Chapitre 14 : Un genre de femme.

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Il y avait plusieurs types de femmes qui se présentaient au Major, mais un profil en particulier revenait sans cesse se pavaner sous le regard courtois de Monsieur Gilles. Ce dernier ne comptait plus le nombre de mères, en pleine crise de la quarantaine qui s’étaient présentées à lui. Seules ou insatisfaites de leurs conjoints, elles déposaient l’argent sur la table, d’un air qui cachait presque parfaitement leur hâte et s’en allaient en compagnie d’un homme. Toute la retenue dont elles faisaient preuve disparaissait à l’instant même où leurs cuisses trempées se faisaient écarter de force, et ce, à leur demande.

En s’y glissant, Kley garda une main accrochée au cou de sa cliente qui émettait des sons approximatifs, dû à sa gorge écrasée. C’était ce qu’elle voulait. Être baisée durement, par un jeune homme endurant, avec l’espoir de retrouver une fougue perdue avec les années. Il ne la trouvait pas spécialement belle, celle-là, mais une fois plongée à l’intérieur, cela n’avait plus beaucoup d’importance. Il se déchaîna entre ses jambes, des frissons parcourant le long de son dos jusque dans sa nuque. Elle avait des boucles blondes, disgracieusement défaites tout autour de sa tête, et son visage crispé par le plaisir était entièrement rouge. Excité par la façon dont elle roulait les yeux, il y répondait de grands coups, tantôt rapide, tantôt long et profond. Il y avait une recette magique pour chacune, mais ce genre de femmes, Kley les connaissait très bien.

Peu lui importait qu’elle puisse être fatiguée ou qu’elle ait mal au dos le lendemain. Il répondrait à son souhait jusqu’à la dernière seconde. Quand elle jouit, il rencontra sa langue sortie de la sienne, avec douceur, et uniquement pour une courte minute. Il eut aussi vite de la retourner à plat ventre, d’attraper sa chevelure entre ses doigts et de la forcer à se plier, occupé à entrer et à sortir de son cul.

C’était ça, son job.

Et non pas de passer chacun de ses rendez-vous à flaner au bras d’une femme. Au contraire, il devait s'atteler à les attraper et à les tordre dans tous les sens, en les obligeant à pousser des cris qui les hanteraient jusqu’à la prochaine fois.

À terme, une lumière s’allumait au-dessus de sa porte. Il était difficile de ne pas y faire attention, et pourtant, quand elle s’illumina, Kley continua son va-et-vient. Sa cliente fut la première à s’en étonner :

  • Il est l’heure… Ha !

Plus férocement, il attrapa ses hanches et la tira vers lui en accélérant le mouvement. Il fronça les sourcils et laissa échapper une douce plainte. Dans la capote, son sperme était particulièrement liquide. Reprendre du service ne lui avait pas fait de mal :

  • Maintenant, c’est fini, dit-il, essoufflé, un regard rieur planté dans celui de cette femme qui avait plus du double de son âge.

***


Monsieur Gilles pensa que les femmes de ce gabarit étaient tout à fait étonnantes. Même après avoir cumulés les orgasmes, elles arrivaient encore à tenir debout et à lui passer sous le nez en souriant, comme s’il ne s’était rien passé.

Kley pensait exactement la même chose. Il le constata une énième fois lorsqu’il raccompagna sa cliente au rez-de-chaussée. La blondasse devait sans aucun doute déjà avoir honte d’avoir trompé son mari, car il la vit enfiler une bague juste avant de sortir du bâtiment. Au fond, cela l’importait peu. Tant qu’il touchait son argent…

Une fois sa cliente disparut, il put se concentrer sur la suivante. En s’accoudant à la réception, ce dernier attrapa le livret d’inscription :

  • Qui est la prochaine ? envoya-t-il d’un ton si léger qu’il fit hausser les sourcils de Monsieur Gilles. Estelle. Je m’en souviens. Ça va me demander un peu de sport. Je n’arrête pas aujourd’hui…
  • Tu as l’air ravi de l’ampleur de ces exercices.
  • … C’est mon travail, non ? répondit-il, bien moins heureux.
  • Certes.

Un temps, Kley resta ancrée aux yeux du vieux réceptionniste. Ce dernier n’abaissa son regard sous aucun prétexte. Au cours de sa carrière, il avait rencontré bien plus éhonté, et tout comme les clientes, chaque escort entrait dans une petite case spécifique.

Il poursuivit sa pensée :

  • Depuis le temps que tu travailles ici, tu as pu faire des économies.
  • Certes, lui renvoya-t-il.

Ils n’en étaient pas à leur première tension. À de nombreuses reprises, Monsieur Gilles avait tenté de le secouer. Du moment où il avait été embauché à celui où il avait reçu une fausse carte d’identité, ainsi que le jour, un an auparavant, où ce gamin s’était présenté à lui.


***


Les occasions où Monsieur Gilles avait été amené à relâcher son sourire n’avaient jamais manqué, mais ce soir-là, il avait été particulièrement surpris. La stupeur avait envahi chacune de ses rides en trouvant ce garçon dans le hall du Major.

Il s’était approché de lui à la manière dont il aurait tenté de s’approcher d’un chien en cavale : sur ses gardes :

  • Jeune homme, que puis-je pour vous ?

Celui-ci avait gardé ses mains dans ses poches en se retournant. Sous ses petites boucles auburn comptaient deux yeux remplis de détermination. Il ne se fit pas prier en dévoilant immédiatement ses intentions.

  • Je viens poser ma candidature.
  • … Tu as dix-huit ans ?

L’incertitude dans la voix du réceptionniste ne l’avait pas empêché de mentir.

  • Ouais.
  • … Il est pourtant évident que tu n’es pas majeur. Que viens-tu faire, ici ? Tu as des soucis chez toi ?

Le gamin fronça les sourcils sévèrement.

  • Je suis majeur, et je veux travailler comme escort. Parce que j’ai besoin d’argent. Puis, dit-il en haussant les épaules, ça me plairait bien de baiser plein de nanas.
  • Nos clientes ne sont pas de simples nanas, le reprit-il, mais… ce n’est pas le sujet. Garçon, quel est ton prénom ?
  • … Kley.
  • Je suppose que c’est encore un mensonge, devina-t-il au temps de réflexion qu’il eut mis. Quel âge as-tu vraiment ?
  • Mais je vous dis que je suis…
  • Quinze ans ? Tout au plus ?
  • Seize !

La façon dont il se décomposa une fois que la vérité lui ait échappé ne fit pas plaisir au réceptionniste.

  • Bientôt, se rattrapa-t-il. C’est l’âge légal pour avoir des rapports, et je sais que les établissements comme celui-ci engagent des mineurs.
  • Pas chez nous. Nous avons au moins cette classe là. Écoute, je ne sais pas quelles sont les raisons qui t’ont poussé à franchir cette porte, mais nous pouvons peut-être en discuter ?
  • Nan ! Je veux travailler ici !
  • Kley…

Un long silence le rattrapa. Il avait déjà les lèvres mordues d’anxiété. Les poings serrés, il releva son regard du sol doré.

  • S’il vous plaît, je ferai n’importe quoi…
  • N’importe quoi ?

Tandis que Monsieur Gilles lui rendait un non de la tête, une grande femme, habillée d’un tailleur noir à lignes, apparut dans son dos. La façon dont ses talons claquèrent contre le carrelage fit blanchir l’adolescent. Sa voix imposante y était également pour quelque chose :

  • Tu ferais n’importe quoi ? répéta-t-elle, ses “r” roulant avec douceur. En voilà une belle promesse.

Un sourire se dessina sur ses lèvres quand elle vit ses yeux enflammés gagner en ferveur. Tout en contournant la réception, elle caressa sa longue queue de cheval, blonde et tirée en arrière, et elle le mit au défi :

  • Tu coucherais avec moi ?

Monsieur Gilles, qui s’était instantanément replié à son arrivée, ne put s’empêcher de la regarder sévèrement.

  • Si tu veux travailler ici, ton ticket est juste là, poursuivit-elle en pointant son entre-jambe. Il faudra aussi que tu utilises correctement ta queue. Qu’en penses-tu ?
  • Vous n’êtes pas…

Un geste suffit à faire taire le réceptionniste, et ricana à son attention. Non, elle n’était pas sérieuse, bien qu’il était coutume qu’elle couche au moins une fois avec tous ses employés.

  • Ok.

Kley se fit dévisager, d’horreur par l’homme en costume, et d’intérêt par cette longue femme.

  • Je couche avec vous, et vous m’embauchez ? C’est ça ?

Toutes les dents de cette dernière devinrent apparentes.

  • C’est ça.
  • … Et vous êtes ?

Elle rit, en s’accoudant au comptoir, et déposa un regard serré sur l’ado de presque seize ans.

  • Ta patronne.

***

Il n’y avait pas un seul jour sans que Kley ne se remémore la première fois qu’il avait mis les pieds dans ce hall doré.

  • Dis le truc que tu as en tête. Tu finiras bien par le sortir un de ces quatre de toute façon.

Monsieur Gilles se récolta.

  • … Je suis dévasté à l’idée que tu sois encore parmi nous. Tout comme Judith, tu es… bien trop jeune pour traîner dans un tel établissement.
  • Ça fait un an que je suis là. Même plus.
  • C’est bien ce qui m’inquiète.

Le hall du Major représentait à la perfection ce que l’établissement était en réalité : une cage dorée. Il en avait connu des escorts ayant prétendu qu’il resterait “le temps de se retourner” et qui avait fini par vendre leurs corps durant de longues années. Les mêmes qui généralement sombraient dans d’autres vices que la prostitution. Ce qui l’inquiétait, c’était le fait que Kley n’ait jamais abordé l’idée de se retourner.

  • Combien de temps comptes-tu travailler au Major ?
  • … Le temps qu’il faut.
  • Est-ce que tu penses à l’avenir ?
  • Oui, papi. Tous les jours.

Il parut désespéré. La porte d’entrée s’ouvrit sur sa prochaine cliente. Estelle faisait plus jeune que son âge, béni par l’absence de cheveux blancs. Elle était aussi fine que le sarcasme de son escort préféré.

  • Et voilà la clé de mon avenir.

Monsieur Gilles n’eut d’autre choix que de reporter cette conversation. Lorsque le dos du garçon de dix-sept ans s’éloigna, il eut peine à voir ses épaules endurcies. Le temps et le labeur les avaient forcés à se démarquer.


***


Au bout du lit, les cheveux défaits et à peine transpirante, la patronne du Major était en train de raccroché son soutien-gorge. Nu comme un ver, Kley quant à lui, observait le plafond, le drap à moitié sur lui.

  • J'ai une question pour toi… Ce sera la seule, promis.

L’unique pression de son regard le fit se relever. Il était sévère, à l’inverse de sa voix, douce comme du miel.

  • Pourquoi veux-tu travailler, ici ?

Il hésita, mais son ton tranchant indiquait qu’il n’avait pas d’autres choix que de répondre.

  • … Ma mère à des dettes. À cause de mon père. Il est parti, donc...

Elle rattachait sa longue chevelure défaite.

  • Tu veux jouer les sauveurs pour ta maman, comme c’est mignon…
  • Nan. C’est pas ça que je veux.

De l’intérêt naquit dans le bleu de l'œil qu’elle maintenait sur lui.

Elle esquissa un fin sourire.

  • Je t'aime bien toi. Tu as du caractère.

Il n'en avait rien à faire. Lui ne l’aimait pas. Pourtant, c’était avec cette femme-là qu’il avait couchée pour la première fois.

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