3.1
A peine rentrée, Claire se laissa tomber sur le canapé. Elle était exténuée, aussi bien physiquement qu’émotionnellement. Elle était certaine d’avoir arpenté le stade en long et en travers au moins dix fois pour suivre Guillaume toute la journée. Elle avait engrangé une quantité astronomique d’informations sur le football, son travail au sein de l’équipe et sur les joueurs. Résultat : son cerveau était en bouillie et ses pieds en compote.
Elle soupira.
Elle avait envie d’une bonne douche mais n’avait plus l’énergie de se relever.
—Alors, il est comment Emeric Vitelli ? demanda Thomas du seuil de la cuisine.
Elle attrapa un coussin et mordit dedans pour cacher un grognement. En plein dans le mille ! Elle avait oublié les joies de la colocation avec son meilleur ami : il ne pouvait s’empêcher de lui demander de raconter sa journée et de mettre le doigt sur les sujets qui fâchent.
—Alors ? insista-t-il.
Il posa deux tasses de thé fumantes sur la table basse et s’affala dans le fauteuil. Claire se redressa en soufflant. En plus, il savait l’amadouer à chaque fois avec une boisson ou des gâteaux.
Claire aurait préféré ne pas reparler du joueur pour le moment mais elle ne pouvait pas ignorer le fait qu’avoir quelqu’un qui se soucier de sa journée lui avait manqué.
Par où pouvait-elle commencer son récit, il y avait tant à dire sur le footballeur, mais d’ailleurs…
—Comment sais-tu que je travaille avec Vitelli ? l’interrogea-t-elle l’air inquisiteur.
—A part lui, il n’y a pas d’autres joueurs gravement blessés au FCR.
—Oh purée ! s’exclama-t-elle. J’avais oublié ton penchant pour le foot. Un hockeyeur comme toi, franchement quelle déception ! D’ailleurs comment s’est passé ton entraînement aujourd’hui ?
—Claire, j’ai posé la question en premier.
Elle soupira, résignée, but une gorgée de thé et déclara :
—C’est un con.
Thomas la regarda avec un air dubitatif alors Claire lui raconta comment le joueur s’était comporté en sa présence. Elle lui détailla la façon qu’il l’avait présenté aux autres footballeurs et comment il s’était permis de remettre en question ses compétences.
—Comme si moi, je me permettais d’émettre un avis sur son niveau de foot ! A ce propos, vu les moyens que déploie son club pour lui, est-il au moins doué ?
Thomas rigola franchement.
—Comment peux-tu être ignorante à ce point ? se moqua-t-il. Tu aurais pu te documenter avant de signer chez eux.
—Tu crois que j’ai eu le temps ?! Réponds !
Il fallut un moment pour que son meilleur ami cesse de rire et se décide enfin à lui dire :
—Claire, ce n’est pas juste le capitaine de l’équipe, c’est le joueur phare du FCR. C’est en partie grâce à lui qu’ils sont revenus en Ligue 1 depuis quelques années.
—Excuse-moi, je pensais plutôt à être doué comme des joueurs de Coupe du Monde.
—Tu n’as vraiment aucune réf !
Thomas secoua la tête et se leva pour gagner sa chambre. La discussion semblait close et Claire s’en réjouissait. Elle pourrait prendre enfin une douche, manger et dormir. Elle termina sa tasse de thé et son meilleur ami revint avec un album d’autocollants Panini… sur la Coupe du Monde 2018.
—Là ça va trop loin Tom, s’indigna-t-elle. Le foot, je peux comprendre mais avoir les albums Panini à ton âge ? Ça me pose question ! Ça ne serait pas à cause de ça que tu es toujours célibataire ?
—Tais-toi et regarde !
Il déposa l’album sur la table, ouvert sur une photo de l’équipe de France au grand complet. Il lui pointa le joueur sur la photo.
—Il était remplaçant pour la Coupe du Monde, commenta Thomas. Il a dû jouer quelques quarts d’heure sur certaines fins de match.
Claire saisit l’album et l’approcha de son visage pour mieux voir le joueur sur la photo. Aucun doute, elle le reconnaissait bien. Curieuse, elle feuilleta les autres pages de l’album et trouva les portraits individuels de l’équipe de France. Elle ne tarda pas à tomber sur celui du joueur qui abordait un sourire franc.
—Il était déjà en sélection à l’Euro 2016, il me semble. Depuis il y est tous les ans.
—Oui enfin, s’il reste sur le banc à chaque fois…
—Il a joué les matchs de qualification en 2022, la coupa Thomas. Et s’il n’avait pas été blessé au début de l’Euro cette année, il aurait sans doute fait l’ensemble des matchs.
—Super, maugréa Claire en s’affalant dans le canapé, serrant un coussin contre elle.
Il ne manquait que ça pour pimenter son défi, un joueur de niveau international. Elle avait beau posséder toutes les compétences pour aider le joueur dans sa rééducation, elle savait maintenant que le vrai défi serait de gérer la pression. Il aurait simplement été un footballeur connu, elle aurait été plus sereine mais là il s’agissait aussi et surtout de l’homme qui l’avait embrassé.
Qu’elle le veuille ou non, sa confiance en avait pris un coup depuis qu’elle l’avait officiellement rencontré.
Elle soupira de nouveau découragée d’avance.
—Tu vas pouvoir le soigner ? lui demanda son meilleur ami.
—A vrai dire, je n’en sais rien.
Elle se remémora les informations qu’elle avait obtenues par l’équipe médicale. Le tableau était plus sombre qu’elle ne l’aurait cru. Quand elle avait vu Emeric Vitelli boitiller, il lui était difficile d’imaginer que, seulement quatre mois auparavant, il avait été victime d’un mauvais tacle occasionnant une fracture ouverte du tibia et du péroné. Fanny et Guillaume lui avaient fait un topo complet sur les étapes de soins du joueur du premier jour jusqu’à aujourd’hui. Ils lui avaient présenté l’ensemble des radiographies et échographies attestant des étapes de guérison. Les os étaient bien consolidés mais les structures musculaires, tendineuses et ligamentaires étaient encore fragiles.
Studieuse, Claire avait enregistré le maximum d’informations sur sa tablette afin de pouvoir créer son programme de rééducation.
Elle avait compris que, dans son malheur, le joueur avait eu jusqu’à présent une guérison sans complication mais qu’à présent il stagnait, alternant entre de bons jours où il parvenait à marcher sans ses béquilles et des jours où le moindre effort semblait impossible.
Claire devait se débrouillait, maintenant, pour qu’il n’y ait que des bons jours et même si elle avait carte blanche pour la méthode, elle ne savait absolument pas par où commencer avec le joueur.
—Claire, la tira de ses songes Thomas. Tu feras de ton mieux comme toujours, c’est tout ce qui compte.
—Merci de m’encourager. Je me ferais une idée plus précise quand je l’aurais vu en séance. Je vais me doucher.
Elle joignit le geste à la parole et Thomas l’interpella une dernière fois :
—En tout cas, s’il est encore désagréable avec toi, je viens lui régler son compte.
—Merci Tom !
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