Quelque jours étaient passés depuis la première visite, et je commençais à me demander si je n'avais pas rêvé. Jamais je ne m'étais autant ennuyée.

Je m'étais assise à la table avec mon ordinateur et une tasse de thé, mais l'inspiration ne venait pas. Je ne parvenais pas à écrire la suite de ce roman sur lequel je m'embêtais depuis des jours.

Quelqu'un sonna à la porte et je me levai d'un coup. Avec un peu de chance, Ennui était revenu me prodiguer quelques bons conseils.

Mais en ouvrant la porte, je me rembrunis. Face à moi, ce n'était pas Ennui, mais une femme mince et de grande taille, dont les cheveux rouges striés de mèches bleues étaient tirés en une queue de cheval ébourriffée. Elle portait un tailleur ajusté, dont le tissu brillant arborait un superbe rouge, et une paire de petites lunettes triangulaires posées au bout de son nez.

De la main droite, l'étrange femme tenait une fine épée dont la garde, le pommeau et la poignée étaient dorés et incrustés de rubis.

- Qui êtes-vous ? lui demandai-je. Vous n'êtes pas Ennui, n'est-ce-pas ?

Elle cligna lentement des yeux, puis me répondit.

- La Vengeance.

- Pardon ?!

- Je suis la Vengeance.

Ce mot me fit frissonner.

- Vengeance ?! Mais... qui voudrait se venger de...

- Du calme, me tança-t-elle. Je ne suis pas là pour me venger de toi, enfin !

- Mais alors... pourquoi...

- Ce n'est pas très poli de laisser les invités moisir sur le pas de la porte. Puis-je entrer ?

Je lui fis signe que oui et préparai pour elle une tasse de café. Nous nous assîmes à la table et elle m'expliqua enfin la raison de sa venue.

- Je suis venue pour que tu puisses, toi, te venger de ceux qui t'ont fait du mal. N'y a-t-il personne qui t'ait un jour malmené ?

Je réfléchis un instant. J'avais eu pas mal de soucis, et sans doute plusieurs ennemis. Mais de là à me venger ? Non, la vengeance, ce n'avait jamais été mon truc.

- Non, répondis-je. Je ne veux de mal à personne.

La Vengeance me sourit alors, d'un sourire cruel aux dents parfaitement blanches.

- Il ne s'agit pas de faire du mal, mais de rendre le mal qui nous a été infligé. Oeil pour oeil, dent pour dent, comme on dit. Je sais que tu aimes les proverbes.

Si elle espérait m'avoir ainsi, elle pouvait se recoucher.

- Se venger de quelqu'un, c'est se mettre à la hauteur de celui qui ne nous mérite pas. Vos grands mots ne me charment pas pour un sou.

Elle sourit à nouveau, pas de ce sourire cruel de prédatrice, mais d'un sourire fier et franc.

- Tu es sage, fille des Hommes. Votre vie est trop courte pour être gâchée à fréquenter les méchants. Garde toujours tes convictions. Et moi qui croyais que tous les Hommes étaient mauvais...

Sur ce, elle disparut, ne laissant qu'une fine poussière rougeâtre et brillante sur mon fauteuil.

Alors je souris à mon tour. Je savais enfin quoi écrire.

Quand la vengeance frappe à votre porte, ne lui ouvrez pas, à moins de vouloir faire face à la Vérité.