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Mon VandenBuddy s’appelle Ótavio da Cruz.
Vandenberghe m’a imprimé sa fiche depuis le serveur central du personnel de la mission « Olympus ». Je la dévore avec appréhension sur le chemin du retour vers ma chambre. Complètement lessivé, épuisé par la séance de torture psychologique que m’a fait subir la vieille femme, je n’ai qu’une seule envie : me mettre au lit et sombrer dans un profond sommeil sans rêves.
Il est un peu plus jeune que moi. Pas de beaucoup. Il n’a pas encore trente ans, mais les aura sûrement atteint quand le vaisseau européen quittera la Terre pour Mars. Il est bien natif du Portugal, comme son nom le laissait fortement supposer. Diplômé de l’institut polytechnique de Porto, il a été embauché il y a quelques mois comme « ingénieur mécanicien au sein de l’équipe de maintenance des systèmes de propulsion ». En lisant sa fiche de poste, je comprends qu’il travaille actuellement sur l’assemblage du moteur de notre futur vaisseau spatial. Autrement dit, c’est un garagiste de l’espace.
Je ne vais pas vous mentir, je trouve étrange que ce soit le profil qui me corresponde le plus parmi tous les membres de la mission « Olympus », après matching du docteur Vandenberghe. Soit. Il est vrai que, au moins, on ne risque pas de parler boulot.
Le dossier papier ne contient pas d’images, ou plutôt, pas assez. Une seule photo d’identité, trop petite pour que je puisse me faire une idée précise de qui à quoi ressemble Ótavio, qui doit par ailleurs avoir été prise il y a un certain temps, vu le visage poupon du mécanicien portugais. Je ne résiste donc pas à l’idée de consulter le profil OneFeed du jeune homme, afin d’y trouver des clichés plus récents.
Et, encore une fois, je suis perplexe. Il semble faire une fois et demi ma taille, et peut-être deux fois mon poids. Large d’épaules, bien en chair, il arbore un t-shirt noir et une salopette en jeans dont la partie ventrale laisse deviner un léger arrondi au niveau de l’abdomen. Il porte les cheveux longs, épais et foncés, noués en un catogan sur sa nuque. Une barbe brune donne un peu d’âge et de caractère à son visage, autrement toujours aussi rond et juvénile.
Il a le regard infiniment bienveillant.
Je ne suis pas sûr qu’il me plaise. Il ne correspond pas particulièrement au type de garçon pour lequel j’éprouve habituellement de l’attraction. Mais qui sait ? Peut-être sommes-nous tout à fait compatibles, et faits pour nous entendre.
Après tout, la mission d’un VandenBuddy n’est pas de devenir votre nouveau petit ami, mais plutôt d’offrir un soutien émotionnel, et, occasionnellement, faire office de partenaire sexuel. Tout porte donc à croire que Ótavio et moi sommes au moins conciliables sur ce dernier point. Je reste un peu dubitatif, mais pas totalement fermé à l’idée non plus. Après tout, le docteur Vandenberghe a bâti sa fortune sur sa méthode réputée imparable, qui n’est quand même pas utilisée par l’Agence spatiale européenne par hasard.
Le protocole qu’elle a établi pour Ótavio et moi consiste d’ailleurs à éviter les interactions journalières, et à se concentrer sur la cohabitation nocturne. C’est ainsi qu’elle nous a désignés comme compagnons de cabine pour toute la durée du voyage sur Mars, avec une option de cohabitation prolongée une fois arrivés sur la planète rouge, sujette à accord mutuel.
Toujours selon le protocole, nous serons amenés à nous rencontrer dans la toute dernière phase de l’entraînement, pas avant, pour éviter que l’on soit déjà trop familiers l’un de l’autre en amont du décollage, sans que l’on fasse non plus connaissance à bord du vaisseau uniquement, je suppose.
Ce n’est donc pas demain la veille que je verrai mon VandenBuddy en chair et en os. Le moment viendra bien assez vite. J’ai d’autres chats à fouetter, en attendant. Cela dit, j’appréhende déjà un peu le moment fatidique de notre rencontre, forcément. Ce n’est pas tous les jours qu’on vous assigne un partenaire de vie pour une durée déterminée. Mais je dois avouer que la fiche de Ótavio et son profil OneFeed ont piqué ma curiosité. Je ne l’aurais sans doute jamais activement cherché si le destin ne nous avait pas réunis, mais je ne suis pas opposé à l’idée de me retrouver dans les bras de ce grand nounours brun, le temps d’un trajet entre la Terre et Mars.
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