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Le texte est simple. Sans fioritures. Rédigé dans un anglais à la portée de tous, comme la plupart des communications de l’administration américaine.
Cher Adam Scott,
Ceci est une communication officielle du gouvernement des Etats-Unis.
Votre candidature au programme « Salvare » a été retenue.
Vous effectuerez votre voyage à destination de Mars à bord du Salvare III, vol 288, d’ici un mois.
Votre affectation à bord du Salvare III est : PILOTE
Votre affectation une fois arrivé sur Mars est : PILOTE et/ou TECHNICIEN POUR ENGIN SPATIAL
Vous avez jusqu’à lundi, minuit heure de Washington, pour confirmer votre participation. Une fois votre participation confirmée, vous ne pourrez plus revenir sur votre décision.
Je sens les larmes me monter aux yeux. Ça y’est. Après tant de temps passé à attendre, à espérer, à croire, à ne plus croire, et à croire de nouveau, voilà que nous allions quitter la Terre et rejoindre Mars par le vol 288. Dans un mois. Trente petits jours. Décomposés chacun en une toute petite poignée d’heures, qui auront vite fait de s’écouler, j’en ai la certitude.
La gorge serrée par l’émotion, je saute au cou de Adam, et l’embrasse avec une fougue réservée aux grandes occasions. Le contact de ses lèvres est électrique. Je prends son beau visage entre mes mains tremblantes. Il me prend dans ses bras. Me serre contre son torse puissant. Me soulève à quelques centimètres du sol. Me rend mon baiser avec passion. Sa main caresse le bas de mon dos, puis, lentement, remonte jusqu’à ma nuque. Il enfonce ses doigts dans mes cheveux, et, sans jamais quitter mes lèvres, et presse mon visage contre le sien. J’ouvre les yeux. Son regard brun est troublé, visiblement encore sous le choc.
Alors que notre étreinte se fait plus lâche, plus tendre, je commence à reprendre mes esprits. Et sens alors un drôle de sentiment prendre possession de mon corps. Une gêne, d’abord. Une sorte de doute. Qui grandit, et grandit encore, qui n’en finit pas de grandir à mesure que les secondes passent. Qui se meut peu à peu en une peur effroyable, glaçante, mêlée de panique et d’effroi. Je n’ai pas reçu de mail. Je n’ai pas reçu de mail. Du moins, je ne crois pas. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu une notification passer de la journée. Mais je ne suis pas le plus diligent en la matière. Je plonge la main dans la poche de mon jeans pour y trouver mon LiPhone. Pas de mail. J’actualise la page. Et vérifie à nouveau. Pas de mail. Je recommence. Pas de mail.
Le visage frappé d’incompréhension, je me tourne vers Adam, toujours benaise, qui ne semble pas réaliser le drame en train de se dérouler sous ses yeux.
Je voudrais crier. Je voudrais le prendre par les épaules et le secouer pour qu’il se réveille. Je voudrais pleurer. Mais aucun son ne sort de ma gorge, étranglée par l’angoisse. Mes yeux restent secs, trop affolés pour s’embuer. Et mes bras restent raides, inutiles, figés le long de mon corps engourdi.
- Adam... je parviens finalement à chuchoter. Je n’ai pas reçu de mail.
- Comment ça ? répond-il, sans comprendre.
- Je n’ai pas reçu de mail.
- Tu as vérifié tes spams ?
- Je n’ai pas reçu de mail.
- Mais enfin, ce n’est pas possible, on a déposé une candidature commune, il doit y avoir une erreur...
- Je n’ai pas de mail, je répète inlassablement, à deux doigts de la crise de nerfs, de larmes, ou d’épilepsie, je ne suis pas bien sûr. Je n’ai pas de mail, je te dis.
Un silence de mort s’abat sur la cuisine. Adam me fixe de son regard brun, encore ahuri. Son visage se décompose lentement, à mesure qu’il prend conscience des possibles ramifications de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Dans laquelle je me trouve, plus précisément. Le temps semble suspendu, et pourtant, le compte-à-rebours a bel et bien été enclenché. Sur le comptoir, le gratin de pommes de terre et de navet, franchement carbonisé, je peux vous le dire, maintenant, a cessé de fumer.
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