Septembre 1989 (suite)

Affalé dans mon canapé, il a lu les cent premières pages en une demi-heure. Trente minutes que j’ai consacrées du coin de l’œil à l’observer, pour réaliser qu’à part les Vans remplaçant évidemment les clapettes en début d’automne, il portait presque les mêmes vêtements que Nino le jour où je l’avais rencontré, un jeans et un polo d’un vert légèrement plus soutenu, sous lequel je soupçonnais pourtant un torse bien plus viril, et malgré son ascendance nordique, étrangement parsemé de poils sombres, à la place de celui, lisse et glabre, du garçon blond des Abruzzes. ‘Le paradoxe des haplotypes et des isolats génétiques’, m’étais-je dit, un peu bêtement, avant de relancer mon imagination sur le reste de son corps…

Que j’ai commencé à imaginer se mêler au mien, longuement et lentement, jusqu’à mon plaisir et au sien, son regard perdu dans mes yeux, sans encore savoir si nous serions, même un minimum, compatibles.

- Ah ouais, quand même !’’ a-t-il glissé en voyant une photo de Nino. ‘’C’était de la bête, le mec… Je m’en suis fait, des comme ça, un peu cons au final, les miens’’

- Lui aussi, un peu…’’ ai-je admis. ‘’Je préfère autre chose.’’

- Autre chose que je pourrais être ?

- A ce stade, je sais que tu l’es, je devrais juste demander si toi, tu… accepterais que… je le pense longtemps de toi, tu vois ?

- J’ai dit ‘je te veux’ à trop de mecs, mais à toi, je peux te dire ‘je te désire’ ?’’ a-t-il murmuré, étrangement gêné.

- C’est beau, donc oui ! Mais quoi, ‘trop de mecs’ ?

- On ne va pas comparer nos stats, on va juste profiter, ça te va ?

1991

- Jérémie, c’est Gianluca…

- Oui, je me doutais, j’ai remis à ta secrétaire les derniers chapitres de Aux Amis Ambsents et…

- Justement, j’ai eu des nouvelles du village. Tu le sais, Maria s’occupe de la maison, et son fils…

- Nino ?

- Jérémie, écoute-moi ! Tu as connu Nino ?

- Ben oui, évidemment !

- Ne fais pas l’idiot, tu as baisé avec lui ?

- Ecoute, Gianluca, je t’ai déjà dit, ça ne te reg…

- Ça me regarde ! Le médecin de Casoli est un cousin, il a pris sur lui de briser son foutu serment d’Hypocrite, et de me signaler que Nino est à l’hôpital de Pescara, il est sous oxygène et on le touche juste avec des gants en caoutchouc, tu comprends ce que ça veut dire, non ?

- Il a le… ?

- Il a ce dont on ne parle pas !

- …

- Ecoute, je sais que tu es raisonnable, je le savais déjà il y a cinq ans, peu de garçons de ton âge étaient aussi intransigeants sur les précautions, que j’aurais d’ailleurs imposées moi-même, mais… Oh ! Jérémie… Fais-toi tester, s’il te plait. J’aime à croire que nous sommes amis, mais pour moi, tu es un peu le fils que je n’ai jamais eu, si je devais te perdre…

- Je l’ai passé il y a deux ans, on l’a fait ensemble, et j’ai confiance en Martin !

- On a tous fait confiance à des tas de gens, dont beaucoup ne sont plus là…

(…)

2022

Maria, qui occupait désormais le palazzo, que Gianluca m’a légué à sa mort… Maria est décédée. Quelqu’un à Casoli a trouvé son carnet d’adresses et a envoyé les faire-parts tout-venant. Le temps de recevoir le courrier, je n’aurais jamais pu y être à temps, mais pour ce que ça vaut, le village entier devait être là.

Pour l’enterrement de Nino, il n’y avait qu’elle et moi. La concession étant arrivée à terme l’année dernière, sa tombe n’existe plus…

Ce soir, je suis invité à Lire & Vivre par Gabrielle Dechamas, pour évoquer mon dernier roman, Pour enfin sortir du Placard, dont elle a probablement confié la lecture à un assistant, mais je n’ai envie de parler que d'Aux Amis Absents, sinon juste de Nino, de son innocence et son insouciance qui l’ont tué, et des sentiments que j’ai eus pour lui… Je le dois à sa mémoire, et à celle de tous les amis absents.

Fin / Fine.