Une enfance rebelle
Lorsqu’on ignore les difficultés qui nous assaillent depuis la petite enfance, il est compliqué de savoir comment se placer. Suis-je une victime, une personne lambda, ou simplement une personne plus sensible, sans que cela soit assez significatif pour me « catégoriser ».
Depuis l’aube de la vaste discipline qu'est la psychiatrie : les médecins étaient en désaccord profond sur la nature de ce que devait être un diagnostic. Tantôt une étiquette, que l’on collerait injustement sur le front d’une personne, histoire de mieux la cerner ; mais qui aurait pour conséquence de l’enfermer dans des stéréotypes et de la stigmatiser. De l’autre, il y avait des médecins, plus empathiques, à mon sens, et plus à l’écoute des besoins du patient, et non de la pauvre conscience distordue et déconnectée du réel des premiers. Ceux-ci communiquaient leurs diagnostics, aussi terrible soit le pronostic, il était libérateur de savoir face à quel ennemi nous nous battions. Dès lors, nous pouvions commencer à travailler réellement sur chaque difficulté en découlant.
Je suis longtemps resté dans l’ignorance. Ma mère aussi. Longtemps, j’étais colérique, impulsif, instable dans mes relations aux autres, dans mes projets, notamment de carrière, sans que cela ait de mot. C’était frustrant.
Dès petit, je souffrais. Je faisais souffrir aussi, je détruisais. J’ai des souvenirs de moi, me cognant la tête contre les murs, fou de rage pour des petits détails mineurs. Lorsque j’étais en colère, j’étais très en colère. Lorsque j’étais joyeux, j’étais euphorique, débordant d’énergie et de créativité. Cette hypersensibilité, qui se manifestait avec toutes les émotions, était expliquée à l’âge de sept ans par de vulgaires tests de QI qui me catégorisaient comme étant un « enfant intellectuellement précoce ». Pourtant, la maîtresse que j’avais en classe de CE1 me haïssait au plus haut point. Je n’écoutais pas en classe, j’étais distrait, bavard, préférant mes activités bien plus enrichissantes, mon imaginaire bien à moi, plutôt que cette salle, grande et éclairée, certes, mais pas moins ennuyeuse de son manque de liberté. « Reste assis, écoute et participe seulement au cours », voilà la morale de l’éducation de masse. Déjà tout petit, je la méprisais. Mes ressentis vis-à-vis des autres enfants de l’école passaient de l’admiration, de l’amour et de la bienveillance à une haine incommensurable. Je les détestais, comme ça. Pour une remarque, une mauvaise parole, je passais de manière dichotomique de l’idéalisation à la haine et au dégoût de l’autre. Je n’étais pas violent envers les autres enfants ni envers les professeurs. En revanche, c’était en rentrant à la maison que je me chamaillais avec ma sœur.
Le reste de l’école primaire s’était globalement bien passé. À quelques moqueries allant parfois jusqu’au harcèlement, je résistais, c’était ce qui importait. Le pire était à venir. Le collège.
***
Convaincu dès l’âge de onze ans que le système scolaire classique me jouerait des tours, je décide de repasser des tests de QI dans mon nouveau collège. Entre temps, mes parents avaient divorcé, laissant en moi un goût amer vis-à-vis de mon père que je me mis à détester. Ma mère était devenue le centre de mon monde. Chaque jour, je veillais sur elle, de peur qu’il lui arrive un malheur, aussi bénin soit-il. Les tests de QI n’annoncent pas ce que je souhaite, je ne comprends pas. Je pensais pourtant que tout ce que je vivais était expliqué par ça ! En vérité, et je ne le comprendrai que bien plus tard, les tests indiquaient bien ce que je voulais entendre. Petit, les tests auraient évalué une « douance » dans le domaine verbal, « l'indice de compréhension verbale » pour être exact. Lorsque j’ai repassé les tests au collège, c’est de celui-ci qu’il en ressortait le fameux « HPI ». Les fameux 130 en « indice de compréhension verbale » ne me satisfaisaient guère face au score total jugé incalculable. Cela me frustrait, au plus haut point. Je ne pouvais échapper à la dure réalité des classes classiques, non adaptées, qui m’imposaient un rythme et des besoins qui n’étaient pas les miens. Le fameux « HPI hétérogène », dont beaucoup de personnes parlent sur la toile, bien qu’étudié en France dans de grandes études scientifiques, n’est que trop mal compris et reconnu par l’Éducation nationale. La solution d’aménagement trouvée par la psychologue scolaire était intéressante, plus de devoirs et de travail approfondi en français. Mais, faute de communication interne, cela ne se fera jamais. Mes notes dégringolent, sauf en français, où j’excelle. Mon parcours scolaire, rempli d’embûches, de harcèlement, me fera tomber dans la drogue à un âge très précoce. La phobie scolaire me guette et les troubles anxieux s’installent. Je rentre en hôpital de jour pour les adolescents à l’âge de 14 ans.
Désormais, la cause de tous mes soucis ne viendrait plus du QI, mais de mes troubles anxieux sévères. TOC, crises d’angoisses, agoraphobie (au début). J’accepte difficilement le traitement, l’hospitalisation me paraît être un piège, mais je tombe dedans. Heureusement, cela m’a partiellement sauvé. Les troubles anxieux n'étant qu’une partie émergée de l’iceberg qu’est ma santé mentale, qui se transformera vite à l’âge adulte en véritable calvaire. Les humeurs sont fluctuantes et hors de proportions, je me scarifie dès lors que je sens venir ne serait-ce qu’une suspicion d’un abandon, un regard de travers et je m’effondre. Ma vie est un enfer. Piégé par mes émotions, par mon instabilité, mon inconstance qui m’aura fait d’abord quitter des formations, puis un emploi sous le coup d’une crise de rage. Ma vie n’est plus vivable. J’enchaîne les soins hospitaliers de type hôpital de jour, CMP et entretiens infirmiers. Ma vie est rythmée par mes prises de médicaments. Jusqu’à ce que ça pète, réellement. Mon trouble, devenu incontrôlable, me pousse au suicide et là enfin, le verdict tombe. Ce n’est pas une histoire de QI, qui bien que bénéfique sur certains points, ne me cause pas tous ces soucis. Ce n’est pas non plus uniquement mes troubles anxieux, c’est mon trouble de la personnalité borderline. Après deux tests de QI, des consultations de psychiatres, de psychologues et d'infirmiers, personne ne pouvait me le dire.
« – Il fallait attendre l’âge adulte ! me dit mon infirmier.
– Vive la souffrance, vive l’errance thérapeutique et surtout, vive la fin de tout ce cirque, me dis-je, à l’âge de dix-neuf ans. »
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