Effondrement
Direction le travail, comme tous les matins, je marchais en direction de ce batiment que je ne connais que trop bien. Pourtant cela fait peu de temps qu'il m'appartient. J'ai acquérit cette épicerie il y a quelques mois de cela. Au bord d'un fameux "burn-out", j'ai décidé de tout plaquer, tout quitter et revenir à la base. Il m'a fallut un semestre pour retrouver cette solidité sous mes pieds, m'empêchant de vaciller et sombrer dans le stress et la dépression.
Pendant cette période de remise en question, j'étais rentré chez moi, chez mes parents. Ils m'ont apporté confort et rassurance. Dans cette société de consumérisme et capitalisme, je ne trouvais plus ma place. Anciennement commercial, je n'étais plus moi-même, ne me reconnaissais plus. Ce retour au source m'a permis de respirer après une dizaine d'année sous les papiers, contrats, chiffres et performances.
Mes parents habitent dans mon village d'enfance, ils n'ont jamais souhaité déménager bien qu'ils n'y aient plus d'attaches amicales. Ce hameau je le connais par coeur, mais ne peut nommer qu'une ou deux rues. Je sais où sont les meilleures cachettes, les plus beaux points de vues sur les prairies, surtout où il est possible d'être en paix.
Mon endroit préféré restait tout de même derrière la salle des fêtes, entre le lavoir, le chêne et le puit. Ici, les jeunes se retrouvaient pour jouer, rigoler, dans cette cachette si peu secrète, nous avouions nos plus honteuses pensées, nos idées, nos espoirs et désirs. Cet antre sécurisant existe encore. Le chêne a été abattu, une maladie l'aurait tué. Le lavoir est vidé et le puit est encore plus sécurisé qu'auparavant, à la simple grille se sont ajoutés un cadenas et une pancarte illustrée expliquant le danger de ce trou qu'enfant nous imaginions infini, hanté, magique.
Le premier mois, je ne suis pas sortie de chez mes parents, ne souhaitant rencontrer personne, voulant taire ma honte d'avoir abandonné, prétendant ne pas être rentré. Puis ils m'ont obligé à venir avec eux se promener dans les champs, cueillir les champignons dans la forêt, aller au jardin, voir leurs amis. Un jour, la tension dans la maison était tellement intense que j'ai eu besoin de souffler. J'ai fuit silencieusement et j'ai erré dans les rues. Mes écouteurs dans les oreilles, les yeux plissés par le soleil aveuglant, j'ai marché jusqu'à en avoir soif. Ne pouvant tenir, mais ne voulant pas rentrer, je suis allée là où j'étais certain de trouver une fontaine d'eau potable, derrière la salle des fêtes.
J'ai coupé ma musique, rangé le fil et me suis désaltéré. Puis je me suis redressé, levé les bras au dessus de ma tête et me suis étiré de tout mon long. C'est là que j'ai entendu un bruit, discret derrière moi. Je me suis retourné attivement, pensant à quelqu'un approchant, mais personne n'était en vue. J'ai donc arrêté tout mouvement, à l'écoute d'un bruit nouveau. Quelques secondes plus tard, je l'entendis à nouveau, il venait du puits, comme un caillou tombant dans l'eau. Je me suis approché et ai essayé de comprendre l'origine de ce son. Trop sombre, j'ai mis le flash de mon téléphone et ai éclairé l'intérieur. Pour la première fois, j'ai vu le fond, j'aperçu une forme reflètant ma lumière, certainement de l'eau, et tout à droite une forme sombre, imposante. Concentrée dans mon observation, mes yeux furent attiré par une forme bougeant, tombant, et finalement provoquant le même bruit discret qu'entendu auparavant. Cette forme, un caillou.
Déçu par la finalité de mon aventure du jour, je suis rentré et ai raconté cela à mes parents. Mon père est allé chercher une lampe plus performante et nous y sommes retourné. Il avait le regard inquiet et me narra alors la fois où un petit oiseau était tombé dedans, paniquant il ne pouvait ressortir. Les villageois avaient alors ouvert le puits pour lui redonner sa liberté.
La torche visant le gouffre, nous regardions de chaque côté, chaque petite faille, à l'affut d'un bec, d'une aile, d'un indice d'une vie coincée. Je pu identifier la masse sur le côté : une grosse pierre. Les cailloux tombant de manière presque rythmée nous ont indiqué une piste pour savoir où regarder. C'est là que nous avons compris, la pierre s'effritait. Non pas à cause d'un être vivant mais de la vieillesse de cette cavité.
Le lendemain, nous sommes allés en parler à la mairesse qui appela un expert. Quelques jours plus tard, le verdict tomba, le puits devenait ruine et bientôt ne serait plus. Cela m'attrista. D'abord le chêne, ensuite le puits, encore un souvenir d'enfance qui partait en fumée. C'est en me baladant dans les rues du village que j'ai réalisé que bien d'autres souvenirs et lieux emblématiques avaient disparu : l'école fermée, le préau devenu un musée, la caserne des pompiers fermées, même l'épicerie, autrefois centre de vie du village était vide. C'est ce constat qui me donna envie de me battre pour redonner de l'âme, du souffle, de l'animation à ce hameau, important à mes yeux.
Cinq mois plus tard, j'étais installé dans l'épicerie. Entouré des rayons remplis, je ressentais enfin la stabilité tant recherchée.
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