44 - Reine de l'Épée
43e jour de la saison de la faux 2448
Comme prévu, Argent se réveilla ce matin-là seule dans une chambre à en faire baver n'importe quels roturiers. C'était la seule et unique de ce type disponible et elle était souvent libre car peu de gens pouvaient se la permettre. Son lit à baldaquin était aussi luxueux que celui que possédait la guerrière chez elle au château de Nothar; il était assez large pour y accueillir confortablement quatre hommes. Tout cet espace que pour elle et la jeune reine à en devenir devait avouer qu'elle aurait préférée dormir sous un arbre dans la forêt avec ses compagnons de route. Du côté positif, elle avait eu une nuit de sommeil réparatrice dont elle en avait grand besoin. Énergisée, elle bondit hors de son lit et remarqua que son linge avait été nettoyé pour elle.
- Il faudrait que je me lave moi aussi, marmonna-t-elle pour elle-même.
Elle s'exécuta et en chemin pour la salle de bain, elle rencontra Zril. L'assukar avait les bras pendants, le regard perdu et il avait le teint terriblement pâle.
- Tu es souffrant ? demanda Argent.
- J'vais bien, ronchonna Zril en continuant son chemin.
La brunette cligna des yeux, peu convaincu par son ami, mais elle décida de le laisser tranquille. De toute façon, elle ne pouvait plus supporter son hygiène négligée ; elle devait se laver. Elle passa un bon moment dans un grand bain chaud public entourée de quelques autres femmes. Elle était nue comme quelques-unes d'entre elles et ça ne la dérangeait pas du tout. Honnêtement, elle appréciait l'expérience d'être parmi les gens normaux et d'être dans l'anonymat. Ce statut n'allait pas durer une fois qu'elle assumerait son nouveau rôle.
Une fois revigorée, elle s'habilla, attacha sa longue crinière châtaine en queue-de-cheval et descendit au rez-de-chaussée. Là, elle retrouva la même grande pièce qu'hier soir, mais à cette heure précoce, l'ambiance était bien différente. Les clients étaient calmes, mais surtout sobres et jacassaient doucement autour d'un déjeuner tout juste sorti du four à bois de la cuisine. L'arôme du pain frais était succulent et amena Argent à se surprendre en train de saliver. Elle adorait ce temps de la journée. C'était normalement, chez elle, où la famille était le plus chaleureux, leurs soucis emportés par une bonne nuit de sommeil. Durant le souper, la frustration prenait souvent le dessus et c'était là le fameux temps des querelles, particulièrement entre Azéna et leur père ainsi que Sérus.
Argent repéra son groupe qui était installé à une grande table au fond de la salle, Bautog d'un côté et les deux frères en face de lui. Lorsque l'adolescente approcha, Shinko fut le premier à la saluer. Zril de son côté paraissait de mauvaise humeur, mais au moins, il n'était plus blême. Alors qu'elle s'assied à côté du colosse, ce dernier sursauta et faillit échapper son verre de jus d'orange.
- Oh bonjour Argent, dit-il timidement, le visage rouge.
- Tu es nerveux ce matin, fit remarquer la fille de la tempête.
- L'était bizarre hier soir, expliqua Bautog en pointant Zril du doigt.
- Qu'est-ce que tu veux dire exactement ? questionna la dame en haussant un sourcil suspicieux.
Encore une fois, elle remarqua que les deux frères n'avaient pas de nourriture sous le nez. C'était soit ça ou qu'ils ne touchaient pas à leur assiette. Était-ce que les assukars mangeaient ? C'était impossible que non. N'importe quel être vivant devait se nourrir.
- Trop câlineur, dit enfin le colosse après une longue pause.
- Câlineur ? répéta Argent qui essayait de comprendre ce que son ami voulait dire.
Bautog n'était pas le meilleur pour s'exprimer bien évidemment, mais il était aussi le plus franc du groupe. Qu'importe ce que cela signifiait, c'était une vérité.
- D'ailleurs, pourquoi ne mangez-vous pas devant nous ? continua-t-elle en s'adressant aux deux frères.
- Aucune raison, ronchonna Zril.
- C'est une tradition bien unique de chez nous, expliqua Shinko en accordant un regard désapprobateur à son aîné. Ne vous concerner pas pour nous. Nous avons déjà mangé avant que vous vous réveilliez.
Argent devait admettre qu'elle n'était pas convaincue, mais elle n'était pas du genre à se mêler de la vie des autres. Jusqu'à présent, ils s'étaient avérés dignes de confiance. S'il avait eu des mauvaises intentions, ils se seraient sûrement manifestés avant aujourd'hui.
- Bon, je vous laisse en paix. C'est votre mode de vie et j'étais tout simplement inquiète. Pardonnez mon intrusion.
- Nous sommes bien mystérieux, chantonna Zril avec un peu plus d'entrain que jadis.
Argent poussa un petit rire, mais celui-ci fut achevé prématurément lorsque les rayons des deux soleils furent bloqués par une ombre imposante. Là, de l'autre côté de la fenêtre carré qui séparaient le groupe d'amis de l'extérieur, était un grand homme musclé qui portait une armure révélatrice en cuir et en fourrure. À sa ceinture était attaché une paire de hachettes et à son dos reposait une immense bardiche. Sa peau était couverte de cicatrices lisses provenant de lames et de griffes. C'était là le produit d'une vie débordante de combats, de cruauté et de sacrifices. À première vue, il ressemblait à Bautog, mais en beaucoup plus endurcis et en plus maigre.
- Frère, grogna-t-il en observant le colosse à la table.
Bautog semblait pris de panique. Il laissa tomber son verre de jus d'orange duquel il était sur le point de boire. Les poils de ses bras se hérissèrent, traversés par des frissons. Sa respiration accéléra et il serra les poings.
- Plus frère ! lança-t-il avec une passion enragée. Plus maintenant !
- La Légion ! beugla son soi-disant frère. Légion nous appelle ! Viens avec nous ! Gloire ! Sang ! Dominance ! Tuer dragons !
- NON ! rugit le colosse qui se leva d'un bond.
Argent devina que cet intru était un membre du Sang du Dragon. Il était impossible pour elle de savoir s'il était le frère biologique de Bautog ou tout simplement un frère d'armes. Quoi qu'il en était, si le Sang du Dragon était ici dans la ville, ce n'était pas bon signe.
Le grand gaillard avait maintenant le visage rougit par la colère. Il était sur le point d'éclater. Encore une parole de ce barbare et il allait perdre contrôle.
- Je crois qu'il est temps de filer, fit remarquer Zril.
- Nous devons aider ces gens innocents, protesta Argent.
Personne ne répondit alors, elle assuma que les deux frères désiraient partir. D'ailleurs, le plus jeune des deux paraissait mal à l'aise ; il évitait de croiser le regard de la future reine.
- Shinko ? questionna celle-ci.
Le cri d'une femme retentit au loin. C'était là le signal de débuter à piller, mais le barbare n'était pas prêt à abandonner la chasse. Il tapota la vitre d'un doigt et un sourire se dessina sur ses lèvres asséchées par la cruauté du désert.
- Tu capturer évadée. Nouveau chef oublier méfaits. Toi avoir chance. Reviens. Restes et tu déshonores.
C'était ce qu'Argent craignait : d'autres sbires du Sang du Dragon l'avaient traqué jusque ici. Son cœur se tordit de culpabilité.
D'un rugissement bestial, Bautog répliqua à la nouvelle attaque verbale en grimpant à la table puis, en sautant au travers de la fenêtre, éclatant la vitre. Tel un éclair, il tomba sur sa victime en lui frappant le crâne de ses deux poings.
Le premier instinct d'Argent fut de combattre, de venir en aide à son ami donc, elle se tourna vers la clientèle de l'auberge choquée par la scène de violence.
- Quelqu'un, prêtez-moi votre épée je vous en prie ! hurla-t-elle pour s'assurer qu'elle se fasse bien entendre.
Elle aperçut Zril et Shinko du coin de l'oeil qui avaient dégainé leurs petites dagues. L'assukar aîné se précipita au travers de la fenêtre pour empêcher un deuxième barbare d'y pénétrer. Entretemps, le propriétaire Wynne et sa fille Aphrya barricadaient la porte principale avec des tables et des chaises. Shinko, de son côté, semblait hésiter entre rester auprès d'Argent et d'aller aider son frère.
- Une femme ne sait pas porter une épée ! s'exclama un homme qui avait répondu à l'appel de la future reine.
Il s'était levé de table et on pouvait maintenant identifier deux épées longues à sa ceinture.
- Vous pourriez lui en prêter une, proposa Shinko. Avez-vous vraiment besoin des deux ? Le travail d'équipe remporte contre l'âme solitaire. C'est un fait connu.
- Ça serait une perte, grogna son interlocuteur. Trouvez-moi un vrai guerrier à combattre à mes côtés !
Argent s'avança avec la tête haute et le dos droit comme sa mère lui avait appris durant ses leçons de noblesse. Elle était consciente de la culture humaine : les femmes n'étaient pas entraînées au combat et d'après elle, c'était une perte sévère à comparer aux autres races qui n'étaient pas aussi sexistes.
- Monsieur, vous ne me connaissez même pas, trancha-t-elle avec sévérité. Accordez-moi cette chance et vous ne serez pas déçu.
- Mrphhh, grommela le guerrier qui sondait la pièce. Qui peut manier l'épée ici ?
Personne ne réagit mis à part un vieillard qui avait clairement passé l'âge pour ce genre d'aventure. Les yeux à peine ouverts, il leva son bras tremblant. Il gardait son équilibre en agrippant le coin de la table à laquelle il était assis.
- Par ma barbe ! lança l'homme qui tentait du mieux qu'il pouvait d'ignorer Argent.
Le plus drôle dans tout ça, c'est qu'il était imberbe malgré qu'il était clairement adulte depuis au moins deux bonnes décennies. Il soupira, frottant son menton en songeant à ce qu'il allait faire.
Au même instant, Bautog poussa un cri plaintif et il fut renversé par en arrière. Maintenant suspendu sur le rebord de la fenêtre brisé, son assaillant le tenait fermement à la gorge avec ses mains puissantes. Il avait l'intention de le suffoqué. Argent n'avait plus de temps à épargner alors, elle dégaina l'une des épées de l'homme grossier et chargea en silence en direction du colosse. Le barbare qui menaçait la vie de ce dernier ne l'avait pas remarqué et il se fit décapiter d'un seul coup rapide.
Le corps sans tête tomba lourdement au sol et une fontaine de sang s'échappa de la blessure, tâchant les vêtements de la future reine.
- Est-ce assez convaincant à votre goût ? questionna-t-elle en accordant un regard mauvais au guerrier.
Elle nettoya sa lame avec un pan de ses vêtements et tendit une main à Bautog pour l'aider à se relever. Le colosse parut sur le point d'éclater en sanglot lorsqu'il réalisa qu'Argent lui avait sauvé la vie.
- M-merci, murmura-t-il doucement.
- Soit prudent, conseilla la guerrière. Ne laisse pas tes émotions prendre le dessus. C'est ce qu'ils veulent.
Bautog acquiesça. Entretemps, l'épéiste s'était approché des trois amis et frappa son poing sur son cœur en signe de respect.
- Je m'appelle Tömak de la maison Florux, répliqua-t-il alors que ses yeux s'illuminèrent. Je serais honoré de combattre à tes côtés !
Il attacha ses cheveux épais et noirs ce qui était peu commun à Elthen, en chignon et se prépara au combat. Celui-ci commençait à peine à grisonner ce qui permettait à Argent d'estimer son âge dans la trentaine. Il était en forme, svelte, il avait une attitude sévère et disciplinée ; c'était un soldat qui n'était pas en service. Il passa une dague qui était enfoui dans sa botte droite à l'adolescente qui l'accepta avec joie.
- Au cas où tu perds ton épée, expliqua-t-il avec un sourire en coin. Tu sais, je n'ais connus qu'une autre fille avec du cran comme toi. Elle s'appelle Renora et elle est la bonne amie de mon fils aîné Vorshiènn. Quelle âme fougueuse, celle-là ! On ne la surnommait pas Tigresse pour rien ! Durant une querelle, Vorshiènn y a presque laissé son bijou gauche. Hahaha !
- Son bijou ? questionna Shinko avec innocence.
- Laisse tomber, dit le père en ricanant. De toute façon, nous avons des citoyens à protéger ! À mes côtés, mes vaillants camarades !
Tömak semblait dédié, courageux et honorable malgré son attitude sexiste. Il semblait digne de confiance. Le soldat d'Elthen ne portait qu'une tunique et des pantalons simples, mais cela ne l'empêcha nullement de se lancer dans la mêlée. Dans les rues de la cité, il avait des envahisseurs partout en train de soi piller, violer ou combattre pour arracher des vies.
Argent, Bautog et Shinko sortirent de la taverne par la fenêtre. L'assukar alla aider son frère qui était entouré de trois ennemis armés. Argent se mit dos au colosse qui était déjà en train de saccager l'un de ses anciens frères d'armes avec rien d'autre que ses mains. Il était agité, mais sa rage était sous contrôle ce qui le rendait beaucoup plus efficace et prudent. De son côté, la guerrière évita une attaque qui aurait pu s'avérer fatale en se laissant tomber sur ses genoux et en balançant son épée, coupant les cuisses de son agresseur avec précision. Ce dernier hurla, tomba à la renverse, permettant à l'adolescente de l'achever en perçant son cœur de sa lame.
- Une mort rapide, mentionna un homme à la voix caverneuse. Jeune demoiselle, vous possédez une âme bienfaisante ce qui est une rareté chez les guerriers qui sont habituellement si endurcis.
La future reine se tourna vers son interlocuteur et se retrouva face à un elfe des bois imposant, encore plus grand que Bautog. Azéna lui avait informé que les elfes étaient plutôt sveltes et portaient des traits fins, mais celui-ci était tout le contraire. On aurait dit un taureau; ses traits étaient sévères, il était mince certes, mais ses muscles étaient gonflés. Il portait un kilt aux allures odieux dont des motifs squelettiques le décorait. À part cela, il était nu. Tout-de-même, il paraissait important, bien trop confiant et encore plus, il dégageait une impression de danger. C'était lui ce « nouveau chef » dont le barbare parlait ?
- Une prodige tel que vous en maniement de l'épée, continua-t-il avec un sourire presque séduisant, je vous félicite. Vous m'impressionnez ce qui s'avère assez difficile ces derniers jours...
Il tourna son attention vers sa droite où deux individus luttaient l'un contre l'autre.
- Contrairement à ces deux morpions, dit-il doucement.
C'est à cet instant qu'Argent réalisa que l'elfe gigantesque portait une arme à ces mains: des gants en fer équipées de griffes acérées. D'un coup bref, il trancha le défendant d'Elthen si profondément que ce dernier n'eut pas le temps de crier avant que son coeur ne s'arrête.
Lorsque la tête roula au sol jusqu'aux pieds de la brunette, celle-ci reconnut son nouvel ami: Tömak. Il avait toujours les sourcils froncés, perdu dans son combat à mort. En songeant à sa famille, à son fils qui n'allait plus revoir son père, Argent serra les dents et leva la tête pour fixer le meurtrier droit dans les yeux.
- Tu n'as pas d'honneur ! s'exclama-t-elle sèchement, ne prenant guère attention à la politesse.
- Nous sommes en guerre, pas dans une partie de plaisir. Tu possèdes les compétences certes, mais ton jugement semble légèrement embrouillé.
Elle remarqua que l'elfe lui rendit son manque de respect: il la tutoyait maintenant.
- Qu'est-ce que tu me veux ? demanda-t-elle. Qui es-tu ?
- Simplement t'offrir mes compliments... Je suppose que je pourrai te révéler mon prénom: Erurawin. Quel est le tien ?
La guerrière hésita, certaine que partager son identité avec un tel être n'était pas une bonne idée, mais elle était honorable donc, elle décida se prendre cette chance:
- Argent.
L'elfe fit une longue pause. Il semblait réfléchir.
- C'est un prénom qui m'est familier, mais rien ne me vient à l'esprit, avoua le chaman.
Une partie de l'anxiété d'Argent se retira sur le coup. Sachant qu'elle était la future souveraine d'Elthen, il l'aurait sûrement tué sur le champ. Sans trop comprendre pourquoi, Argent savait qu'elle ne pourrait pas aisément vaincre cet homme et elle ne pouvait pas se permettre de mourir, pas maintenant.
- Bon, de toute façon, je suis un homme occupé, continue Erurawin. Je te souhaite une belle mort, mademoiselle Argent. J'espère te revoir lorsque je visiterai le monde spirituel.
Il baissa les bras et se mit à psalmodier une incantation, sûrement une sorte de téléportation quelconque. Elle était là devant elle: la chance ultime de se débarrasser d'un tel monstre. Mais quelle imprudence ; c'était étrange. Peut-être avait-il senti sa crainte et ne la voyait plus comme une menace. Qu'importe, elle devait le tuer; elle avait des gens à protéger. C'était bien une chose qu'elle maîtrisait depuis longtemps: elle se rétablissait vite des chocs émotionnels. Elle prit son anxiété par les cornes et le dompta en prenant une grande respiration.
Elle s'élança, son arme à la main et se rappela de ses propres leçons qu'elle avait donné à Azéna à propos du maniement d'épée: garde ton sang-froid, observe tes alentours, relaxe tes muscles, garde tes bras près de ton corps en cas de besoin rapide pour se défendre et surtout, utilise tes deux mains pour empoigner le manche pour solidifier tes attaques. Elle respecta toutes ses propres consignes et pointa son épée en direction du cœur d'Erurawin.
Alors qu'elle était presque au but, elle aperçut le chaman qui effectua un mouvement subtil de ses doigts. Une présence horrifiante déconcentra la guerrière et lorsqu'elle sentit un grand frisson lui traverser l'épine, elle fut forcée à lutter contre ses instincts. Ceci était surnaturel et elle devait s'éloigner, mais il ne fallait pas. Elle maintenu sa position et continua sa charge.
- Argent, bat en retraite ! hurla Shinko derrière elle.
Pendant l'espace d'un instant, la brunette crut apercevoir un visage transparent qui lui était à la fois étranger et familier: un homme barbu qui lui ressemblait un peu trop et qui était dans un stade de décomposition.
- Ma belle petite-nièce, susurra l'esprit avant de monter le ton. Cours !
Elle en était certaine en cause de sa voix si distinguée : c'était son grand-oncle Cohennar. Incapable de contenir ses émotions, elle se sentit briser sa position, mais un peu trop tard. L'épée atteignit sa victime, mais elle dévia de sa cible. Cohennar disparut lentement, jusqu'à en devenir invisible comme s'il avait été aspiré par une autre dimension.
- Arghhh ! rugit l'elfe sylvain avec autant d'admiration que de colère dans son regard. Je suis le chaman Erurawin et je ne serai pas vaincu par toi Argent !
Étrangement, cette dernière eut une bouffée de chaleur. Elle détestait la situation dans laquelle elle se trouvait, mais être reconnue par son ennemi qui était visiblement puissant et haut-placé lui apportait une immense fierté.
- Tu m'as sous-estimé ! C'est ta propre faute !
Erurawin grimaça de douleur, attrapa la guerrière par les épaules et dans un rugissement bestial, il la repoussa si violemment qu'elle fut projetée à quelques lieues de là. Il tira la lame du haut de son torse et la jeta cruellement contre le cadavre meurtris de son propriétaire.
- Oh tu m'as presque eu ! rugit-t-il avec passion. Quelle poussée d'adrénaline tu m'as donné !
Bautog se débarrassa d'un barbare en l'assommant d'un coup de tête ferme et se précipita vers la perle de sa vie. Shinko fit de même. Les deux hommes s'entre-aidèrent pour supporter le poids d'Argent, lui permettant de se relever.
- Pas mal ? questionna Bautog, les yeux écarquillés.
- J'ai un sale mal de dos et je suis un peu étourdis, mais je crois que je vais bien, répondit la brunette.
Mais elle ne s'intéressait qu'à Erurawin. Ce dernier beuglait des ordres à ses sbires en se cramponnant l'épaule où l'épée l'avait atteint. Du sang se déversait de la blessure lentement, mais sûrement. Il perdait tranquillement son sang-froid et sa colère grandissait.
- On fait quoi chef ? demanda l'un des barbares.
- Comprend pas, répliqua un deuxième, celui-ci paraissant plus lent d'esprit que le premier. Donner plus de détails.
- Je vous ai dit de vous venger de ces misérables pestes ! cracha le chaman avec véhémence. Ce n'est pas compliqué, même pour vous. Ah, laissez tomber ! J'ai besoin de guérison... Battez en retraite ! Avertissez les autres !
Zril se plaça à la droite d'Argent, se croisa les bras et ricana fortement pour s'assurer qu'Erurawin l'entende. Son plan fonctionna, l'elfe des bois fixa son attention sur lui.
- C'est ça qui arrive lorsque tu jacasses avec ton ennemi et que tu ne paie pas attention, se moqua-t-il avec un sourire hautain, une canine supérieure dépassant de sa bouche.
- Vil créature ! rétorqua son interlocuteur. Tuez l...Ugh...
Il avait fait un mouvement brusque du bras et avait agrandit sa plaie. Il grimaça de douleur et serra ses dents qu'il exposa dans une expression mesquine.
- À moi ! Fidèles du Sang du Dragon, à moi !
Quelques sbires firent apparition, certains étaient couverts de sang, d'autres traînant une victime avec lui, mais tous se dirigèrent vers leur chef et l'entourèrent pour former un cercle protecteur.
- Par l'Aspérule Blanche, grogna Argent, déçue qu'elle ne puisse pas achever le chaman.
Tout autour de lui, il y avait des hommes bâtis comme des bœufs qui pointaient leurs armes droit devant eux. Il était impossible de se rendre à leur supérieur sans devoir en tuer quelques un.
- Je vais essayer, murmura Argent à ses compagnons.
- Tu es cinglée, rétorqua Zril. Au moins, laisse-nous t'aider.
L'assukar effronté avait peut-être une attitude qui laissait à désirer, mais il avait tout-de-même un peu d'honneur quand il était d'humeur.
- Bautog, charge et nous te supporteront, expliqua-t-il. Argent, tu passeras la dernière. Va droit au but et cette-fois, ne rate pas ta cible ! Tu n'auras probablement qu'une seule chance.
- Merci Zril, dit la future reine avec sincérité.
- Bah, ne le mentionne pas, grommela le jeune assukar. Bon, allez Bautog, vas-y. Ce vaurien d'elfe se prépara à quelque chose de louche.
En effet, Erurawin psalmodiait encore une formule dans un langage étrange. Quoi qu'il fît, ce n'était pas à leur avantage d'attendre.
Le colosse obéit et s'élança vers les sbires du Sang du Dragon en hurlant toute sa colère. À chacun de ses pas, le sol tremblait légèrement. Les deux assukars le suivaient de près. Shinko tira une dague au visage d'un ennemi tandis que Zril crispa ses mains dans une position étrange puis, une sorte d'énergie sombre en sortit et se transforma en un flux qui s'attacha à une victime. Cette dernière hurla comme un animal entrain de suffoquer et s'écroula soudainement, sa peau maintenant ratatinée et son âme semblant disparut.
- Qu'est-ce que... ? murmura Argent, les yeux écarquillés par le choc.
- Allez Argent ! hurla Zril.
La guerrière ne comprenait pas ce qui venait de se produire, mais elle avait la chance de tuer le dirigeant de tous ces sbires et de les envoyer dans un stade de panique sans direction et surtout, sans commandant. Elle se précipita sans hésitation vers Erurawin. Enfin, jusqu'à ce que des battements d'ailes puissants la distrait. Un dragon noir et squelettique fit apparition dans le ciel et s'abaissa juste assez pour que le chaman puisse se cramponner à l'une de ses jambes.
- Non ! rugit Argent alors qu'elle reprit son allure initiale.
Mais elle était trop tard et le béhémoth était trop prompt. Celui-ci feula tel un félin sauvage et prit de l'altitude à une vitesse incroyable.
- Pas aussi rapide que ce malin de Tyrath, murmura la brunette alors qu'elle ne pouvait qu'observer sa chance s'éclipser.
Tout-de-même, c'était un spectacle féérique à sa manière, malgré l'allure repoussante du dragon. Les citoyens d'Elthen étaient tous émerveillés comme des enfants; sûrement que la plupart d'entre eux n'avaient jamais vu de dragons.
Argent elle, était en rogne et de plus, elle avait encore du travail à faire. Elle croisa le regard de ses compagnons et ces derniers hochèrent de la tête, lui donnant le signal qu'il était temps d'abattre le reste sbires du Sang du Dragon ce qu'ils firent avec prouesse avec l'aide de quelques gardes de la citée.
Argent fut celle qui enleva et qui sauva le plus de vies. Ses compétences en maniement d'épée était incontestés et à la fin du saccage, les habitants le lui firent savoir en l'acclamant alors qu'elle venait de sauver un jeune garçon des griffes d'un intimidant barbare qui d'ailleurs, failli lui enlever la vie.
- Dame de l'Épée, clamèrent-ils en unisson. Dame de l'Épée !
- Elle mérite plus que ça ! s'exclama le tavernier en s'approchant de la guerrière exténuée, mais en paix avec ses accomplissements.
- Que veux-tu dire Wynne ? questionna une dame d'âge assez avancé.
Argent l'a reconnue immédiatement comme la femme qui chantait pour les clients de la taverne la soirée dernière. Sa chanson lui vint à l'esprit et elle sentit une soif de curiosité l'envahir. Elle désirait l'approcher, mais Wynne posa une main sur son épaule.
- Reine de l'Épée ! Vous avez devant vous la promise du Prince Kiojar ! révéla-t-il avec fierté. Elle fera une souveraine qui passera dans l'histoire de notre royaume comme un symbole d'union et de bravoure !
La foule poussa un soupire de surprise suivie de murmures incertains. Un moment passa, puis la plupart se mirent à chanter : Reine de l'Épée à répétition.
- Je dois mes compétences au combat à mon grand-oncle Cohennar qui m'a donné ma toute première leçon en maniement d'arme et ma discipline à ma famille, avoua Argent avec modestie.
La chanteuse s'approcha avec un rayon de nostalgie et d'amertume dans le regard.
- Je savais que son sang s'écoulait en toi ! Cohennar vit en toi ! Tu es son héritage ! Je connais la véritable origine de ta famille !
Annotations