Chapitre 14 Le côté obscur
Il était minuit lorsque j’entendis le gros bourdon résonner dans le lointain, sur l’île de la cité. Notre-Dame n’était plus qu’un murmure, de là où nous étions, mais je pouvais clairement distinguer sa voix grave pendant que j’émergeais du sommeil réparateur dont j’avais besoin après une nuit comme celle que je venais de vivre.
Je n’étais probablement pas bien réveillé car il me semblait entendre comme des chants grégoriens et des rires d’enfants sonnants comme des échos au moment où j’ouvrais mes paupières. Mais lorsque je fus complètement sorti de mon sommeil, ceux-ci avaient disparu. Évoluant dans la pénombre, je cherchais en vain l’interrupteur. Constatant que celui-ci ne fonctionnait point, il me revenait en mémoire qu’Isa avait conservé une bougie du restaurant où nous avions passé la soirée. Après ce qu’il s’était passé, la jeune reine avait perdu beaucoup de son insouciance. Pendant que nous rentrions à notre hôtel, elle n’avait plus dit un seul mot, pas même un regard. Avais-je fauté ? Le temps d’une danse, j’avais totalement oublié ce qu’elle était vraiment. Pour le moment, je m’appliquais à allumer la bougie que j’avais dans les mains à l’aide des allumettes de l’hôtel.
Timidement, mais sûrement, la petite flamme se mit à danser du haut de sa mèche. Pendant qu’elle virevoltait dans l’atmosphère de la chambre, projetant mon ombre sur le mur, je me rappelais notre danse, cette soirée passée avec Isa. Je me rappelai combien elle sentait bon, ainsi que sa manière naturelle de me faire rire.
« Suis-je gérontophile ? Pensai-je alors. » Techniquement, oui et cela me faisait très peur. Une différence d’âge de 115 ans, ce n’était tout de même pas rien. C’était peut-être la raison pour laquelle elle ne m’adressait plus la parole.
Mais pendant que j’étais en pleine réflexion, je vis une ombre se démarquer des autres au mur. Cela ressemblait à la silhouette d’Isa qui, ondulant, s’avançait vers moi comme elle l’avait fait durant la nuit précédente.
« Est-ce que je rêve encore ? Demandai-je
-C’est peut-être avec Isa que tu rêves. N’y a tu jamais pensé ?
-Isabelle ! »
C’était bien un rêve, mais cette fois-ci, j’en avais le contrôle. Isabelle vint s’asseoir près de moi et quand je repensais à ce qu’elle m’avait fait lors de notre dernière confrontation, je n’étais vraiment pas rassuré. À présent que j’avais l’occasion de la voir et de lui parler, je remarquai qu’elle était assez différente d’Isa. Toutes deux avaient bien le même visage, les mêmes yeux turquoise et les mêmes cheveux blonds, mais dans leur attitude, elles étaient le jour et la nuit. Isa était la joviale, celle qui appréciait la vie, Isabelle, la colérique, la violente.
« Isabelle, je veux savoir qui vous êtes pour Isa.
-Je suis tout pour elle… Et à la fois rien.
-Arrêtez de me mener en bateau ! Pourquoi ne peut-elle plus mordre ? Que lui avez-vous fait ?
-Isa ne mordra jamais personne, elle en a toujours été incapable. Nous avons fui l’école des vampires ensemble. Sans moi elle n’est plus rien.
-Isabelle… Est-ce que vous êtes la sœur d’Isa ?
-Non.
-Non ? Répétai-je avec étonnement.
-Non. Dit-elle de nouveau.
J’étais stupéfait, leur ressemblance était supérieure à celle des vrais jumeaux. Bien qu’elle eusse les cheveux plus longs que ceux d’Isa. Je remarquai également qu’Isabelle semblait avoir un peu plus de musculature. Qui donc pouvait-elle bien être ?
-Allez-vous me mordre comme durant l’autre nuit ?
-C’est envisageable. Mais je pourrais tout aussi bien t’éventrer ici même ! Je cherche une manière plus originale de jouer avec toi.
-C’est un rêve j’imagine que tout est permis. D’ailleurs, tant qu’on y est, pourquoi hantez-vous mes nuits ?
-C’est toi qui es venu !
-Comment.
-Je ne bouge jamais d’ici, je suis enfermée. Mais toi, on dirait que ça ne te gêne pas. Tu sembles pouvoir entrer et sortir comme bon te semble.
-Comment est-ce possible ?
-Je ne l’explique pas, je n’avais encore jamais reçu de visite de l’extérieur.
-Cela fait longtemps que vous êtes là ?
-Je ne sais plus, peut-être un siècle.
-Qui vous a enfermée ici ?
Isabelle se tût durant un instant. Après quelques secondes, elle releva la tête puis répondit :
-Charles.
-Qui est-ce ? Lui demandai-je avec insistance.
Isabelle fit un sourire léger semblable à ceux qu’avait coutume de faire Isa lorsqu’elle avait une idée derrière la tête.
-Demande-lui donc ! »
Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, elle fit un claquement de doigts et je me réveillais pour de vrai, cette fois, juste devant Isa, qui claquait ses doigts devant mon visage pour me faire émerger.
« Isabelle ! M’écriai-je.
-Non, moi, c’est Isa. Répondit-elle sèchement.
Alors que je reprenais mes esprits, je constatais que je m’étais endormi dans le métro qui nous emmenait à la BNF, bavant sur l’épaule de mon voisin.
-Isa, je suis désolé, ce n’est pas ce que tu crois.
-Tu étais avec elle n’est-ce pas ? »
Je n’osais pas répondre à cette question. Même si elle ne pouvait pas mordre, elle restait plus forte que moi. Était-il vraiment sage de mettre une reine vampire en colère ? Après la colère de Dieu, je ne redoutais qu’une chose : la jalousie d’une femme. Bien sûr c’était avant de connaitre une femme vampire. Mon opinion allait peut-être changer. Voyant que je restais muet, elle reprit :
« Donc, c’est bien ce que je crois, tu la revois encore !… L’avez-vous fait ? Demanda-t-elle devant tous les passagers du métro.
-Voyons Isa, tu ne peux pas me demander un truc pareil en public !
Malgré tout, il était trop tard, j’entendais déjà les murmures des Parisiens qui se tenaient derrière moi, plus que choqués.
-Je te parle de la morsu… Enfin, je veux dire, de la chose spéciale qu’elle te fait dans le cou avec sa bouche !
Je mis ma main devant mes yeux en baissant la tête et je poussai un long soupir. Pauvre Isa, même lorsqu’elle essayait d’évoquer la chose subtilement, ça ne passait pas.
-Non, Isa elle ne m’a pas fait sa spécialité, elle s’est juste assise…
-Sur toi ?
-Mais non ! À côté de moi, nous avons juste parlé. Dis-moi Isa, tu n’as vraiment pas de sœur ?
-Non.
-Alors, dans ce cas, qui est Charles ?
-Comment connais-tu ce nom ? Demanda-t-elle lentement sur un ton glacial.
-Isabelle me l’a donné, elle m’a dit de venir t’en parler.
-Sois maudite Isabelle ! »
Je constatais que lorsqu’elle était en colère, le visage d’Isa se rapprochait beaucoup de celui d’Isabelle. Elles avaient également toutes deux les mêmes rictus et expressions faciales pour exprimer l’énervement. Elle répondit :
« Puisque tu tiens tant à le savoir, Charles était le nom du vampire qui m’a engendrée. Je ne t’en dirai pas plus ! »
Je n’eus pas le temps d’insister davantage. Suite à un long et strident sifflement, le métro freina brusquement pour s’arrêter à quai. Nous étions arrivés à la BNF.
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