LOG50_DAY265_02042057_SOL1

5 minutes de lecture

Le ronronnement des moteurs vient à peine de s’achever, et déjà, une drôle d’atmosphère, mêlée de tension et d’excitation, prend le dessus sur le soulagement dans le poste de pilotage.

Nous nous sommes posés sur Mars.

Sans encombre.

Le guidage chinois, enfin, le téléguidage chinois, à proprement parler, a été diablement efficace. Volker et Polona ont finalement eu bien peu à faire, la quasi-totalité des manœuvres étant pilotée automatiquement, par EVA, abreuvée de données issues à la fois des capteurs du vaisseau et des satellites de Huo Xing, le contrôle au sol chinois sur Mars. En une petite vingtaine de minutes, interminables, certes, mais au final vite terminées, le train d’atterrissage du Olympus I s’est posé à l’endroit prévu, il y a de ça des mois, peut-être même des années, presque à équidistance de « Zeus », « Aura », « Demeter » et « Hades », les modules de colonisation et d’exploration envoyés au préalable par l’Agence. Ce qui n’était pas prévu, en revanche, c’est le comité d’accueil chinois qui nous attend, impatiemment, je suppose, de l’autre côté de la porte du vaisseau.

Il faudra faire avec.

D’un signe de la tête, Volker, le front trempé de sueur, sans doute plus à cause du stress que de l’effort fourni par le commandant lors de la descente, nous indique qu’il est désormais possible de détacher nos ceintures et de quitter nos sièges. Pourtant, personne ne bouge d’un orteil. Personne n’ose faire le premier pas. Pendant de longues secondes, peut-être même une minute toute entière, le conseil au complet reste immobile. Dans un silence si épais et si mou qu’on pourrait le couper au couteau à beurre, seulement interrompu, de temps à autres, par les craquements métalliques du vaisseau qui se remet encore de l’atterrissage, épuisé, et par l’effort, lui.

Finalement, c’est Noûr qui se lève la première, bondissant hors de son siège comme une véritable furie. Sans doute la suissesse a-t-elle bien trop hâte de débuter ses opérations de colonisation pour se laisser aller à la langueur post-atterrissage trop longtemps. Très vite, Polona lui emboîte le pas. Puis Volker, et Tomas, un peu moins vifs que les jeunes femmes. Je les suis à mon tour. Goûtant pour la première fois depuis neuf mois à la pesanteur dans le cœur du vaisseau, et une pesanteur bien réelle, cette fois, différente de celle parfois un peu légère qui régnait dans « l’arche », et qui me semble finalement assez proche de celle que ressentie sur Terre, bien qu’il soit difficile de conserver la mémoire d’une sensation que l’on tient tellement pour acquise que le cerveau ne prend pas la peine de s’en encombrer. Felipe, le corps raide et le visage aussi tendu que lors des derniers jours, tellement méfiant face à la main-tendue chinoise qu’il parviendra sans doute à s’en rendre malade, physiquement et psychologiquement, finit par rejoindre le reste du groupe, en traînant la jambe et tirant la tête.

« Ici Volker ! Olympus I, préparez-vous pour notre sortie d’ici un quart d’heure ».

Je jette un coup d’œil en direction du commandant alors qu’il diffuse ce rapide message, pas si insignifiant qu’il n’y parait. En effet, c’est sans doute la dernière fois qu’il s’adresse à son équipage, comme il l’a fait des centaines de fois pendant le voyage, de sa voix grave et rassurante, diffusée simultanément et directement au creux de notre oreille par les LiPlugs. Dès que nous foulerons le sol de Mars, le bel allemand restera bien sûr le commandant de la mission, « notre » chef, notre dirigeant, mais, quelque part, la symbolique du capitaine de vaisseau viendra entamer quelque peu la confiance absolue, aveugle, même, que nous lui portons tous depuis le jour où il nous a sauvé d’une mort certaine, écrasés contre des débris de l’espace.

Je me demande ce que je ressens pour lui, pour Volker, à ce moment précis. De l’admiration, sans aucun doute. De l’attirance, peut-être encore un peu. Il faut dire qu’il n’est toujours pas parvenu à se rendre désagréable à l’œil, le bougre. De l’amitié, sans aucun doute, le voyage a fait naître une véritable complicité entre nous tous, lui et moi compris. Pas grand-chose de plus, je crois. J’ai plutôt bien fait le deuil de nos ébats furtifs, guéri de mes sentiments éconduits, de mes incertitudes perpétuelles, par le temps qui passe autant que par les caresses de Ótavio, qui devait attendre, lui aussi, sage comme une image, à sa place attitré, que Volker lui donne l’autorisation de se préparer à la sortie. J’ignore ce qu’il adviendra de nous, désormais.

Ótavio et moi, j’entends.

L’avenir le dira.

J’ai une pensée pour Adam. Furtive. Fugace. Ce n’est pas le moment de se laisser aller à l’espoir infondé ou la mélancolie doucereuse.

Quelques minutes plus tard, nous voilà tous rassemblés, deux-cents hommes et femmes revêtus de l’épaisse combinaison de sortie sur le sol martien, casque à oxygène sur la tête, devant la porte principale du vaisseau. Celle-là même par laquelle nous avions pénétré pour la première fois dans le cœur chaud du Olympus I, sous les yeux de millions de spectateurs, ayant fait le déplacement jusqu’au spatioport ou connectés depuis leur LiPhone, lors de notre départ de Tolède. Volker nous précède tous. D’un geste sûr, il désarme le système de sécurité puis déverrouille la porte. Avant de l’ouvrir, une bonne fois pour toute, le bel allemand jette un dernier regard sur son équipage, la mine fière et l’œil embué de larmes qu’il sera trop pudique pour verser, sans savoir que nous n’en saurions rien, tout protégé qu’il est par un reflet de lumière sur la visière de son casque. Il ne peut s’empêcher, toutefois, de prononcer un ultime discours :

« Mes amis, ensemble, nous avons réussi un sacré exploit. Quand cette porte s’ouvrira, nous cesserons officiellement d’être des voyageurs de l’espace, et nous deviendrons de simples martiens, si je peux me permettre un trait d’humour. L’heure est à la fête, évidemment. Mais n’oubliez jamais notre mission : établir une présence européenne sur le sol martien, préparer l’arrivée de futurs colons européens, et faire rayonner nos valeurs sur Mars, tout en protégeant nos intérêts et notre territoire. La Chine nous a prêté main-forte pour l’atterrissage. En cela, les responsables de la mission chinoise ont fait preuve d’un respect admirable, certains diront d’une simple humanité, solidaire envers les siens en dehors des frontières terrestres. Nous leur en sommes infiniment reconnaissant. Mais restons vigilants. L’esprit humain, même juste et généreux, est rarement désintéressé. Il y aura sans doute un prix à payer pour cet appui salvateur. Nous le paierons, s’il est acceptable, s’il ne nuit pas aux objectifs de notre missions. Mais nous refuserons toujours de céder à la pression, au chantage, aux tentatives de division. Restons soudés, mes amis, et ainsi, nous n’avons rien à craindre, et tout à gagner ».

Nous sommes le deux avril deux-mille-cinquante-sept, premier jour, ou plutôt, « premier sol » de notre nouveau départ, et moi, Yann Pennec, vient de poser le premier pied sur Mars.

Annotations

Vous aimez lire GBP ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0