir s'immisçait de nouveau, un râle lointain fit son retour. "Eh oh !!", cria son partenaire, à l'affut de cette présence dissimulée.

 – Eh ! La voix qui jouit là ! Fais-nous profiter un peu, non ?

 – Tu racontes quoi ? demanda Brent, dubitatif, observant son compère haranguer les ténèbres.

 – Bah quoi ? Faut bien qu'on trouve qui est la personne qui t'a donné envie de me péter la gueule ! – Brent se tue, ressentant le goût de la honte remonter le long de son œsophage – He oooh ?! J'sais pas qui tu es, mais en tout cas tu devrais venir nous dire bonjour ! J'ai quelqu'un avec moi qui, s’il te trouve par lui-même, va venir te péter la gueule !!

 – Je ne vais péter la gueule à personne… susurra Brent.

 L'individu fixa Brent à nouveau.

 Il y eu un instant en suspens.

 – Tu t'appelles comment, déjà ?

 – Brent.

 – Ok. Alors Brent, vu ce que tu as fait 'y a pas 10 minutes, j'y crois moyen à ton discours de paix. Mais du coup, si on rencontre une réelle menace, je compte sur toi pour lui sauter dessus.

Brent échappa un rire.

 – Et… et toi, tu t'appelles comment ?

 – Moi ? Seth, enchanté.

 Ce dernier lui rendit un sourire, alors qu'une lueur s'intensifiait dans le dos de son ancien aggresseur.

 – Du coup, Seth, cette…

 – Pièce avec plein d'écrans ? coupa-t-il – Brent hocha la tête en guise d'affirmation – J'imagine que tu veux qu'on y retourne, bah heu…

 Seth se tourna vers chaque voie du couloir, l'air hébété. Il fit jouer ses mains et fredonna ses pensées sur une partition invisible. Elle semblait l'aider à retrouver ses repères. Du moins, c'est ce qu'il fit croire au bout de quelques mesures d'hésitation :

 – Ok, c'est par là, dit-il en pointant du pouce les ténèbres dans son dos.

 Brent hésita à son tour face au manque d'assurance de Seth, puis jeta un regard derrière son épaule : la lueur dans le virage, une dizaine de mètres plus loin, s'effaçait peu à peu depuis qu'ils avaient choisi de s'en détourner. Je… je pense que je suis en train de rêver.

 – Tu fais quoi Brent ? On va plutôt par là ?

 – Non non, je te suis, let's go !

 – Oh ! – Seth observa Brent le dépasser – On fait comme ça ouai… let's go !

 Seth lui emboîta le pas, l'imitant en train de raser la paroi oblique en s'y appuyant de sa main.

 – On va faire tout le chemin comme ça ou tu as au moins une petite lampe ?

 – Parce qu'il n'y a pas de lumière où on va ? demanda Brent en continuant sa marche d'un pas déterminé.

 – Boh… Il y en a dans la pièce aux écrans, mais sinon, non, c'est le noir total.

 – Alors va pour le noir total !

 Surpris par la résolution de son compagnon d'infortune, Seth se laissa guider.

 – Par contre, tu m'indiques le chemin hein ? interrogea Brent.

 – Aheuu... oui oui, bien sûr.

 Plongés dans le noir, s'enfonçant dans les méandres de la structure, Brent et Seth se concentrèrent à garder leur équilibre, autant que leur sainteté d'esprit. Là où une simple brise les maintenait en alerte. "À gauche là" ; "Et heu… oui c'est bon ! Là c'est à droite".

 – Attends attends ! Arrête-toi ! invectiva Brent.

 – Qu'est-ce qui se passe ? chuchota Seth, comme pour ne pas déranger l'obscurité.

 – Tu… tu avais autant marché depuis que tu es sorti de la pièce ?

 – Heu… À vrai dire je ne sais plus, mais t'inquiète c'est…

 – On est revenu à l'endroit où je me suis réveillé, coupa sèchement Brent.

 Il reconnaissait cette flaque putride, autant que les stries sur les murs, étonnamment plus visibles que ceux des autres couloirs. Le gris du passé avait remplacé le noir de jais.

 – Mais… je ne comprends pas ! À un moment y avait un escalier, on a dû le louper.

 – C'était au-dessus de nous ?

 – Bah oui, mais ne t'inquiète pas, on…

 – Seth, coupa Brent pour la seconde fois.

 – Oui… ?

 – Pour moi, on se fait balader depuis le début.

 – Pourquoi tu dis ça ? Genre, il y a quelqu'un qui nous en veut ?

 – Genre, quelqu'un ou quelque chose.

 Brent inspira un grand coup et se retourna, faisant face à Seth et au chemin qu'ils venaient d'emprunter. Ce dernier répliqua sur une pointe d'ironie :

 – Du coup, c'est qui ? Le ch'tulu ? Le chupacabras ? La none dans les dossiers Warren ?

 – J'sais pas comment le dire, mais y a vraiment un truc qui cloche… avec ce lieu.