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Branle-bas de combat à la maison. Le purificateur d’air tourne à plein régime et le CleanBot est à l’œuvre depuis l’aube. D’abord un bon coup d’aspirateur. Puis un lessivage en règle des sols du rez-de-chaussée et de l’étage de la maison. Pour ma part, j’en suis réduit à récurer la salle de bain et les toilettes, tâches apparemment encore trop minutieuses pour un assistant ménager robotisé de milieu de gamme.
La raison de cet « grand nettoyage de printemps » avant l’heure ? L’arrivée imminente de Iké à la maison, pour sa première visite à mon domicile. On dit souvent que l’intérieur de quelqu’un reflète sa personnalité, et je n’ai pas l’intention de donner l’impression d’être quelqu’un de sale, de négligé, et passablement malodorant. Exit donc tous les cartons de pizza, les emballages vides de végé-steaks et les piles de linge sale réparties à divers endroit incongrus de la maison – du salon à la chambre en passant par les couloirs et la cage d’escalier. L’opération « un intérieur propre pour un nouveau départ » est en marche. Et je compte bien ne pas la rater, celle-là.
Iké arrive pour le déjeuner. L’épiant depuis la fenêtre de la cuisine, je l’observe garer sa petite voiture électrique, une européenne ou une chinoise, sans aucun doute, le long du trottoir devant la maison, sans oser s’aventurer jusque dans l’allée. Par timidité. Par peur d’être trop intrusif. Ou de devoir repartir en marche arrière sous mon regard inquisiteur. Qui sait ?
Il descend de l’habitacle. Séduisant, comme à son habitude. Il porte encore la blouse blanche qui doit être réglementaire à la clinique OneHealth dans laquelle il travaille. Il s’en défait, la dépose avec soin sur le siège passager, révélant un joli ensemble écru qui tranche à merveille avec sa peau foncée, composé d’un simple t-shirt à manche longues épousant les formes de son torse, rentré dans un pantalon en lin, plus lâche, presque transparent par endroits. Il admire son reflet dans la vitre de la portière côté conducteur, pendant quelques seconde, ajuste quelques-unes de ses tresses perlées pour en équilibrer la répartition de chaque côté de son visage, puis se décide enfin à arpenter l’allée jusqu’à la porte d’entrée. Je m’écarte de la fenêtre, pour ne pas qu’il sache que j’ai tout vu de son petit rituel pré-nuptial.
Notre déjeuner s’est déroulé dans une atmosphère détendu. J’ai fait une salade de riz. Horriblement fade. Il s’est un gentiment moqué de moi. Ce qui ne m’a pas dérangé, bien au contraire. Ça m’a plu. Adam le faisait régulièrement. Je m’efforce cependant de chasser cette pensée de mon esprit aussi vite qu’elle y est arrivée. Ce n’est pas difficile. Je n’ai qu’à me concentrer sur le joli sourire de Iké. Un sourire entier, véritablement charmant, qui se dessine et s’estompe sur ses lèvres pleines sans jamais totalement disparaitre, comme s’il était ineffaçable, inconditionnel.
Après manger, je propose à Iké de lui faire visiter la maison. Non pas qu’il y ait quoi que ce soit d’exceptionnel à voir dans ce pavillon typique de la fin du siècle précédent, construit dans un style « néo-espagnol » un peu tape-à-l’œil mais modernisé et simplifié à chaque changement de propriétaire. Mais après tout le mal que je me suis donné à en nettoyer les moindres recoins, je ne vais quand même pas me contenter de lui montrer la cuisine et le salon. Et puis, après tout, c’est aussi une astuce, une peu grossière, je ne le nie pas, pour attirer le beau métis dans ma chambre à coucher, et s’il le veut bien, dans mon lit.
En arrivant à l’étage, Iké s’arrête un instant devant un portrait de Adam et moi, encadré et accroché au mur. Sur une plage de Bretagne. L’Anse du Guesclin, je crois, entre Saint-Malo et Cancale. Le soleil brille. Le ciel est pur, d’un bleu lessivé de lumière. Adam me tient à la taille, souriant jusqu’aux oreilles. Il se dégage de nos corps une impression de jeunesse, de force, et de nos visages, une éruption de bonheur, d’une joie intense, presque viscérale. D’amour, aussi. C’était il y a bien huit ans, peut-être neuf. Au tout début de notre relation, lors de notre premier séjour en France. C’est indéniablement le meilleur cliché de nos deux. Ce qui explique sans doute pourquoi je n’ai pas eu le cœur de le décrocher, pour le moment.
- Il te manque ? demande Iké, d’un voix douce, presque du bout des lèvres.
- Un peu... Enfin, oui, c’est inévitable, quand tu as passé tant d’années avec une personne, c’est compliqué de ne pas penser à elle, au moins un petit peu chaque jour.
Je marque une pause. Iké ne semble pas vouloir ajouter quoi que ce soit, jugeant sans doute qu’il n’a pas à approuver, ou désapprouver, que ce que je ressens m’appartiens, à moi et à moi seul, et qu’il n’y a rien à en redire.
- Vous étiez pas mal, finit-il par dire, sans détacher son regard de la photo. Mais tu t’es bonifié avec l’âge, je trouve.
- Je te remercie, rie-je. Mais, visiblement, tout le monde n’est pas d’accord.
- Qui est-ce qui n’est pas d’accord ?
Je lui raconte l’épisode de la soirée du nouvel an, où un jeune étudiant a refusé mes avances une fois avoir compris que mon âge n’était accompagné d’aucun privilège statutaire. Je prends soin de ne pas mentionner la suite des événements, ni Jon, pour ne pas ternir ma réputation un peu plus encore.
- Un imbécile, c’est tout, commente Iké, avec un sourire amusé. Ne te fais pas de souci, en ce qui me concerne, je te trouve parfait comme tu es. Tu aurais été trop « bébé » pour moi, si je t’avais connu comme tu es sur la photo.
- Je compte sur toi pour me conserver en l’état, alors.
- Et comment suis-je censé faire ?
- Je ne sais pas, tu dois bien avoir une thérapie génique en tête pour prévenir le vieillissement, non ?
- J’ai bien une méthode « maison » pour rester en forme, mais ça n’implique pas de manipuler ton ADN... Enfin, quoi que... Prélever un échantillon ne peut pas faire de mal.
Il mord sa lèvre inférieure pour être sûr de bien faire passer le message. Ce n’était pas nécessaire, mais j’apprécie le geste, qui accélère un peu plus la montée de sève qui fait tomber une à une les barrières de mes inhibitions. Je saisis Iké par les hanches, et l’invite à avancer jusqu’à la chambre. Je ne veux pas faire ce que je suis sur le point de faire devant une photo de moi et Adam. J’ai quand même des limites.
Une fois arrivés à destination, je prends le visage de Iké entre mes mains, et l’embrasse de toutes mes forces. Il me laisse faire. Joint sa langue à la mienne. Tout en dégrafant l’attache de mon pantalon. Très vite, il s’agenouille devant moi, le visage à hauteur de mon entrejambe, et prend mon sexe entre ses lèvres. Je suis subjugué par sa beauté. Son regard sombre et doré. Ses tresses fines, ramassée d’un seul côté de son visage pour l’occasion, et qui ondulent au rythme de ses mouvements, comme un rideau de billes de bois, une mer noire et agitée. Qui me berce. M’hypnotise. Et, toujours, me réveille en sursaut, encore et encore.
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