D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, Élise a toujours vécu sous un pont.
Elle est née sous un pont, a grandi sous un pont, y a connu la vie et ses misères. La faim, la peur, la solitude, l’abandon, la tristesse. Tout comme elle y a connu la joie et les rares moments qu’elle considérait comme les plus heureux de son existence.
Savait-elle seulement d’où elle pouvait bien venir ? Où elle allait ? Jamais !
Elle se contentait de vivre tout simplement.
Elle en a vu passer des gens, elle a vu des visages qu'elle n’oublierait jamais. Ces visages tous plus différents les uns que les autres qui passaient à longueur de journée. Et même durant la nuit elle en voyait encore, mais bien différents ceux là. Des automates, défilant ça et là, emprisonnés dans un monde, une mécanique infernale qu’elle ne semblait apparemment pas partager, qu'elle ne partagerait jamais.
Elise se sentait libre, ne manquait de rien et si on pensait qu'elle n'avait pas de maison c'est qu’on ne savait pas qu'elle n'en avait aucunement besoin.
Parfois, elle regardait les bateaux passer sous les ponts, chargés de toutes sortes de choses qui venaient et repartaient d'un endroit à un autre. Comme elle aurait aimé savoir où s’arrêtait et débutait leur trajet si tranquille. Elle regardait les fleuves suivrent leurs cours inlassablement sans qu'elle ne s'en lasse jamais.
Elise n’était ni heureuse ni triste. Elle était tout simplement… et c’était bien comme ça.
C'est aussi sous un pont qu'elle connut ce que jamais elle n’avait connu de si beau et de si misérable dans sa vie. Elise rencontra son premier amour sous un pont.
Il s'appelait Laurent. Il était d’un charme sans pareil, il était venu un jour de pluie et lui avait dit des mots si jolis, si poétiques. Les plus beaux qu’on lui ait jamais dit, qu'elle avait sentit ses joues rougir de joie.
Il lui disait aussi qu’ils partiraient au bout du monde, qu'il l'aimerait tous les jours comme si son existence en dépendait. Qu'elle était la seule femme de sa vie et qu'il la voulait sienne. Et Elise charmée l'aimait à n'en plus finir.
Comment un seul instant pouvait-elle imaginer sa vie sans Laurent désormais ? Elle se demandait comment avait-elle fait pour vivre sans lui tout ce temps ? Plus rien n'importait plus que lui et elle savait qu'elle était prête à tout pour lui. Laurent l’emmènerait et la rendrait heureuse il lui avait promis et elle le croyait. Elle vécut dans un monde merveilleux pendant des mois.
Il était venu un soir et lui avait témoigné son amour au clair de lune sous le pont, elle croyait rêver. Elise n’aurait su être plus heureuse et sans hésiter s’était donnée à lui aussi longtemps qu'il l'avait voulu. Cette nuit resta à jamais dans son cœur. Mais c’était le dernier souvenir qu'elle garderait de son amant éphémère.
Le Don Juan avait bien d'autres idées en tête que de se préoccuper d'une simple amourette d'une fille aussi naïve. Elise se réveilla, seule, toute seule sous le pont. Laurent était parti. Loin sans doute. Il n'y avait pas eu de futur pour eux, et elle n'arrivait pas à arrêter de l’aimer. Il reviendrait se disait-elle, elle était la seule pas vrai ?
Laurent ne revint jamais.
Les jours passèrent, les mois suivirent, les saisons également et elle mourait de chagrin. Elle n'avait plus aucune joie de vivre, son visage avait perdu toute couleur, Elise était morte, ne restait qu'une âme vide et triste.
Elle demeura sous le pont tous les soirs à l’attendre. Un soir elle observa la surface calme du fleuve, les lumières de la ville…
Un matin calme une jeune fille avait été retrouvée morte noyée dans le fleuve après que le bateau soit passé.
Elise avait vécu toute sa vie sous un pont.
Elise était aussi morte sous un pont en même temps que son seul amour.