24.Neela

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Un bruit effroyable se fait entendre dans le tunnel menant à la bibliothèque. Un immense nuage de poussière en sort. Nous constatons avec horreur que le plafond s’est effondré. Les attaques et les ripostes ont eu raison de sa fragilité de conception.

— Qu’allons-nous faire capitaine ?

— Je ne sais pas, avoue-t-il avec véhémence. Les options sont plutôt maigres. Nous devons avant tout trouver un endroit saluta…

En une fraction de seconde, sa tête se décroche de son cou et roule sur le sol jusqu’à mes pieds. Son corps s’effondre comme un morceau de roche trop lourd sur le flan d’une montagne. Une coulée de sang se déverse abondamment par le trou béant de chair à vif. Je hurle d’effroi. Rose se transforme en une armure d’écailles d’acier rouge sang.

Je pivote sur moi-même pour en définir la cause, je ne vois rien aux alentours. Mes lèvres tremblent ainsi que tous mes membres et au lieu de fuir, je reste immobile l’esprit happé par la panique. Brusquement, un déplacement d’air frôle mon épaule, je sursaute en couinant. Puis le même phénomène touche ma joue. Je crie à moitié hystérique, les bras animés de mouvements incohérents.

Soudain, une ombre, puis deux se matérialisent devant le corps sans tête du capitaine. Ils flottent éthérés : Les Brumeux.

Je suis tétanisée face à eux. Ils grognent des gémissements rocailleux. Je recule, mais une masse s’abat sur mon dos me plaquant l’abdomen dans le sol. J’en ai le souffle coupé. Des doigts griffus agrippent mes hanches m’obligeant à me retourner. Mes yeux se ferment malgré moi sous la peur. Quelle odeur immonde ! Je ne peux respirer normalement. Des cuisses emprisonnent ma taille. Des mollets s’infiltrent sous mes genoux. Des mains rugueuses déplacent mes bras aux dessus de ma tête pour me maintenir en place. Mes pieds raclent la terre sans que mon corps ne se déplace d’un centimètre. Sa force est sans pareille.

Mes paupières me brulent, je les ouvre en grand. Que Yuma me protège ! J’hurle une deuxième fois quand j’aperçois le faciès hideux de la chose qui me surplombe : Un mangeur de chair. Son visage est dévoré par la putréfaction, l’un de ses orbites est creux, ses os apparaissent par endroit. J’ai envie de vomir, une remontée de bile s’invite dans ma gorge m’embrasant la trachée. Il n’a plus de bouche, juste un trou denté de pourriture attaché à une gorge qui ondule comme celle d’un serpent. Un liquide opaque dégouline en filet sur ma pommette.

D’un geste sec, sa main osseuse s’enroule autour de mon cou, comprimant le peu d’espace qu’il me reste pour respirer. Je suffoque sous l’assaut, mais tire de toutes mes forces sur mes bras pour l’arrêter. Mes oreilles bourdonnent et des points noirs vacillent devant mes yeux, je vais mourir.

Calys !

— Suffit Kasum ! ordonne une voix gorgée de mépris.

La chose répugnante me lâche sans pour autant me délivrer de son emprise. J’en profite pour avaler l’air dont mes poumons ont été privés. Je tousse, j’éructe.

— Alors comment vas-tu joli réceptacle ?

Cette voix ne m’est pas inconnue, mais ce ne peut être réel. Le prince Elrohîr ? Ses prunelles mordorées me fixent avec froideur. Que fait-il là ?

— Vos yeux vous trahissent ma chère. Est-ce de l’étonnement que je lis sur votre visage ?

Je le foudroie du regard.

— Allons, vous étiez moins farouche tout à l’heure. Kasum, soit gentil avec la demoiselle. Relève-la, s’il te plait.

À peine remise sur mes deux jambes, le cadavre ambulant s’éloigne. Je suis à nouveau maitre de mes mouvements.

— Que me voulez-vous ?

Le prince s’approche presque à me toucher.

— C’est un secret, minaude-t-il le sourire en coin, mais avant de te le dire, tu dois retirer Rose.

Il la détaille de la main.

Calys ! Je t‘en prie ! Aide-moi !

— Jamais, nous sommes liées.

Ses sourcils s’arquent.

— Oh ? Tu souhaites jouer les rebelles ? Je l’ai su dès le moment où je t’ai vu sur la terrasse. Alors laisse-moi te montrer une chose.

Saleté Elaîfle. Je le savais. On ne peut pas leur faire confiance. Il m’a trompé sous ses airs de bon garçon.

Les bras repliés sous ses longues ailes, il me tourne autour comme un vautour près à se repaitre de sa proie.

— Je pense que tu as besoin d’un peu de motivation. Qu’en penses-tu Kasum ? Et si tu allais chercher notre invité ?

L’horreur chaloupe péniblement sur ses piliers arqués. Disparait un instant pour réapparaitre une boite opaque sous le bras. Les tintements plaintifs qui en émergent m’arrachent un sanglot.

C’est Fala ! Impossible. Ce chérubin a plus d’un tour dans son sac. Elle ne se serait pas laissé surprendre si facilement.

— Relâchez-la !

— Tu sais ce que tu dois faire pour cela.

J’essaie d’entrer en communication avec elle en abaissant mes boucliers psychiques, mais une force étrange m’en empêche. Que m’arrive-t-il ? Mes pouvoirs semblent inefficaces.

— Vilain récipient, m’accuse le prince, un sourire carnassier sur les lèvres.

— Arrêtez de m’appeler comme ça ! Qu’avez-vous fait ?

— Ce n’est pas à toi de poser des questions. J’ai hâte de commencer l’éducation de celle qui vit en toi.

Il s’approche au point que je sente son souffle sur mon visage.

— Dé. sha.bille.toi, recommence-t-il en prenant bien soin de détacher chaque syllabe.

La noirceur de son regard m’anéantit. J’implore Yuma qu’elle prévienne mon père.

— Hum, hum, hum, ricane t-il comme s’il lisait dans mes pensées. Il ne viendra pas… en tout cas pas celui auquel tu penses.

Mon cœur est prêt à exploser. Comment sait-il ce que je pense ?

— Je lis en toi comme dans un livre ouvert, si tu voyais ta tête !

Soudain, tout s’éclaire. Cette attaque aux portes de la cité n’est qu’une diversion organisée pour cacher ce qui se passe dans la serre.

— Tu crois comprendre… ma pauvre si tu savais !

Ce fou rit aux éclats.

Fala-Cupidon m’avait prévenue, elle avait senti quelque chose de suspect chez ce prince. Et moi, je n’ai rien écouté. Je l’ai congédiée comme une malpropre usant de mon statut de Grand-master. Tout est de ma faute.

— J’attends ce jour depuis si longtemps.

Il crache le dernier mot comme s’il s’agissait d’une insulte.

— Le joyau du Paradis ! Plus précieux que tout. Tu es à moi maintenant.

— Calys n’appartient à personne !

— Oh si, tranche t-il d’une voix péremptoire.

Les quatre factions ont toujours été soudées entre elles. Pourquoi les élaîfles trahissent-ils les leurs ? C’est à n’y rien comprendre. Il doit bien il y avoir une explication plausible à ce revirement de situation.

— Pourquoi ?

— Et bien en voilà une question intéressante, consent-il en me lançant un clin d’œil. Je me demandais justement jusqu’où ta stupidité allait te mener. En même temps, tu n’es qu’un paquet cadeau. T’écouter déblatérer sur cette vie parfaite était d’un ennui sans nom. Le pouvoir, c’est toujours une question de pouvoir.

Pourtant, les élaîfles ont en leur possession l’amulette d’Azura qui leurs confère la faculté de dompter les vents. De quel pouvoir parle-t-il ?

— Trêve de bavardages, retire-moi immédiatement ce putain de tissu !

Un frisson d’épouvante glisse le long de ma colonne vertébrale. Si je ne peux me sauver, je dois protéger Calys. Mon devoir avant tout. Je ne suis pas une boite.

Le prince s’enflamme face à mon inaction.

— Kasum, je crois que…

— Non, non… je vais le faire, je vais le faire… Mais promettez-moi que mon amie sera saine et sauve et que vous laisserez mon peuple tranquille.

Le prince tapote son menton comme si cette doléance était soumise à réflexion alors qu’il est sans contexte maitre de la situation.

— Que d’exigences, finit-il par dire, pour quelqu’un qui se trouve dans une situation telle que la tienne, mais soit. Je suis d’humeur magnanime maintenant que je t’ai trouvé. Je ne ferais aucun mal à personne.

Je n’ai pas confiance. En même temps, ai-je véritablement le choix ? La vie de toute la communauté, ainsi que celles de mes amies sont entre mes mains. Je dois les prémunir même si je dois me sacrifier. Peu importe, ma décision est prise.

Avec prudence, je commande à Rose de se retirer. Celle-ci s’y oppose quelques instants en changeant de couleur, mais finit par coopérer. L’armure se transforme alors en une robe de tissu bleuté. C’est la couleur de la fidélité et la loyauté. Oh ! Rose, pardonne-moi mon amie. Les fibres glissent lentement sur mon épiderme pour s’échouer en amas à mes pieds. Je ravale mes larmes qui s’accumulent au bord de mes cils. Ce serait trop d’honneur que d’afficher mon désespoir en cet instant où il ne me reste rien pas même ma dignité.

— Bien, se réjouit le traitre aux ailes blanches, nous pouvons partir maintenant. Un long voyage nous attend.

Quoi ? Il m’emmène hors de Narbète ?

— Où allons-nous ?

Le prince se contente de me fixer l’air satisfait.

— Répondez, espèce de lâche !

Rien n’y fait, son silence me percute encore et encore alors que je m’égosille sans relâche pour obtenir des réponses.

Plusieurs gardes ailés atterrissent dans la serre munis d’une énorme caisse en bois. Deux d’entre eux agrippent chacun un de mes bras et me tire vers elle. Cette boite de malheur est pour moi ! C’est un cauchemar ! Je vais me réveiller.

— Père, ne puis-je m’abstenir de crier. Père !

— Ah, bougonne le prince, faites-la taire !

Tout à coup, un morceau de « je ne sais pas quoi » est plongé dans ma bouche ouverte, m’étouffant à moitié. Je me débats, freinant des pieds, en vain. Pour couronner le tout, ils entravent mes poignets dans le dos. Impuissante, les gardes me trainent vers cette prison de bois.

Sans ménagement, ils me jettent à l’intérieur avant de la refermer. J’ai peur, si peur.

— Kasum, aboie la personne que je hais le plus au monde, nettoie tout ce bordel !

Je crie des « non » dans ma bouche obstruer. Frappe des coups de pieds dans le bois. Je déchaine toutes les forces qui me restent pour sortir de cette caisse. Malheureusement, je suis comme un nouveau-né, incapable de riposter.

— J’ai donné ma parole, je ne peux pas le faire moi-même.

À cet instant, submergé par la colère, je me promets de plus jamais faire confiance à personne.

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