Chapitre 11 Interrogatoire avec un vampire

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Je ne m’étais jamais vraiment retrouvé dans cette situation. Je dois le dire, j’ai toujours fait mon possible pour mener une vie droite et honnête. Peut-être eussé-je un PV ou deux. Je ne m’en souviens plus. J’avais vu la scène des milliers de fois dans les films et les séries policières, mais je n’étais pas vraiment rassuré par rapport à ce que ces messieurs de la Police auraient pu découvrir en examinant Isa. Le plus drôle est que je m’étais juré bien avant cela que si cela devait se produire un jour, je resterais fort et devrais réagir en « Homme », avec un grand H. Mais à présent que la situation était devant mes yeux, j’étais plutôt enclin à agir en pleureuse avec une petite… Fierté. Au fond, je me voyais déjà un sac plastique sur la tête, avec un jet d’eau sur la gueule et une batterie de voiture reliée à mes doigts. Peut-être que je regardais trop de films.

Quoi qu’il en soit, le passé est le passé. Isa avait gravement merdé par ma faute. Elle se tenait en face de moi dans le train et dans la panique j’avais peut-être un peu confondu ma droite et ma gauche. Enfin, ma droite, devait être sa gauche, ou l’inverse,… Ou quelque chose comme ça. Voir avec mon âme était très intéressant, mais je perdais un peu sa perception naturelle de l’espace. C’était un peu comme voir les choses du dessus dans un jeu vidéo.

L’inspecteur qui se tenait en face de nous était un homme d’un certain âge, trapus, assez costaud. Probablement un vieux briscard de la Police. Il devait en avoir vu pas mal dans sa carrière. Isa et lui échangeaient sans rien dire une succession de regards blasés. Je pense qu’elle aurait pu venir habillée en succube ou en Dracula qu’il n’aurait pas réagi différemment. À cette pensée je me suis demandé un instant à quel genre de loustics il pouvait avoir affaire toute la journée.

L’inspecteur tapait sur son clavier. De temps en temps il nous adressait un regard des plus inexpressifs, pensait tout haut, ou ouvrait la bouche pour dire quelque chose puis se retenait pour repartir taper sur son clavier. Il répéta ce cycle plusieurs fois, pendant qu’Isa restait de marbre.

Derrière elle, se trouvait un autre inspecteur à qui elle était menottée. Il était plus jeune, mais son physique dur et impitoyable révélait qu’il devait être du genre sanguin. Il pouvait s’estimer chanceux qu’Isa ne puisse plus se nourrir. Le premier inspecteur me sortit de mes pensées en tapant ses mains l’une contre l’autre :

« Bon ! Eh bien les enfants, on va pouvoir commencer par le plus facile : Nom, Prénom, Année de naissance, profession et tout le blabla qui va avec…

Isa répondit :

-Marie Isabelle Garnier, née en mille huit,…

-NEUF CENT ! M’écriai-je.

-Plait-il ?

-Elle est née en 1995 ! Elle a du mal avec les chiffres.

L’inspecteur nota ces informations et nous fit attendre quelques minutes pendant qu’il consultait son écran. Le deuxième restait muet dans son coin. Il laissait parfois échapper des interjections du genre : Tss, pff, humf,…

-Bon, c’est un début. Reprit l’inspecteur. Mademoiselle Garnier, pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous voyagez avec des faux papiers datant de la seconde guerre mondiale ?

-Ceux d’aujourd’hui sont vraiment trop durs à imi…

-C’est pour du jeu de rôle ! M’écriai-je à nouveau.

-Monsieur si vous intervenez encore, je vous renvoie en cellule ! Attendez qu’on fasse appel à vous ! »

Je dus m’incliner face à cette menace et je laissai Isa se débrouiller seule.

« Mademoiselle, vous êtes l’objet d’une plainte très sérieuse lancée contre vous par la SNCF, pour violence, voie de fait, coups et blessures, dégradation de matériel, refus d’obtempérer et outrage à agent. Si j’en crois les témoignages, vous auriez insulté des officiers de Gendarmerie de « faquins », ah, on me l’avait encore jamais sortie celle là.

-Si on n’a plus le droit d’exprimer son mécontentement… Répondit Isa.

-Bon, soit, je veux bien fermer les yeux pour l’outrage à agent. Par contre, je veux comprendre ce qu’il s’est passé dans le train. D’abord, vous êtes l’héroïne du jour en sauvant la vie d’un homme qui se blesse en se rasant, ensuite vous vous rendez coupable d’une agression. Soit dit en passant, la victime en question était ceinture noire de judo, étiez vous sous l’emprise de quelconques substances ?

-Non, monsieur. Ma force augmente sous l’effet de la peur ou de la colère, mais ce n’est rien comparé à celle que je peux déployer quand je consomme du sang humain. Si c’était le cas je pourrais briser ces chaînes et bouger plus vite que vos balles.

Les deux inspecteurs se regardèrent, le premier lança à l’autre un regard inexpressif, le deuxième laissa échapper un « Tss ! »

-Bon, sérieusement, j’envisage de faire des tests sanguins sur vous pour vérifier si vous êtes bien dans votre état normal. En attendant, on va tout reprendre depuis le début. Nom, prénom, année de naissance et profession !

-Marie Isabelle Garnier de la Baie, 1869, reine procréatrice.

L’officier prit sa tête entre ses mains et sembla perdre tous ses moyens durant un instant.

-Dans cinq ans je suis en retraite, j’en aurai bientôt fini avec toutes ces conneries ! N’est-ce pas Bessière ?

-Tss !

-Bon on enchaîne, il se fait tard. Repris l’officier. Nos confrères de la Gendarmerie ont retrouvé dans vos affaires un couteau usagé ainsi qu’une dizaine de poches de sang. Vous allez me dire que vous faites dans le don d’organe peut-être ?

-Non monsieur, je suis juste un régime alimentaire très strict qui m’oblige à…

-Oui, oui bon… Vous fatiguez pas ! Le sang passe encore, le labo assure que c’est du sang de bœuf. Vous confirmez Bessière ?

-Tss !

-BESSIERE !

-Euh oui ! Pardon mon commandant, il s’agit de sang de bœuf de premier choix provenant directement d’un abattoir de Normandie.

Le vieil inspecteur repris sa tête entre ses mains tout en grommelant et poussa un long soupir.

-Bon ! Et pour le couteau ?

-Je m’en sers quand je chasse ! répondit Isa.

-Mais oui, suis-je bête, c’est la saison, la perdrix est rude cette année à Paris ! N’est-ce pas Bessière ?

-Tss !

Les deux inspecteurs se regardèrent en pouffant de rire.

-Je suis très sérieuse !

-Elle chasse le bison futé monsieur ! S’exclama Bessière.

-C’est pour la chasse au gros ! Je dois faire gaffe ! Dit l’inspecteur.

-Non la chasse à court, reprit Bessière hilare.

-La chasse au poulet ! Lançai-je alors dans le feu de l’action.

Isa et les deux policiers me lancèrent tous les trois un regard plus noir que le charbon. Je venais de casser l’ambiance et soudain j’eus voulu naitre muet afin de m’empêcher de sortir des idioties sans réfléchir. Je m’excusai, tout en regardant mes chaussures. Bessière s’approcha de moi, positionnant sa tête très près de mon visage, sa bouche un peu trop près de mon nez.

-Dis donc le petit comique, est-ce que tu sais seulement à qui tu parles là ! TU SAIS COMMENT ON ME SURNOMME ICI !

-Presse purée ? Dis-je en mettant mes deux mains sur mon nez.

-Il se fout de ma gueule, ou je me fais des idées !

-Pardon, mais pourquoi vous trimbalez des gousses d’ail autour du cou ? Pourriez-vous les éloigner de mon nez je vous prie ?

-Non l’ail c’est pour calmer ta copine, y a que ça qui marche. Tu vois, on a tout essayé, le lacrymo, le taser, les coups de bottin,… Rien ne fonctionne. Tu peux me dire pourquoi elle réagit pas normalement ?

-C’est bon ! Calmez-vous Bessière. Ordonna l’inspecteur. Bon, on va pas rester un siècle sur un couteau…

-Eh bien je…

-NON ! Non, je ne veux rien entendre. Vous déteniez une arme de sixième catégorie et c’est tout ce qui compte. Reconnaissez-vous les faits, OUI ou NON ?

-Je les reconnais…

-Bon on avance. Et pour l’agression ? On vous a surprise à califourchon sur ce pauvre homme en train de l’étrangler. Je me trompe ?

-Je l’ai confondu avec ma proie.

-Tiens donc, il faisait pas assez clair dans le train, peut-être ?

-Trop clair, je n’aime pas la lumière.

-Rassurez-vous, on a de quoi vous envoyer à l’ombre pour le restant de vos jours !

-Si seulement !… Monsieur, c’est une regrettable erreur, j’étais guidée à l’aveugle par la projection astrale de mon ami, ici présent, afin de débusquer un vamp… Une proie, quand des messieurs de la maréchaussée sont intervenus à l’arrêt du train, pour m’en empêcher. Ils m’ont pulvérisé un produit infâme dans les yeux et m’ont violenté.

-En contre partie, ils vous doivent une jambe cassée, une épaule déboîtée, sept phalanges brisées et un traumatisme crânien,… Je continue ?

-C’était de la légitime défense ! Argumenta Isa.

-Ah non, vous foutez pas de moi ! Ça suffit comme ça, on arrête de jouer ! Je… »

À cet instant le téléphone sonna. L’inspecteur pris l’appel et sembla stupéfait.

« Quoi ?... Comment ?... Bien monsieur… »

L’officier raccrocha le combiné, se leva puis se tourna vers son collègue qui retenait toujours Isa enchaînée.

« On les détache. Dit-il.

-Pardon ?

-Vous avez bien entendu ! Ordre du préfet, du ministère de l’intérieur ainsi que celui de la défense, on les relâche immédiatement.

-Monsieur, j’aimerais comprendre ! Dit le second policier.

-Vous savez Bessière, j’ai eu une très longue carrière. J’ai vu passer beaucoup de choses à Paris. Des drogués, des gangs, des délinquants, des escrocs, et même des braqueurs. Mais je crois que c’est la première fois que j’ai affaire à un cas comme celui-ci. Voyez vous je viens de recevoir un appel de la DGSI.

-La DGSI ? Vous voulez dire que…

-Ils ont identifié l’homme qui s’est fait agressé par cette jeune femme. Il s’agit d’un dangereux criminel recherché activement par Interpol. Il est en ce moment même à Bichat, sa chambre est gardée par des collègues de la PJ.

-Pas possible !

Pendant que le vieil inspecteur nous retirait les menottes, le deuxième se grattait la tête en répétant « C’est pas possible ! » à tout-va.

-En ce moment même, les gendarmes sont en train de fouiller son appartement. Ils ont retrouvé des armes, ainsi qu’un laboratoire d’explosifs. Cette demoiselle est intervenue au bon moment, quelques minutes de plus et il aurait pu passer à l’action.

-La vache ! On a failli commettre une belle bourde, n’est-ce pas commandant ?

-Tu l’as dit fiston ! Dîtes-moi mademoiselle, s’adressant à Isa, comment connaissiez-vous la véritable identité de cet homme ?

-Je n’en savais rien. Répondit Isa.

Les deux policiers semblèrent soudain très embêtés.

-Bon, je reprends, vous étiez forcément au courant de quelque chose.

-Non.

-Hem, il serait préférable pour tout le monde que vous ayez agi par pure citoyenneté, vous me suivez ? Est-ce le cas ?

L’officier tentait différent clins d’œil, plus ou moins subtils, dans l’espoir qu’Isa réponde « oui ». Moi-même je suppliais Isa intérieurement de répondre positivement, qu’on puisse enfin sortir de cet endroit sordide. Mais Isa répondit :

-Je vous assure que non.

-Bon, sortez…

-Mais je n’ai pas terminé mon histoire !

-DEHORS ! Foutez-moi le camp d’ici ! Sortez immédiatement ! Hurla l’inspecteur. »

Le dénommé Bessière, aidé de ses collègues, nous fîmes sortir du commissariat par la manière forte, nous jetant à la rue comme de vulgaires déchets.

« Vous n’avez pas le droit ! Bande de faquins ! M’écriai-je. »

Je dévalai les marches du commissariat sur le ventre, tête la première, et Isa suivit bientôt, achevant sa chute en tombant sur moi, m’écrasant littéralement contre le goudron.

« Qu’est ce qu’on va dire au préfet commandant ? Demanda Bessière.

-Que je suis trop vieux pour ces conneries et que j’ai dépassé mon quota de tarés pour la journée. Par contre pour vous, je sais pas. Un coup de sang peut-être. On n’a rien vu, on a rien entendu. Il ne s’est rien passé.

-À vos ordres commandant ! »

Sur ce, les policiers refermèrent les portes du commissariat. Nous étions libres et tirés d’affaire, nous pûmes quitter les lieux dans la dignité… Ou presque !

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