Chapitre 3 Questions pour un vampire
J’avais à présent la preuve vivante que ma grand-mère disait vrai. Ma famille avait bien été en contact avec des créatures surnaturelles qui ont traversé les siècles. Quel rôle a-t-elle bien pu jouer ? Était-elle leur servante ? Leur amie ? Leur complice ? Mille questions me venaient à l’esprit et pas assez de mots de la part de ma bouche pour pouvoir toutes les formuler. Isa, si c’est bien son nom, m’allongea sur le lit et prit place dans mon fauteuil, jambes croisées, face à moi.
« D’accord, dis-je alors en tremblotant, je te crois, tu es bien un vampire. Isa, c’est vraiment ton nom ?
-C’est un diminutif, j’ai dû me mettre à la page récemment. Mon nom complet est Marie Isabelle Garnier de la Baie.
-Effectivement, c’est plutôt long pour notre époque.
-C’était un nom courant autrefois. »
Sur ce point elle avait raison, il était normal que des familles cherchent à se différencier des autres lorsqu’elles portaient le même nom. Mais son nom complet n’avait que peu d’intérêt. Puisqu’elle semblait disposée à répondre à toutes mes questions je décidai de me lancer sans tabous. Je pris alors le risque de lui demander son âge, ses origines ainsi que ses motivations. Elle répondit dans l’ordre :
« J’ai au total 146 ans, je suis issue d’une famille modeste originaire de Lisieux et j’ai besoin d’aide de la part de ta famille. »
Après un laborieux calcul mental, j’en avais déduis qu’elle était née en 1869, sous le second empire. Pour Lisieux, je n’y avais mis les pieds que deux fois, cependant je savais que ce n’était pas loin de Deauville. Quant à la troisième révélation, d’après ce que j’ai cru comprendre, elle sortait d’une longue phase de sommeil et s’était retrouvée dépassée par le changement d’époque. Elle n’avait conservé que d’anciennes devises qui n’étaient plus valables depuis le passage à l’euro. Elle se retrouvait dans le besoin suite à une querelle avec les siens. Elle avait besoin d’argent pour se vêtir, se loger et se réapprovisionner en sang. Nous étions bien loin de l’idée que j’avais du chasseur redoutable, rodant la nuit à la recherche de sang frais.
« Pour le sang euh… est-ce que…
-J’ai un accord avec le boucher. Si je trouve de quoi payer, il me donnera ses excédants. J’ai juste besoin d’une avance.
-Je veux dire par là, tu n’étais pas censée le prendre sur des humains ?
-Si… Enfin, c’est compliqué.
-Tu veux dire que tu ne peux pas ?
-Je ne peux plus, enfin c’est plus difficile qu’avant. Et les autres ne le permettraient pas.
-Il y en a d’autres comme toi dehors ?
-Quelques-uns. Je ne les connais pas tous bien sûr, mais je les sens et ils ne m’aiment pas beaucoup.
-J’imagine que ça doit être dur.
-J’ai eu une vie plutôt mouvementée dans l’ensemble, avec eux. Vivre à l’écart des buveurs de sang humain me permet d’avoir la tranquillité, d’une certaine manière.
-Comment se fait-il que personne n’ait jamais remarqué votre présence ?
-Nous faisons très attention. Pour autant que je m’en souvienne, nous avons toujours fait en sorte d’effacer nos traces à travers l’Histoire. Il y avait bien quelques humains comme ta grand-mère qui étaient dans la confidence et qui nous aidaient à nous intégrer. En échange on leur rendait quelques services.
-Quels genres de services ?
-Quelques tâches nocturnes que l’on était les seuls à pouvoir assurer.
À l’évidence, le sujet la mettait mal à l’aise. Puisque ce n’était pas le plus important à mes yeux, je l’orientai sur autre chose. Je voulais savoir si elle pouvait être hostile.
-Tout ce qu’on dit sur vous, depuis des siècles, c’est vrai ?
-On a dit des tas de choses sur moi.
-Je parle des légendes, celle du tueur démoniaque qui se transforme en chauve souris.
-Mes connaissances sur le sujet ne remontent qu’à deux siècles. Je ne peux pas parler pour les autres ailleurs dans le monde, mais tous ceux des nôtres qui résident en France depuis le moyen âge n’ont jamais tué personne. Je ne connais rien du démon et je ne me transforme pas, ni en chauve souris, ni en loup, ni en nuée d’insectes, ni en meute de rats.
Visiblement, Bram Stoker avait laissé libre court à son imagination. Pourtant, il y avait du vrai dans toutes ces histoires. Peut-être devais-je orienter mes questions vers Anne Rice.
-Dans ce cas, est-ce que vous dormez dans un cercueil ?
-Non.
-Vraiment pas ?
-La dernière fois que j’ai essayé, je me suis retrouvée en terre le lendemain. Une erreur de jeunesse. Quand je dors, on me croit morte. Mon rythme ralentit et je redeviens froide. Lorsque j’ai besoin de dormir, je me cache chez des complices humains ou chez d’autres vampires quand ils ont pitié de moi.
-Donc ni Stoker, ni Anne Rice n’étaient dans le vrai.
-Qui ?
-Non rien…Vous avez des pouvoirs peut-être ?
-Des pouvoirs ?
-Devenir invisible, lancer du feu,…
-Le feu me brule.
-Tu fonds en poussières ?
-Non, ça me brule, ça me fait mal et ça me laisse des marques, c’est tout.
Comme pour la plupart des gens, pensai-je alors.
-Vous avez tout de même quelques capacités hors du commun ?
-Ça se pourrait.
-Tu n’en es pas sûre ?
-Nous n’avons pas tous le même potentiel.
-Mais toi, que sais-tu faire ? »
Voyant que j’avais eu le temps de récupérer, elle me fit signe de me lever. Elle s’approcha de moi et commença enrouler ses bras autour de ma taille. À présent que je connaissais sa nature, je n’étais pas très rassuré de savoir son corps aussi près du mien. Mais ce qu’elle désirait me montrer n’avait pas vraiment de mots pour le définir.
« Je peux faire ça !» Dit-elle.
En quelques secondes, je sentis mes pieds quitter le sol lentement, et je l’accompagnai jusqu’au plafond. Une sensation de légèreté m’envahissait le corps et je ne ressentais plus mon propre poids. Voyant que le manque de gravité commençait à me retourner l’estomac, elle me reposa par terre.
« Lévitation donc. C’est tout ?
-Je peux voir dans le noir et sentir à des kilomètres à la ronde, j’entends très bien également.
-Les classiques, j’aurais dû commencer par là. Allons plutôt voir du côté de Buffy.
-Qui ça ?
-Les pieux ont vraiment un effet ?
-Que ferais-je d’un pieu ?
-Si on vous enfonce un pieu…
-Je ne suis pas du genre à m’enfoncer des pieux.
-Dans le cœur !
-Oui, j’avais compris ! Et non, je n’ai jamais essayé. Je suppose que si mon cœur ne bat plus, je perdrais connaissance et que je me réanimerais si on me l’enlève. La plupart du temps c’est ce qui se passe.
-Donc 4-0 pour la réalité, et zéro pour Buffy.
-Je ne comprends pas ces références.
-Ce n’est pas grave, laisse tomber. »
Cette histoire de pieux devait venir des pays de l’Est. À en croire ce qu’elle décrivait, ils devaient à l’origine servir à maintenir un vampire cloué au sol dans sa tombe et l’empêcher de se relever après la mort.
« En sommes vous êtes plutôt un vampire végétarien.
-La viande ne me pose pas de problème.
-Je veux dire que vous ne consommez que du sang animal ?
-Le sang animal n’est qu’un substitut qui nous maintient en forme. Seul le sang humain nous renforce pleinement.
-Pourtant, vous ne tuez pas ?
-Pourquoi le ferai-je ?
-Je ne sais pas, le plaisir, l’instinct, le besoin de puissance, la facilité.
-Je ne ressens pas de plaisir particulier, je me nourris parce qu’il le faut pour vivre, un point c’est tout. Je prends ce dont j’ai besoin en sang et je reviens régulièrement chez ceux qui veulent bien m’en donner. Je n’ai aucun intérêt à tuer, un mort ne donnera plus jamais de sang, contrairement à un vivant.
Donc à l’instar des humains, les vampires étaient passés de chasseurs cueilleurs à éleveurs agriculteurs. Dans un sens c’était plus moral, quoique.
-Vous ne faites pas d’addiction au sang ? Demandai-je.
-Faites-vous une addiction à l’eau ?
-Non.
-Mais vous en buvez tous les jours ?
-c’est vital ! »
Et toc ! Elle venait de me clouer le bec. Il ne faisait aucun doute qu’elle était intelligente. Elle n’avait rien à voir avec le monstre stupide affamé des légendes chinoises, ni avec le mort-vivant des Balkans. C’était juste une femme avec des crocs. Une chose me frappa cependant : elle vivait dans le corps d’une jeune fille mais avait la personnalité d’une vieille dame. Peut-être était-ce dû à son grand âge, mais j’aurais bien aimé faire la connaissance de la jeune femme qu’elle était lorsqu’elle correspondait à l’âge qu’elle paraissait.
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