LOG45_DAY137
J’ai retiré mes LiPlugs pour ne pas être gêné par mon réveil de huit heures. Pas besoin. Je suis tout ce qu’il y a de plus réveillé. J’ai bel et bien quitté ma couchette et y ai laissé tout semblant de paresse matinale, avant de rejoindre celle de Ótavio, mon fidèle compagnon de cabine, dont le sexe épais, un lève-tôt, lui aussi, se trouve actuellement au chaud entre mes lèvres.
Je m’applique depuis plusieurs minutes à le sucer avec toute la dévotion dont je suis capable avant le petit-déjeuner, guidé par la main du jeune portugais, posée sur ma nuque, puissante, et de plus en plus exigeante. De temps en temps, quand l’envie le prend, le gros nounours à la longue chevelure détachée depuis le début de la nuit, joliment disposée sur l’oreiller, comme une épaisse couronne de crin brun, accompagne les va-et-vient de ma bouche d’un petit coup de rein, pour enfoncer son pénis un peu plus loin encore dans ma gorge. Je ne bronche pas, habitué aux facéties de mon VandenBuddy, dont le goût pour une forme relativement convenue, presque polie, de domination se fait de moins en moins voilé à mesure que nous nous éloignons de la Terre. Quelques minutes plus tard, les doigts enfouis profondément dans mes cheveux, Ótavio explose en gémissant, et déverse entre mes lèvres une quantité impressionnante de son jus, que j’avale sous son regard sévère.
Pas le temps de m’éterniser, je suis presque en retard. Après m’être essuyé la bouche d’un revers de la manche, je file à la douche, déposant au passage un rapide baiser sur les lèvres de Ótavio, qui ne tardera pas à se rendormir pour profiter pleinement des quelques heures de repos qui le séparent encore de son shift.
Sur le chemin de la salle de bain, marchant à grands pas dans les couloirs de « l’arche », bondés comme toujours au petit matin, les yeux ensommeillés et le corps encore attendri de plaisir, je ne peux empêcher mes pensées de dériver vers Adam, mon Adam, comme chaque minute, presque chaque seconde depuis que son nom ait été prononcé en salle de conseil.
Il est en vie. Il est en bonne santé.
En fait, il est même au sommet de sa carrière, fraîchement nommé marshal de la colonie américaine de Redoak Mons, laquelle n’est située qu’à une petite centaine de kilomètres de Crater Europeis, notre futur domicile martien, à moi et à l’ensemble de l’équipage de la mission « Olympus ». Autrement dit, il est tout à fait possible, si ce n’est même probable, que je puisse le revoir un jour. Si tant est que le Olympus I réussisse effectivement sa descente sur Mars sans encombre, et qu’aucune tempête de sable meurtrière ne touche notre secteur ou le sien d’ici à ce que les communications soient établis et les voyages entre colonies possibles. Ça fait beaucoup de « si ». Mais c’est déjà tellement plus, tellement plus crédible et concret que tout ce que je pouvais espérer jusqu’alors, il m’est impossible de ne pas éprouver une forme d’excitation coupable. Il y a une chance, une bonne chance, même, pour que Adam et moi nous retrouvions là-bas, à quelques encâblures l’un de l’autre, avec, je l’espère, la possibilité de partager un peu plus qu’une simple poignée de main dans le cadre d’une réunion diplomatique entre nos colonies respectives.
« Calme-toi, Yann, il ne faut pas s’emballer. Pas tout de suite. Pas encore ».
Un effet positif, et immédiatement mesurable, celui-là, de la réapparition de Adam dans mon esprit tourmenté, c’est que j’ai beaucoup moins de temps de cerveau disponible à consacrer à Volker. Le bel allemand continue pourtant à se montrer distant, peut-être plus encore, d’ailleurs, depuis la réception de ce fameux brief informant de la nomination de mon ex petit-ami à la tête de la colonie de Redoak Mons. Or, j’ignore si c’est le temps qui passe, la distraction fournie par Ótavio, ô combien efficace, ou l’espoir de retrouver un jour Adam, mon Adam, une fois arrivé sur Mars, mais la froideur du commandant m’est devenue beaucoup plus supportable.
Je pénètre dans une cabine de douche, me déshabille machinalement puis attends, nu au milieu du petit cube d’algo-plastique translucide qui protège mon inimité, que l’eau soit à la bonne température, c’est-à-dire tiède, et qu’elle puisse ainsi commercer à couler son mon crâne pendant exactement trois minutes, comme le veut le système anti-gaspillage du ISRU. Pas vraiment le temps ni le lieu pour se laisser aller à la rêverie, ni de se prélasser sous l’eau chaude, donc. La douche est un besoin pratique de la mission, un geste d’hygiène parmi tant d’autre, et pas une partie de plaisir, comme dans mon ancienne vie. Il y avait tant d’eau sur Terre. Trop, même. Du moins, là où je vivais, moi.
Une fois douché dans les temps réglementaires, donc, je sèche rapidement mes cheveux et enfile ma combinaison « Olympus » avec précipitation.
Aujourd’hui est un grand jour. Peut-être le plus important de notre mission, ou, à tout le moins, de notre trajet entre la Terre et Mars. Il y a quelques jours, les radars du Olympus I ont détecté un signal de détresse envoyé par un équipage coréen, en route vers la Terre de retour d’une mission minière sur un astéroïde situé à proximité. Leur vaisseau, le Cheolseon-7, a accidentellement heurté un gros caillou lors de son décollage, sans doute d’une taille similaire à ceux frôlés par le Olympus I, il y a quelques semaines, grâce à l’intervention héroïque de Volker. Le système de propulsion endommagé et le ISRU défaillant, impossible d’envisager un retour sur Terre pour le vaisseau, et encore moins un retour sur Terre en vie pour l’équipage. Le Cheolseon-7, conscient de la dernière chance que représente le passage de notre vaisseau à proximité, a donc demandé un sauvetage d’urgence, accepté par l’Agence spatiale européenne.
Sans doute que mon intervention auprès des juristes de l’Agence, invoquant un parallèle pour le moins osé avec le droit humanitaire, a contribué à ce que le « SOS » des coréens ait été entendu à Bruxelles. Mais je ne me fais pas d’illusion. Les soultes du Cheolseon-7, pleines à craquer de graphène, ont sans doute compté tout autant, sinon plus, dans la décision de Cecilia Dimitrova de porter assistance à l’équipage de mineurs de l’espace. Les soultes en question seront ainsi arrimées au Olympus I et remorquées vers Mars. Le poids accru du vaisseau se traduira par une semaine de voyage supplémentaire tout au plus. Et, une fois sur place, le graphène sera utilisé pour décupler les possibilités de « Zeus », notre module de production énergétique, permettant ainsi de largement faciliter les opérations de colonisation menées par Noûr.
Tout est bien qui finit bien.
Enfin, sauf peut-être pour les membres de l’équipage du Cheolseon-7, qui se verront obligés d’accompagner les membres de la mission « Olympus » sur Mars, et y rester jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée pour les rapatrier sur Terre. C’est sans doute acceptable quand la seule alternative est la mort - de faim, de soif ou d’asphyxie, peut-être même de froid, si les thermo-régulateurs du Cheolseon-7 sont également hors-service - au beau milieu de l’espace, tombeau impitoyable, noir et glacé.
Au fil des heures qui ont suivi, le Olympus I a progressivement ralenti sa course folle vers Mars, de sorte qu’il puisse s’immobiliser quelques instants à la hauteur du Cheolseon-7, pour sa part déjà à l’arrêt. La manœuvre d’arrimage demande énormément de précision, et ne peut être effectuée qu’au ralenti.
C’est Polona qui s’y colle, visiblement plus à son aise que lors de la l’épisode des astéroïdes imprévus. Volker, quant à lui, a rassemblé un petit groupe de cinq personnes censées pénétrer dans Cheolseon-7 pour aider à l’évacuation du vaisseau coréen, une fois l’arrimage réussi. Trois hommes et deux femmes. J’en suis. Non pas que je sois particulièrement qualifié pour l’exercice, personne ne l’est, d’ailleurs. Je me suis simplement porté volontaire. Il faut bien briser la routine, et une telle occasion de le faire ne se représentera pas de sitôt. Volker n’a pas su dire non. Il ne me dit jamais non.
« Temps estimé avant entrée en contact avec Cheolseon-7 : quatre minutes et douze secondes... »
Nous y sommes presque.
Volker invite le groupe à revêtir la combinaison de sortie extravéhiculaire. En effet, le Olympus I et le Cheolseon-7 n’ont pas été conçus pour s’imbriquer l’un à l’autre, leurs systèmes sont trop différents pour s’unir et ne former qu’un. L’arrimage en question consistera donc à ce que le bras mécanique du Olympus I s’agrippe fermement dans un crochet de remorquage prévu à cet effet sur le vaisseau coréen. Pour le transfert d’équipage, il faudra passer par le vide de l’espace. D’où la nécessité de ressortir nos tenues d’astronautes. Nous obtempérons en silence. Une pointe d’angoisse mêlée d’excitation au creux du ventre.
Soudain, une secousse. Un soubresaut. Un léger craquement métallique. Le Olympus I vient de s’immobiliser, et, sans doute, de s’arrimer au Cheolseon-7.
- Tout est en ordre, Polona ? demande Volker, le visage tendu, ce qui ne lui ressemble pas.
- C’est bon, Volker, répond la voix de Polona, étrangement calme, cette fois, dans les LiPlugs de l’ensemble Volker, et de l’ensemble du petit groupe que nous formons.
- Parfait... siffle Volker, les dents serrées. Polona, nous allons commencer la dépressurisation du sas et procéder à l’ouverture de la porte extérieur dès que possible. Je te préviens avant que l’on ouvre la porte, d’accord ?
- Reçu cinq sur cinq !
- Quand nous aurons évacué les membres de l’équipage coréen, tu pourras enclencher la manœuvre de décrochage des soultes à graphène, nous t’assisterons depuis le poste de commande du Cheolseon-7.
Nous avançons de quelques pas vers le sas. Je jette un œil par le hublot, et aperçois enfin le vaisseau minier, fermement arrimé au Olympus I. Il est bien plus petit que notre fusée à nous, comme c’est souvent le cas des véhicules commerciaux. Et d’une forme étrange, avec ses deux grosses soultes cylindriques remplies de métal précieux, comme un gros camion-citerne de l’espace. Il est également légèrement amoché sur le flanc, conséquence, sans aucun doute, de la collision dont le pauvre engin a pâti.
Quelques minutes plus tard, une fois le sas dépressurisé et le Cheolseon-7 ramené à toute proximité par le bras mécanique du Olympus I, nous ouvrons enfin la porte et lévitons vers le vide, le néant, le rien et le tout de l’espace, avalés par sa noirceur, seulement retenus à la civilisation et à la vie par l’indispensable fil d’Ariane qui nous relit au vaisseau. Après avoir pris une impulsion depuis le rebord de notre vaisseau, nous nous élançons vers Cheolseon-7, l’un après l’autre, pour nous engouffrer dans le sas du vaisseau coréen, laissé ouvert par son équipage.
Si tout s’est passé comme prévu, dix personnes doivent nous attendre de l’autre côté de la porte qui isole le sas de l’intérieur du vaisseau, qu’il s’agira d’évacuer vers le Olympus I. Seul le capitaine du vaisseau, un certain Ryu Lim-Taek, restera à bord pour quelques instants supplémentaires, en notre compagnie, afin d’effectuer la manœuvre de transfert des soultes d’un vaisseau à l’autre. En tout cas, c’est le plan auquel l’Agence et les représentants de la compagnie minière coréenne ont adhéré, sur Terre. Reste à voir s’il pourra être mis en œuvre dans la pratique.
Or, force est de constater que les plans établis sur Terre ne sont pas toujours réalisable dans l’espace. En effet, de l’autre côté de la porte du sas du Cheolseon-7, ce ne sont pas dix membres d’équipage qui nous attendent de pied ferme, mais bien un homme, un seul, déjà vêtu de sa tenue de sortie extravéhiculaire, et neuf cadavres, alignés les uns à côté des autres le long du couloir de service du vaisseau, le visage paisible, comme s’ils étaient endormis. Ryu, capitaine du Cheolseon-7 et seul survivant, nous annoncera quelques heures plus tard, après un passage obligé chez Șerban, notre médecin de bord, dans un anglais mâtiné d’un fort accent coréen, que l’oxygène était venu à manquer bien plus tôt que prévu, et que lui seul avait pu tenir quelques heures supplémentaires, en siphonnant les fonds de bouteille mis de côté pour l’évacuation.
Il me faudra encore longtemps pour me sortir l’image de cet amas de corps inertes de la tête. L’espace ne pardonne pas. Seuls les esprits et les corps els plus aiguisés y survivent.
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