12 - Or liquide, rhum et noisette
21e jour de la saison du soleil 2448
- Viens Azéna, dit Fingäar. Elle ne viendra pas.
Azéna leva le regard vers le Boulevard de la Tempête, la route principale menant directement des portes mères au château. Les passants préoccupés bloquaient le passage, mais la jeune dragonnière n'avait aucun intérêt pour eux. Elle cherchait sa sœur aînée. L'année allait être longue et difficile et elle voulait la voir une dernière fois.
- Je t'en prie Argent, supplia-t-elle dans un murmure.
Fayne, assied à ses côtés, regardait le premier soleil se lever lentement, mais tout de même trop rapidement au goût des deux adolescentes. C'était le temps de partir et leur escorte, Fingäar et Dogan de l'académie d'Archlan, les attendaient. L'elfe était sévère et les pressait tandis que son compagnon semblait plutôt insouciant.
- Je suis désolé, dit Fingäar, mais nous devons partir. Nous avons un horaire à suivre.
- Laisse-la respirer, dit Dogan entre deux bouchées de sandwich. Ça ne va pas nous tuer d'être un peu en retard. Elle veut voir sa sœur. C'est long être à Atgoren sans voir tes proches.
- Il y a des urgences qui doivent être résolues. Nous avons besoin que nos apprentis soient préparés.
Il se plaça devant Azéna et l'aida à ses lever puis, il se mit en route.
- Karia est partit en reconnaissance. Nous devrions pouvoir avancer sans surprises.
Azéna avait le cœur serré. Argent avait brisé sa promesse. Elle ne brisait jamais ses promesses.
- Tyrath et Buhrik nous attendent à la forêt Rousse, encouragea Fayne. Je suis certaine qu'Argent n'a pas voulu manquer à sa parole. Les Lènmar seront bientôt ici et ton père doit la garder près de lui.
Azéna fit volte-face, réajusta son sac à dos et se mit en route derrière Fingäar.
- Les maudites affaires royales sont toujours dans mes pattes. Même mère n'a pas pu venir me voir partir.
Azéna avait peu de sympathie pour toute sa famille, mais elle avait réussit à forger des liens solides avec sa mère et encore plus avec Argent. Elle était terriblement déçue de leur absence. Elle s'ennuyait déjà d'elles.
- Fait chier qu'on doit partir si d'avance, marmonna-t-elle en donnant un coup de pied à une petite roche pour relâcher sa frustration. Stupide Haut-Roi... encore plus, maudite trahison...
Dogan termina son immense sandwich débordant de sauce en une bouchée et s'empressa de les rattraper, Fayne à ses côtés.
Le groupe suivit la route principale, traversa la forêt Rousse pour se rendre jusqu'à Gilat, village dont Azéna se souvenait que trop bien. Les villageois observaient le groupe avec des gros yeux apeurés ou bien méfiants.
- Allez-vous s'en, sales charognards, hurla un fermier. On n'a déjà assez d'ennuis, pas b'soin de vous en plus! Vous nous dupez pas avec vos beaux linges de riche.
- Toujours aussi accueillant, dit Azéna avec sarcasme.
Son passage fut bloqué par une fillette maigre à la peau gris pâle et aux cheveux argentés. Elle ne devait pas avoir plus de six ans.
- Ummm... je peux t'aider?
- N'arrêtez pas s'il vous plaît, dit Fingäar qui attendait avec Dogan.
Fayne approcha.
- Qu'est-ce qu'une enfant elfe grise comme toi fait dans ce village?
Elle remarqua les yeux noisette de l'elfe grise et se corrigea.
- Une demie-elfe grise. Tu as des yeux humains, pas vrai?
Les paroles yeux d'humains perturbèrent Azéna d'une façon étrange.
L'enfant ignora Fayne; elle s'intéressait qu'à Azéna.
- Tu es différente toi aussi, dit-elle, légèrement émue.
Elle posa sa petite main sur le front d'Azéna et la retira aussitôt.
- Tu es adoptée comme moi.
Azéna recula, incertaine d'elle. Elle se sentait extrêmement perturbée, perdue et en même temps, elle se sentait comme si elle s'était trouvée.
- Comment tu sais ça?
- Je l'ai vue dans tes souvenirs. J'ai vue bien des évènements intéressants, plusieurs dont tu as complètement oublié, enfouis loin dans ton subconscient.
- Qu-qu'est-ce que tu es? questionna la dragonnière avec nervosité.
Comment une petite fillette pouvait l'effrayée à ce point? Elle ne voyait pas le lien entre sa peur et son interlocutrice. Était-ce son subconscient qui réagissais? Elle désirait lui poser plusieurs questions, mais elle était terrifiée, anxieuse. Elle se sentait comme si elle était coincée dans un vilain cauchemar, mais elle savait que c'était la réalité.
- Le Grand Hibou m'a dit de ne pas le révéler à personne, mais puisque tu m'es similaire, je suppose que je peux faire une exception.
Elle se pencha vers l'oreille de son interlocutrice et murmura:
- Une marcheuse des trois mondes.
Azéna fronça les sourcils, confuse.
- C'est quoi ça? Qu'est-ce tu veux dire trois mondes?
La fillette gloussa. Elle était si adorable qu'Azéna sourit malgré son aversion des enfants et sa nervosité.
- Je t'expliquerai, mais je ne crois pas que c'est à moi de le faire. Peut-être un jour le sauras-tu.
Elle se mit à gambader en direction d'une vielle et rudimentaire maison. Azéna désirait la suivre et la questionner, mais une voix la résonna:
- Continuons la route, insista Fingäar avec irritation.
- Allez les poules, plaisanta Dogan en ricanant. Suivez le grand coq macho devant, continua-t-il en faisant référence à leur capitaine qui menait la marche en se tenant fièrement droit comme un poteau.
- Dogan, un peu de de de... Ah hé puis merde, j'abandonne, ronchonna l'elfe lunaire. Je ne suis pas macho! Tu m'exaspères!
- Ça signifie quoi? rétorqua l'homme grassouillet.
- Exactement, trancha Fingäar qui ne savait plus quoi répondre.
Azéna qui normalement aurait été offensée qu'on l'appelle poule, ignora les deux adultes qui se chamaillaient et leur fit signe de patienter.
- Qui es-tu? hurla Azéna en observant la fillette qui s'éloignait d'un pas léger.
- Shaan'da Sans-Nom. Fait attention, il y a des méchants de l'autre côté du village, sur les chemins.
Elle sourit et entra à l'intérieur de la maisonnette, laissant Azéna à ses pensées.
✦×✦
Pendant de longues heures, Azéna resta silencieuse. Elle cherchait au plus profond d'elle-même pourquoi elle ressentait cette chaleur étrange. Un sentiment d'appartenance biologique prit de l'ampleur depuis leur passage en Gilat.
« Ce n'est pas l'endroit ni Shaan'da, songea-t-elle. Je n'ai aucun lien à elle ni à Gilat. »
Puis, elle regarda ses petites mains féminines, plus précisément sa peau d'un beige commun chez le peuple de Daigorn.
« Chez le peuple de Daigorn. »
Elle se le répéta encore et encore. Une mèche de cheveux glissa devant son visage. Sa couleur, un argenté brillant, la choqua, comme si elle venait de le découvrir.
« Parfait et lisse... Et mes yeux... »
Elle réalisa comment ses yeux sont d'un bleu éclatant qu'on ne retrouve chez aucun humain.
« Tous ces compliments et ses insultes. »
Une série de souvenirs défilèrent devant elle, plus de mauvais que de bons. Sa mère qui lui répétait combien ses yeux étaient beaux comme le ciel et plus encore, les saoulons qui la traitaient d'anomalie et la fois où elle s'était fait battre pour avoir croisé le regard d'une fille reconnue dans la cité pour son comportement agressif.
- Arrête de me regarder, maudite sorcière, avait-elle hurlé.
« Pas une anomalie, pas une sorcière. Je suis une demie-elfe, réalisa-t-elle. »
Elle devait afficher une expression faciale extravagante car sa meilleure amie réagit immédiatement.
- Tu viens de t'en rendre compte, n'est-ce pas? J'ai écouté ta conversation avec la petite Shaan'da.
Azéna sursauta. Fayne était à côté d'elle et parut à moitié inquiète à moitié heureuse.
- Me rendre compte de quoi?
- De ton origine.
- Tu étais au courant? demanda la demie-elfe, une boule à la gorge.
Fayne acquiesça. Ses yeux chaleureux l'étaient encore plus que jamais. Ils débordaient d'acceptance et de compréhension.
- Je suis désolée de ne pas t'en avoir parlé. Je voulais te laisser le découvrir à ton propre rythme, sans te blesser. Je l'ais deviner il y a quelques années lorsque vous jouissiez ensembles. Tu luttais contre mon père et que d'une façon quelconque, tu réussissais toujours à t'évader de son emprise malgré ses techniques raffinées. Tes mouvements étaient fluides et rapides, bien trop pour un être humain. C'était comme te voir danser, guidée par l'instinct tout simplement. Depuis ce temps, j'ai porté plus attention à tes réactions physiques et tu m'épatais souvent. Pas étonnant que tu réussissais toujours a m'apporter les livres de ton père malgré l'armée de gardes à tes trousses. Tu n'es pas très subtile et un peu sotte, mais ton agilité supérieure t'a bien servi sans que tu ne t'en rends comptes.
Elle sourit. Sa sincérité toucha Azéna droit au cœur. Elle n'aurait pas pu demander pour une meilleure amie. Malgré tout, elle restait incertaine à ce que cette découverte change leur amitié Elle passa ses bras derrière sa tête et sourit jaune, prétendant que tout allait bien.
- Ne t'inquiète pas, continua Fayne qui la connaissait trop pour se faire dupée. Ça te va bien. Et, ça explique bien des choses comme ta vision dans le noir. Tu as toujours été différente, mais c'est une singularité que j'ai toujours aimée. Qu'importe à quelle ethnicité tu appartiens, ça ne changera rien.
- Merci, répliqua Azéna en s'éclaircissant la gorge. Je me demande si je suis à moitié elfe lunaire, elfe sylvaine ou grise.
- Tes cheveux argent et les yeux bleus pétillants proviennent définitivement de ton héritage elfique. Les elfes sylvains et les humains n'ont pas ces couleurs. Les elfes gris peuvent hériter des cheveux argent, mais il n'y a que les elfes lunaires qui portent des yeux d'un bleu si pur.
- Alors, je suis une demie-elfe lunaire, conclu Azéna.
Soudainement, elle se sentit plus confortable dans sa peau. Elle s'imagina le mélange du sang humain et du sang elfe lunaire qui circulaient dans ses veines. Elle sentait son cœur plus puissant.
- Tu vois, ça explique ton agilité et ta rapidité supérieure aussi. C'est excellent pour le combat. Tu as pris du côté humain pour la magie par contre. Très souvent, les elfes lunaires sont très compétents en magie et toi... bah... tu es nulle à chier.
Les deux pouffèrent de rire.
- Ah, je sais, dit Azéna. Umm, au fait, j'ai quelque chose pour toi.
Elle tendit le sac de monnaie qu'elle avait reçu du noble à Fayne.
- Ça t'aidera surement à acheter ton équipement pour l'académie.
Fayne parut surprise, mais reconnaissante.
- Merci, mais où as-tu dénicher ça? questionna l'herboriste qui fixa son amie avec des petits yeux suspicieux.
- Silence, ordonna soudainement Fingäar.
L'elfe lunaire fit signe au groupe de s'arrêter et dégaina son épée de son fourreau.
- Qu'est-ce qu'il y a? demanda Dogan.
- Écoute.
Dogan obéit, mais après un instant, il haussa les épaules. Fayne était attentive, mais ne semblait rien détecter non plus. Azéna entendit des bruits de bottes provenant des bois à gauche d'eux.
- Je l'entends moi aussi, déclara-t-elle.
Un rugissement interrompit le silence qui suivit. Des bois surgirent une dizaine de barbares armés. Ils se précipitèrent vers les dragonniers, la rage dans les yeux.
- Karia! hurla Fingäar.
Un rugissement, bien plus puissant que ceux des barbares, retentit puis, une brise devint violente sous la pression les mouvements féroces des ailes de la dragonne. Le premier barbare fut dévoré d'une bouchée, le deuxième cassé d'un coup d'aile puis, le massacre continua.
- Merde, Tyrath et Buhrik ne sont toujours pas revenus de leur chasse avec Gengra'ü, siffla Azéna.
- C'est mieux ainsi, dit Fingäar. Ce sont des membres du Sang du Dragon, professionnels dans l'art d'éliminer des dragons. Tyrath et Buhrik sont encore jeunes. Tu ne veux pas perdre ton dragon, fait-moi confiance.
Azéna fixa les barbares se faire tuer un par un par Karia.
- Ils n'ont pas l'air si dangereux que ça.
- Ce ne sont que leurs pions, des apprentis qui tentent de prouver qu'ils sont dignes de devenir des membres de confiance. Le vrai test, c'est celui qui supervise.
Il tourna le regard vers un homme de grande taille aux épaules carrés aussi larges que ceux d'un bœuf. Sa longue barbiche et les marquages de peinture sur son corps le distinguaient comme un membre de sa faction.
- Reste ici. Je vais m'en occuper pendant que Karia termine son dîner. Dogan, surveille-les.
Fingäar et le barbare se rencontrèrent au cœur du combat. L'épée fine de l'elfe ne faisait pas le poids contre le marteau gigantesque de son adversaire alors, il dut se concentrer d'esquiver plutôt que de parer. Ce n'était pas un problème; Fingäar était rapide et ses réflexes excellents. Le barbare, trop lent, perdait rapidement sa patience et devenait de plus en plus féroce et dangereux. Sa rage nourrissait sa performance.
- Ça commence à devenir trop serrer, dit Dogan avec inquiétude. Si la rage de ce barbare ne cesse d'accroître...
Il ne termina pas sa phrase.
Azéna entendit des pas qui provenaient de derrière puis, un cri beuglant:
- Meurt, dragonnier!
Dogan se tourna juste à temps pour parer l'attaque. Sa masse d'armes rencontra l'une de ses sœurs.
- Un autre guetteur. Azéna, Fayne, restez à l'écart. Grand Maître Terenas ne nous le pardonnerait jamais si vous tombiez.
Il donna un coup et le barbare recula d'un pas. Le combat de Dogan s'avéra beaucoup plus brutal que celui de Fingäar. Dogan était un peu barbarique dans son style; il concentrait ses efforts sur la force et les émotions plutôt que l'esquive et la survie. En quelques instants, les deux étaient dominés par l'instinct et étaient blesser, quoique ce ne fût pas sévère.
Azéna encocha une flèche et visa. Sa cible était trop mouvante et elle ne voulait pas atteindre Dogan. Frustrée, elle continua de se concentrer.
- Ne le provoque pas, hurla Dogan.
Pendant l'instant qu'il fût distrait, le dragonnier grassouillet paya avec un coup à la tête qui le sonna puis, un coup de pied qui le fit tomber.
Azéna décocha sa flèche, mais le guetteur l'esquiva et ria.
- Regard' bien s'qui arrive à n'un apprenti lorsqu'il n'apprend pas 'ssez vite.
Il s'élança vers Azéna et Fayne, ses jambes musclées repoussant la terre derrière chaque pas.
Azéna tenta d'encocher une nouvelle flèche, mais le barbare était déjà proche. Sa masse d'armes en pleine élan, il visait la tête de sa victime, ses yeux tâchés de rouges.
Un sifflement sec. Un hurlement d'agonie. Puis, une mer d'écailles étincelantes attira l'attention des deux apprenties dragonnières. Les deux crièrent le nom de leur dragon, mais se rendirent compte que leur sauveur était beaucoup trop petit pour être Buhrik ou Tyrath. La créature humanoïde avait la peau beige recouverte d'écailles violettes ici et là. Elle mutila le visage du barbare de ses longues griffes noires, mais ne le tua pas. À la place, elle lui murmura quelque chose à son oreille.
Le barbare, enragé, cracha sur la créature et s'enfuit, laissant son sang dans son sillage.
Les yeux sauvages du nouveau venu s'arrêtèrent sur Azéna. L'or liquide de ses iris, comme s'il était vivant, coulant, était identique à ceux d'un dragon mis à part sa pupille ronde.
- Je ne suis pas un ennemi, je t'en donne ma parole.
Sa voix, un mélange bizarre d'humanité et de bête, frappait l'âme. Il aussi grand qu'un de ses barbares de six pieds et demi. Par contre, sa musculature puissante, mais légère lui donnait l'allure d'un demi-elfe. Aucun poil ne poussait nulle part à part ses cheveux ébène qu'il coiffait en queue de rat. Une série de petits piquants longeait sa mâchoire, rappelant un peu à une mince barbe en collier.
- Je te vois enfin à la lumière des soleils, où tu ne peux pas te cacher, dit Azéna. Comment puis-je te faire confiance quand je ne sais même pas qui tu es ni qu'est-ce que tu es? Tu n'es clairement pas humain.
Elle inspecta les deux cornes frontales arquées vers l'arrière de la créature avec méfiance.
- Tu n'es pas complètement humaine non plus, répliqua-t-il avec une patience et un contrôle modèle.
Lorsqu'il parla, ses canines luirent sous les rayons des deux soleils.
- Pourquoi nous as-tu aidés?
- Je suis un allié et non un ennemi. Donne-moi une chance, Dame de la Tempête.
Il baissa la tête en signe de respect puis, la releva avec aise, comme si le poids des larges cornes ne l'affectait pas.
- Soyez prudentes, continua-t-il en s'adressant à Azéna et Fayne.
Il se tourna, sa cape dansant dans son mouvement. Une bosse déformait son dos de chaque côté. Sa queue reptilienne fouettait paresseusement le sol. Il s'élança, suivant les traces du guetteur qu'il avait blessé.
Au même moment, Fingäar et Karia revinrent. L'elfe lunaire aida Dogan à se relever tandis que Karia sonda les environs à la recherche de quelque chose.
- Où es partis la créature? demanda-t-elle.
- Ne perds pas ton temps, dit Azéna. Il nous a aidés. Nous avons d'autres obligations plus importantes.
Karia renifla profondément, humant l'air autour d'elle.
- Partons dans ce cas avant que les renforts n'arrivent.
- Je crois qu'il va s'en occuper.
- Ne prenons pas de risque, dit Fingäar. Tu peux marcher?
Il lâcha doucement prise de son compagnon.
- Combien de fois devrais-je te dire? Cesse d'être si téméraire. Tu es chanceux d'être vivant.
Dogan retrouva son équilibre aisément.
- Oui. Ça ira. Mais...
Il tourna son attention vers Azéna et Fayne.
- Qu'est-ce qui s'est passé? Je n'ai pas rêvé quand j'ai aperçu cette étrange créature n'est-ce pas? Ma vision était floue et ma concentration vacillante.
- Tu as vu juste, confirma Fayne.
Fingäar parut surpris.
- Ce n'était pas deux barbares qui sont échappés?
- Non. Le deuxième était quelque chose d'entièrement différent. Il n'était pas elfe ni humain. Enfin, pas totalement. Il partageait des traits de dragons et d'humanoïde. Mais, un demi-dragon, c'est impossible, n'est-ce pas?
- Je ne crois pas, dit Fingäar qui resta songeur un instant avant de continuer. Dans ce monde de magie et d'éléments, parfois, l'impossible devient une réalité. Nous elfes lunaires avons étudiés longtemps les mystères de ce monde et nous sommes souvent restés surpris de ce que nous avons découvert. Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais entendu parler d'un demi-dragon. Peut-être que nos sages en sauraient plus.
Il tourna le dos.
- Mettons nous en route. Nous devons encore arrêter à Agmeath pour votre équipement.
Derrière, Azéna resta près de Fayne.
- Qu'est-ce que tu en penses?
- De quoi? questionna Fayne.
- De ce que le demi-dragon a dit? Tu crois vraiment que c'est un demi-dragon? Ça serait fou.
- Gardons la possibilité à l'arrière de notre tête. S'il est un demi-dragon, ses écailles sont violettes. Tu as remarqué?
Azéna resta bouche-bée. Un demi-dragon violet.
- En ce qui concerne ce qu'il nous a dit, continua Fayne, je ne lui ferai pas confiance. Reste vigilante. Nous ne devrions pas le sous-estimer. C'est un prédateur, tu as vu comment il s'est déchainé sur le guetteur?
- Au moins, il ne l'a pas tué.
- Qui sait? Il est parti dans la même direction que lui.
✦×✦
À Agmeath, le groupe visita plusieurs échoppes et mirent à jour leur équipement et provisions. Fayne prit son temps, cherchant pour les meilleures offres puisqu'elle était très limitée sur l'argent qu'elle avait économisé durant la saison de vacances. Azéna, de son côté, choisit le meilleur pour elle et Tyrath. Cette année, s'était avéré généreux.
Comme à son habitude, Vhargg veillait sur le petit village. Il guettait l'horizon en quête de danger et patrouillait fréquemment. Édredon mesura Tyrath avec l'attention du détail.
- Avertissement, la selle devra être changée l'année prochaine.
- Avertissement juste, dit Azéna. Merci bien.
Elle lui donna quelques écus malgré tout. Le dernier arrêt fut au Bras de Melèriar, maison et forge de la fameuse Melanh'tash. De l'extérieur, on pouvait l'entendre marteler du fer et, au travers du tapage, deux voix qui criaient presque.
- Occupée, pouffa Dogan.
- Comme à son habitude, continua Fingäar.
Le groupe entra. Les étincelles jaillirent au travers de l'échoppe, ça sentait la sueur et le fer. Melanh'tash concentrait son attention sur l'œuvre qu'elle façonnait tandis que Vigoth tentait de lui parler. Finalement, elle serra les dents, avala son impatience et prit une pause.
- J'ai des clients. Il est temps pour toi de partir.
- Répond-moi au moins, dit Vigoth avec imploration. Prends des vacances pour une fois dans ta vie. Viens avec moi.
La forgeronne fit le tour de son enclume géante, poussa Vigoth jusqu'à ce qu'il soit hors de la forge et referma la porte.
- Désolé pour ça. Les hommes, c'est parfois aussi difficile de se débarrasser d'eux que de la peste.
Azéna sourit. Elle connaissait le tempérament irritable de l'elfe lunaire, mais pour quelconque raison, elle appréciait bien ce défaut chez elle.
- Magnifique, comme à ton habitude, dit poliment Fingäar en elfique.
- Ne commence pas toi non plus! aboya Melanh'tash en pointant son marteau vers Fingäar.
La forgeronne jura et continua sa réplique dans la langue commune.
- Je sais que c'est une coutume débile des miens, mais j'en n'ai marre de toute cette politesse fautive. Ralala, que de stupidités avec vous les elfes lunaires. Laissez donc votre âme vivre à la place de suivre le chemin qui vous est indiqué. C'est pathétique.
Elle baissa le marteau et son tempérament sembla s'adoucir.
- Et puis, je ne suis pas belle. Regardez-moi un peu, j'ai l'allure d'un clochard plein de poussière.
Elle retourna derrière son enclume et s'accouda dessus.
- Alors, que puis-je faire pour vous?
Elle regarda les nouveaux venus un à un en attendant une réponse. Fingäar, traumatisé, les yeux grands ouverts, resta silencieux. Dogan retenait un rire. Fayne était trop timide face à une personnalité si flamboyante pour réagir, à son habitude.
Lorsque le regard de Melanh'tash se posa sur Azéna, celle-ci s'efforça de ne pas réagir. Tout de même, elle sentit ses joues rosirent.
- Et toi, tu as perdu ta langue comme les autres? demanda Melanh'tash.
- N-non madame, répondit Azéna.
- Mignonne la petite. Appelle-moi Mel.
- D'accord, Mel, continua Azéna avec un peu plus de confiance. Nous sommes venus pour une inspection de nos armes.
- Parfait. Donnez-moi vos armes et je vais aller inspecter tout ça à l'arrière.
Elle attendit que Fayne et Azéna lui remirent les armes.
- Ça sera rapide. Vous pouvez attendre ici.
Elle disparut dans une autre salle. Azéna suivit Mel et écouta à la porte. Lorsque les pas de la forgeronne s'arrêtèrent, elle poussa lentement la porte.
- Je ne te le conseil pas, avertit Fingäar. Elle a un tempérament très difficile quand elle veut.
Azéna, obstinée et curieuse, ignora l'elfe lunaire et entra. À l'intérieur, elle se trouva face à un entrepôt. Mel était introuvable dans tout ce désordre. Des tas de boites, des montagnes de lingots, des armes accrochées aux murs, des armures posées sur des mannequins, des barils de liquide et finalement, des pierres étranges façonnés en symboles runiques qui reposaient sur des étagères.
Azéna se perdit dans ce labyrinthe. Elle explora, examina, caressa tout ce qu'elle put.
- Petite futée tu fais, dit Mel.
Azéna sursauta et échappa une des pierres étranges.
- Une chance qu'elles ne sont pas fragiles, continua Mel.
- Désolée, dit Azéna.
Elle replaça la pierre où elle l'avait trouvée. Mel se tenait là, derrière elle, un brin d'herbe au coin de la bouche et une bouteille presque pleine dans une main. Avec ses cheveux en désordre, son tablier poussiéreux et son expression nonchalante, elle faisait très paysanne contrairement à sa race. Malgré tout cela, elle avait toujours une férocité qui la rendait attirante.
- Intéressée dans l'art de la forge? Ou, peut-être, es-tu simplement curieuse? J'espère pour toi que tu n'es pas une voleuse.
Au dernier mot, sa voix arbora un peu plus d'impatience.
- Pas du tout. J'étais tout simplement curieuse, mais je ne m'attendais pas à trouver tout ceci.
- Alors, tu étais curieuse à propos de quoi?
Elle prit une gorgée de sa bouteille. Une forte odeur d'alcool chatouilla le nez d'Azéna.
- Tu veux un peu de rhum? Il est bon, l'est épicé.
Elle sourit amicalement, ses yeux bleus pétillèrent.
- Ummm... tu n'es pas fâchée?
- Le rhum me calme, avoua la forgeronne. C'est un ami de bien longue date, loyal aussi.
Elle attendit une réplique pour un instant puis, continua:
- Allez, viens. On va aller s'asseoir un instant. Je vais te faire goûter.
Azéna la suivit. Elle regarda nerveusement autour d'elle et repéra une peinture. Cette pièce d'art attira son attention, assez pour qu'elle oublie Mel.
- Tu aimes? questionna Mel qui l'avait suivi jusqu'à la peinture. Différent n'est-ce pas?
Le tableau était grand, trop grand pour qu'Azéna ne puisse le lever. Dessus était peinturé deux femmes exquises, une humain blonde, l'autre une sauvage elfe sylvain. Les deux s'enlaçaient avec l'amour dans le regard et la passion dans le corps. L'elfe déshabillait l'humaine qui effleurait la joue de son amante. L'image frappa Azéna au cœur. Elle se sentit rougir, de la chaleur lui monta à la tête et ses lèvres tremblèrent brièvement.
- Qu'est-ce qu'elles font?
- Qu'est-ce que tu crois? demanda Mel en roulant les yeux.
Azéna se sentit stupide. Elle regretta sa question.
- Je veux dire, je veux dire...
Elle ne put continuer alors, Mel termina pour elle.
- Elles s'aiment tout simplement.
- Deux femmes, murmura Azéna. Est-ce possible?
- Pourquoi pas? Nous sommes tous victimes de nos sentiments. Nous avons tous des préférences différentes.
- Et toi?
- Ce n'est pas important. Je ne suis qu'une elfe difficile à plaire.
Elle offrit une gorgée de rhum à Azéna qui l'accepta volontiers.
- Sinon.... toi.... tu es une future dragonnière accomplie, continua la forgeronne.
- C'est le plan, répliqua Azéna.
- C'est tout? demanda Mel avec un semblant de déception dans sa voix. Rien de plus? Hé bien... Faut bien que je creuse ton appétit un peu. Qu'est-ce que tu comptes faire avec cette éducation et surtout, ce pouvoir?
- Je ne sais pas. Me battre pour un meilleur monde, pour que les gens peuvent prospérer.
- Un noble but, dit-elle en se grattant le menton. Mais c'est ça que les dragonniers veulent toi. Qui es-tu vraiment? Pas un simple pantin qui suis les ordres, pas vrai?
À ce moment, elle riva ses yeux dans ceux de la demie-elfe. Azéna se sentit comme si elle s'attendait à plus d'elle. Une réponse grandiose. Elle commença à questionner sa destiné. Était-ce assez de tout simplement être un soldat dans l'armée des Gardiens d'Aerinda malgré qu'elle trouvait que ce rôle semblait être accomplissant? Une partie d'elle était satisfaite tandis qu'une petite voix au fond de son être ne semblait pas complètement assurée de ce choix.
« Mais c'est insensé ! songea Azéna, un peu choquée par ses propres pensées. Que pourrais-je demander de plus? C'est déjà un grand honneur d'être dragonnier, encore plus d'être un apprenti parmi les Gardiens. »
Elle se rassura en récapitulant sa rencontre avec Zorn qui avait annoncé une guerre qui menaçait Aerinda. Elle allait faire partie de cette guerre et elle allait faire une différence. C'était plus grandiose que l'entièreté d'une vie de plusieurs gens et s'en était assez pour elle.
Elle resta auprès de Mel pendant qu'elle termine son inspection. Les deux femmes rirent, parlèrent et burent. Lorsqu'elles retournèrent auprès des autres, elles étaient à moitié saoules.
Fingäar les regarda avec répulsion, le visage légèrement vieillit par les plis de sa colère.
- Sérieusement Melanh'tash, aboya-t-il. Ne prends-tu pas ton travail à un minimum au sérieux? De plus, Azéna est une mineure et sous ma responsabilité.
- Hé ça va, répondit la forgeronne. Calme tes nichons. Les armes sont vivantes. Elles ne requièrent pas de réparation. Alors, ça sera juste l'inspection.
Elle tendit sa paume ouverte en direction de Fingäar.
C'est toi qui vas payer parce que tu as besoin de relaxer. L'argent, ça te monte à la tête.
Elle sourit, un sourire moqueur.
- Le lien est...? Et garde ton sourire insultant pour toi.
Vexé, il s'obstina, mais Mel le défia, un entêtement qui impressionna Azéna et qui obtint la victoire à la forgeronne. Fingäar sortit de la forge avec quelques pièces d'argent en moins et avec une adolescente malade dans les bras.
- Tu as eu du plaisir j'espère, dit-il dans un sarcasme noir.
Azéna acquiesça faiblement.
- Je crois que...
Elle termina sa phrase en vomissement.
✦×✦
Le lendemain, Azéna avait la tête qui tournait. Fingäar avait refusé de laisser le groupe dormir. Ils s'étaient mis en route au lever des soleils jumeaux.
- Ça t'apprendra, grogna Fingäar.
Azéna marcha comme un zombie derrière le groupe, seulement Tyrath pour lui tenir compagnie.
- Alors, qu'est-ce qui s'est passé? demanda le drake argenté.
- Je crois que j'aime les filles, avoua-t-elle.
- C'est tout? questionna-t-il en la regardant avec confusion.
- Comment ça c'est tout? Ce n'est pas facile. Ce n'est pas accepté.
- Les dragons n'ont jamais eu ce problème, mais ça ne me semble pas bien grave. Vous humanoïdes êtes étranges. La seule chose que je peux te dire est que tu es jeune et que tu as une vie devant toi. Tes choix t'appartiennent. Accepte le moment présent et suis ton chemin.
- Typique d'un dragon gris. Fou toi des autres et savoure le moment présent sans te soucier des conséquences, mais en mieux dit.
Elle pouffa de rire puis le regarda.
- Mais, je suis contente que tu n'as rien contre cette possibilité.
- Ça te va bien je trouve.
Les deux rirent et Azéna serra la patte de Tyrath.
- Tu es le meilleur dragon qu'une dragonnière peut avoir.
Tyrath ronronna, content du compliment.
Annotations