Lorsque je posais le pied sur le rebord du tapis, le colosse qui faisait office de garde me reconnut et m'interpella. Je lui offris un sourire et demandai jovialement :

- Qu'il y a-t-il ?

- T'en as pas marre de venir ici ? grogna le colosse. Tu ne peux pas aller autre part ?

- Pourquoi aller dans un autre casino alors que je sais que l'on m'adore tellement ici ?

- Ferme-la !

- Pourquoi continuez-vous à me fouiller alors que vous savez très bien que je ne cache rien ?

- Je finirai par trouver ton secret, John Dexout !

- Vous mettrez longtemps, car je n'en ai pas !

- Nous verrons bien ça !

Toujours guilleret, je me laissais fouiller mes habits, puis le vigile inspecta ma bouche, mes oreilles, et finit par s'avouer vaincu. Je lui lançai un sourire amusé et entrai dans le casino. Je l'entendis murmurer :

- Comment peut-il être aussi sûr de lui alors qu'il ne triche pas ? C'est impossible...

Impossible pour lui oui, mais pas pour moi. À peine eus-je fait quelques pas que de nouveau un vigile m'arrêta et me fouilla. Ce manège dura plusieurs fois, sans qu'ils ne puissent trouver quelque chose ou que je me départisse de ma bonne humeur.

- Vous mettez le paquet cette fois ! lançai-je au dernier vigile avant de rentrer définitivement dans le bâtiment.

Je me dirigeai vers le comptoir, déposai négligeamment quelques pièces, pris les jetons et avançai au beau milieu de la salle. Les autres personnes me considérèrent avec un air sceptique tandis que les serveurs me lançaient des regards noirs.

Je marchai d'un pas rapide jusqu'à la grande roue située au centre de la salle. Les autres joueurs s'écartèrent pour me laisser passer. Ils voulaient encore voir l'homme prodige. Ils ne s'en lassaient pas. Et cela me plaisait, d'être au centre de l'admiration collective. Je fermai doucement les yeux, et me concentrai.

Aussitôt , des milliers de possibilités me vinrent en tête. Si je lancais la roue tout de suite, je devais tout miser sur le 10. Si je lancais dans trente secondes, je devais tout miser sur le 20, et si je lancais dans une minute , je devais miser tout sur le 2. La mise la plus importante étant le 20, je promenai mon regard sur l'assemblée avec un petit sourire, puis posai mes quelques jetons sur le 20.

Aussitôt, d'autres joueurs misèrent tout sur le 20, mais je leur adressai un regard de mépris. 45 secondes. Le banquier lança la roue. Au dernier moment, je déplaçai ma mise sur le 5. La roue s'arrêta sur un 5. Les autres avaient perdu, et j'avais gagné. Encore. Je tirai la langue en prenant ma mise quintuplée, puis me dirigeai vers un autre jeu.

J'aurais pu m'arrêter là. J'avais gagné une fois, du premier coup, c'était exceptionnel. Tel aurait été le cas si le fruit de ma réussite était la chance. Mais comme ce n'était pas le cas, je poursuivai autant que je le pouvais. Car j'étais certain que, comme d'habitude, on viendrait m'éjecter au bout d'une ou deux heures. Et je comptais profiter du casino autant que possible.

J'attendis patiemment qu'une partie de poker fermé se termine, puis je m'assis à la place d'un joueur qui était parti en criant à l'injustice. J'adressai un petit sourire moqueur au banquier :

- Content de me revoir ?

- Votre présence ici est acceptée, mais cela peut changer à tout moment, répliqua d'un ton glacial l'homme. Je vous conseille fortement de supprimer de votre visage ce petit sourire satisfait et de la fermer le temps du jeu.

- A vos ordres, très cher, fis-je en inclinant légèrement la tête. Pour rien au monde je ne vous contrarierais !

- Alors taisez-vous !

Je hochai de nouveau la tête alors qu'une vision me venait à l'esprit : si je disais encore un mot, on me renverrait définitivement. Je m'appuyai contre le dossier de la chaise et laissai le banquier distribuer les premières cartes.

Je fermai mon esprit aux centaines de possibilités qui me venaient en tête : avec un paquet de 52 cartes ( et en excluant la possibilité que j'aie deux fois la même carte ), il y avait 2652 combinaisons différentes possibles. Je tentais de les écarter, car je savais très bien qu'elles ne me serviraient à rien pour la suite.

Le donneur distribua cinq cartes à chacun, puis désigna le joueur qui devait commencer à miser. Mes cartes étaient plutôt bonnes, je voyais déjà toutes les possibilités de combinaison se former. La plus simple à réaliser était de former une suite du 5 au 9 de pique (50% de chance de se réaliser), mais j'avais une chance de faire une quinte flush royale avec les carreaux si je jouais bien. Je considérai cette probabilité comme trop risquée et décidai de continuer sur l'idée de la suite à pique.

Je levais alors les yeux de mes cartes et regardai discrètement les réactions des autres joueurs. Certains soufflaient, affichaient des mines mécontentes, tandis que d'autres laissaient montrer leur joie. J'affichai quant à moi une mine neutre, paisible, sûre de moi. Le poker était pour moi plus un défi que la roue. Il y avait plus de probabilités, les réactions humaines sont parfois tellement imprévisibles que même mon aptitude n'arrive pas à les envisager. Je savais de toute façon que le vrai jeu commencerait lorsque des joueurs se commenceraient a se coucher.

Le premier joueur commença avec une mise assez basse, et il fut suivi immédiatement par une mise un peu supérieure. Le troisième joueur se coucha immédiatement. Mon esprit envisagea immédiatement des possibilités de suite, de quinte flush ou de carré. Vint mon tour de miser, je suivis la mise imposée. A la fin du tour, j'échangeai quatre cartes, ne gardant que l'as de carreau. Lorsque le croupier distribua à nouveau les cartes, j'eus le droit à un dix et une dame de carreau.

Aucun joueur ne se coucha au second tour, les mises augmentant toujours petit a petit. Au troisième tour, j'obtins un roi de carreau, tandis que deux autres joueurs se couchaient, un sourire satisfait aux lèvres. Au quatrième tour, un joueur augmenta brusquement la mise avant de se coucher à son tour. Je reçus le valet de carreau au cinquième tour, je me couchais ensuite sans rien laisser paraître. Les derniers joueurs continuèrent encore deux tours avant de s'arrêter. La mise avait considérablement augmenté.

Le croupier regarda chaque joueur, moi un peu plus longtemps, puis ordonna d'abattre les cartes. Je dévoilais ma quinte flush royale, tandis que les autres montraient des quinte flush, des suites ou des brelans. Tout le monde me regarda. Le croupier cria :

- C'est impossible, il a triché !

- Fouillez-moi si vous voulez !

On appela deux vigiles, qui me fouillèrent intégralement sans rien trouver. On me laissa récupérer ma mise, puis on éjecta rapidement, sans la moindre forme de procès. Une fois dans la rue, j'éclatai de rire, et criai :

- A demain !

- A jamais !

Je me retournais et courus dans les rues, les poches pleines d'argent. C'était le cinquième casino que je visitais, et que je vidais. Je ne m'en lassai toujours pas...

Chapitre 2 écrit par Piuma Libera