La Boutique de Mr Réglisse

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Lorsque j’étais jeune, toute la petite ville de Mousse-Les-Bains où j’avais la chance d’habiter tournait autour d’un seul et unique pôle doré : la délicieuse confiserie de Mr Réglisse. Personne ne savait pourquoi un tel génie du sucre était venu s’installer dans une minuscule bourgade de moins de six cent habitants mais chacun en silence le bénissait pour son travail et sa production toujours à la pointe du goût.

C’était un peu LE point de rendez-vous des gens, à n’importe quel moment de la journée, pour n’importe quel prétexte. J’étais de ceux-là qui rôdaient, l’air de rien, pendant des heures avant de craquer pour pénétrer dans l’antre aux merveilles. L’habitacle n’était pas bien grand et pourtant une foule y rentrait aisément. La grande devanture rose pétant aux mille illustrations gourmandes, face à l’église de granit, reflétait bien le péché interdit mais tellement délicieux qu’était la gourmandise. Car il y avait là de quoi faire rougir un curé, ou pire, le faire céder.


Quand vous pénétriez, une bouffée de chaleur sucrée et nostalgique vous assaillait, et vous vous laissiez prendre avec malice par ce parfum qui vous accrochait pour ne plus vous lâcher d’un poil. Car une fois que vous étiez dans cette caverne d’Ali Baba, il n’était plus question d’avoir des remords … Quiconque vous rencontrerait dans la rue devinerait aisément la provenance de cette odeur persistante sur votre veste : vous seriez alors démasqué et affublé d’un clin d’œil complice qui vous rendrait mal à l’aise. La seule façon d’éviter cette situation était de remplir un sac de succulentes confiseries et d’en proposer à tout va dès que vous aviez posé un pied hors du magasin.

Histoire de prouver que vous n’y alliez pas que pour vous-même (ce que vous aviez prévu au départ).


Mais encore fallait-il pouvoir sortir. A peine aviez vous enjambé le bas de porte, qu’une jolie fille au doux nom de Malicia vous tendait un sachet de papier (que dis-je ?) un sac de papier et une pellette de couleur pour effectuer vos emplettes de glucose. Tout cela avec un sourire resplendissant et complice qui vous élevait immédiatement au rang de « goinfre » dans son estime. Un compliment dans ce genre d’endroit. Vous étiez alors pris dans une foule d'affamés qui tournait dans un sens précis et organisé tout autour de la pièce.

Contrairement aux idées reçues, cette foule ne venait pas choisir sa honteuse pitance mais bien payer à la caisse : une immense file d’attente en forme de réglisse déroulé qui serpentait entre les différents rayons, voilà ce que c’était. Mais peu importait, vous faisiez la queue comme tout le monde juste pour ne rien manquer. Des bocaux de berlingots multicolores, de dragées, de bonbons au citron, de pastilles, de caramels, de sucres d’orge et autres plaisirs vous entouraient à droite et à gauche comme une allée royale. D’immenses sucettes en spirales rouges et blanches étaient plantées dans un faux gâteau de plastique, aux cotés de carambars triés par parfum dans des cassettes surélevées. En hauteur, c’était les chocolats. Des Maltesers, des M&M’s, des truffes au café s’empilaient dans des amphores en verre transparent. On pouvait y voir également des papillotes aux couleurs vives, des Smarties, des biscuits fourrés de pâte à tartiner, de petits œufs en cacao blanc et quelques roses des sables à l’aspect croustillant.  

Au centre de la pièce, une fontaine de chocolat au lait s’offrait aux doigts qui se tendaient vers elle et des cerises confites à faire tremper étaient posées dans une corbeille d’étain juste à coté. Mr Réglisse avait fini par admettre qu’une pile de serviettes jetables avait son utilité à ce niveau de la boutique. J’en avais toujours une de la dernière fois dans ma poche.

Des bols remplis par des fruits secs enrobés élevés en montagnes juxtaposaient les Toblerone faits-maison, et je pouvais distinguer parmi cette monstrueuse odeur de sucre celle des Arlequins qui me faisait toujours autant saliver. Venaient ensuite les gélatines : des oursons bourrés de colorants, des serpents au ventre blanc, des crocodiles tordus, des omelettes miniatures, des pizzas gélifiées, des tétines acidulées, des anneaux à la pêche blanche trempés dans du sucre en poudre. Des framboises et des mûres en bonbons arrivaient à vous donner bonne conscience et, en général, une flopée d’entre elles venaient subrepticement s’ajouter comme par magie dans votre sac déjà à moitié rempli.

A ce moment-là, très souvent, vous vous retourniez pour voir s’il y avait un quelconque moyen de remettre à leur place quelques friandises, histoire d’alléger votre main et votre porte-monnaie. Mais battre en retraite était impossible et vous vous résigniez à rester sur place, coincé entre deux autres affamés, à l’instar de ces profanateurs, inconscients de briser l’harmonie des formes en mettant, ni vu ni connu, une poignée de crocodiles dans le bocal aux Dragibus.

Les étagères croulantes commençaient désormais à vous oppresser et votre frustration montait au fur et à mesure qu’elles grimpaient haut le long des murs (on est jamais assez grand pour tout attraper, maudit soit mon mètre cinquante huit) mais déjà l’annonce des pâtisseries sonnait la fin du périple : une armée de macarons en pyramide et de chouquettes fourrées vous saluait avant d’être dilapidée par un escadron de pelles à bonbons. De petits éclairs, des religieuses pas si sages et un nombre incalculable de cupcakes décorés subissaient le même sort et étaient posés délicatement au sommet des sacs : rien n’était plus énervant que de retrouver le nappage crémeux de sa pâtisserie étalé contre le papier d’emballage. C’est pourquoi chacun avait sa technique pour éviter ce sacrilège.

Quand venait le moment de régler vos emplettes à la caisse, vous regardiez votre carte bancaire avec appréhension et vous vous surpreniez à la serrer très fort dans votre main gauche pour pallier à votre stress de la carte muette. Le sac bourré de calories posé contre votre cœur et soutenu par votre bras tremblant de fatigue vous rappelait douloureusement chacune des fois où vous aviez tendu vos doigts téméraires vers de grands récipients de confiseries interdites par votre médecin.

Voilà que Mr Réglisse finissait de servir le gourmand devant vous. Afin de tromper l’ennui et pour cacher vos états d’âme, vous plongiez votre nez saturé au cœur de votre composition sucrée, les bords en papier du sac frottant votre visage ; puis, vous retiriez votre tête d’un mouvement brusque, suffocant, pour tendre avec dévotion votre précieuse compilation au maître des lieux. Celui-ci, avec la même cérémonie, posait ce qui aurait pu vous servir de cale-porte sur la balance en cuivre. Un chiffre s’affichait et, comme toujours, vous fermiez les yeux en tendant votre carte tiède. Quand vous les ré-ouvriez, votre code avait déjà été composé par vos doigts habitués et Mr Réglisse vous tendait votre carte avec un sourire démoniaque (du moins j’en étais persuadée). Et comme à chaque fois, il glissait en plus quelques unes de ses spécialités dans le sac géant qui tanguait sur sa paume avec un petit clin d’œil rieur. Désormais, plus rien n’importait si ce n’est ce trésor qu’il vous tendait : la provision essentielle de la semaine qui allait finir dans votre ancienne boîte Quality Street de 500g  en haut de votre armoire.

Le cœur léger mais la main lourde vous quittiez alors la boutique en lançant un regard compréhensif vers les nouveaux entrants qui soupiraient devant la salle bondée. Leur voyage gustatif au pays de l’enfance allait commencer pour eux. 

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