Page blanche
Trois années frénétiques ont suivi, entre l’écriture et les soirées à thématique plus ou moins littéraire, où Gianluca m’amenait, et surtout d’où il me ramenait à une heure décente pour s’assurer que je sois frais et dispos pour travailler dès l’aurore.
Deux romans, quatre garçons.
Bis Repetita racontait l’histoire d’un jeune homme qui remontait le temps jusqu’à son entrée à la fac, et pouvait ainsi revivre, idéalement en mieux, deux ans et demi de vie, en essayant d’éviter certaines erreurs, dont quelques-unes que j’avais moi-même vécues, comme la rencontre et les deux mois aussi passionnés que destructeurs avec Tristan, devenu Tatiana dans le roman, par souci de correction sociale. Un succès inattendu, même pour mon éditeur, et qui m’avait valu une série d’interviews aux questions souvent plus dirigées sur ma vie privée que sur le livre…
- Tu es un beau garçon, tu… Infine, è soprattutto questo… c’est surtout que je t’habille bien’’ avait expliqué Gianluca, à fond dans son rôle de Pygmalion, ‘’Puis, tu es doué, et tu joues bien du personnage de ta copine inventée, ou plutôt… adaptée de ce Tristan, dont tu dois d’ailleurs un jour me parler plus longuement.’’
- Tu me prendrais en pitié, ou tu mépriserais ma faiblesse, je ne veux pas de cela.
- Soit, à chacun ses secrets, peu importe au final, cela ajoute à l’image de mystère et d’inaccessibilité que tu donnes.’’
Si le premier en est maintenant à sa sixième réédition, pour deux cent soixante mille exemplaires à ce jour, le second a atteint ce nombre à la première impression.
Regarde, sans les mains ! était une histoire de meurtre, légèrement plus trash, en ce qu’il racontait, en mode forcément implicite, le quotidien d’un acteur porno, toujours rigoureusement hétéro, bien sûr, mais qui succombait un soir au charme d’un assistant de prod’, qu’il tuait pour protéger sa réputation très relative. Il m’avait gagné une invitation de Bernard Pivot à participer à son émission Apostrophes, puis des années plus tard, la confidence d’un jeune Maxime Chattam, dont ce roman aurait été l’une des inspirations. Finalement marginale, et qu’il a largement extrapolée, au vu du nombre incroyable de cadavres que ses personnages de serial killer laissent derrière eux, un record difficilement compréhensible pour ce garçon charmant qui n’a probablement jamais écrasé une araignée de sa vie.
Il y a eu ces autres mecs, rencontrés dans d’autres soirées beaucoup moins culturelles, et dont je m’assurais, d’abord discrètement, qu’ils n’avaient aucun intérêt pour la littérature, ensuite plus directement – sinon plus basiquement - de leur idée d’une relation, puis surtout du rôle qu’ils me laisseraient y occuper.
Matthieu, journaliste à l’Equipe, ne s’intéressait qu’aux sports, mais n’en pratiquait aucun très activement, même dans l’intimité.
Luigi, éternelle salopette bleue et pull vert, venait de sa banlieue, comme un voleur, longeant les façades, après ses journées sur des chantiers de construction apparemment dépourvus d’installations de douches… Sans que ça ne m’ait jamais trop gêné, j’avoue.
Et Romain… Je préfère ne plus y penser, pour tout dire.
La seule exception a été Hanno, mon contact dans la maison d’édition allemande de mes romans, un homme aussi cultivé et intéressant qu’excellent amant, mais il était basé à Francfort, dans notre diagramme de Venn, nos cercles ne se croisaient que très marginalement.
Des relations plus hygiéniques qu’autre chose, et qui n’ont été que ça, avec le recul.
Jusqu’au vertige de la page blanche, trois ans plus tard, et la proposition de retraite que m’a fait mon éditeur, aux funérailles de Grog, ‘décédé au terme d’une longue maladie’ qui avait imposé que le cercueil ait été très promptement scellé.
- Je ne veux pas te perdre, Jérémie, ni ainsi, ni… Bref, protège-toi, dans tous les sens du terme, va à Casoli, prends du temps pour toi’’ avait dit Gianluca, étrangement ému.
La fuite de Paris, s’il faut lui donner ce nom, a été salutaire. Loin des sangsues du monde littéraire, j’ai partagé le vol Paris-Pescara avec une grand-mère et sa petite-fille, auxquelles mon italien de vacances n’a jamais vraiment pu expliquer pourquoi un parigino allait s’enterrer in mezzo a nulla, le trou du cul du monde…
Mais c’était exactement ce dont j’avais besoin ! L’isolation aussi totale que je le pourrais, pour l’inspiration qui m’évaderait de mon dernier roman, trop sexe, et pour tout dire… trop moi !
Retour au sérieux ! Mon moi fictif tomberait amoureux d’une jolie fille du village, et aurait des jumeaux superbes, une fille aux yeux bleus de sa mère, et un fils qui aurait les miens.
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