Vision N°13
Je suis à cheval parmi d’autres cavaliers. Nous portons un « sombrero » et un foulard devant la bouche. Nous traversons un désert. Le cavalier à ma gauche me demande :
« Gringo, je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas qu’on te donne ta part ?
— Parce que je paie déjà trop d’impôts. »
Il se met à rire :
« Cet argent n’est pas imposable, si tu vois ce que je veux dire.
— Mon ami, dans mon pays tout est imposable, même la merde que je chie tous les matins. »
Tous les cavaliers se mettent à rire. Puis l’un d’eux, indiquant une direction s’écrie :
« Ca y est, nous y sommes ! »
Et Nous arrivons dans un petit village qui ne comporte qu’une église, deux maisons, une auberge, et un magasin de pompes funèbres. Les rues sont désertes, le soleil est écrasant. Je demande :
« Vous êtes sûr qu’il y a une banque dans ce bled ? »
Le cavalier à ma droite me répond :
« Allez savoir, avec tous ces braquages, elles finissent par ne plus avoir de sous, et elles s’en vont. En tous cas, la semaine dernière elle était là, et ses coffres regorgeaient d’or. »
Arrivés devant l’auberge, nos chevaux s’arrêtent. Un homme corpulent portant une grosse moustache s’approche de moi, et me somme de descendre de cheval et de le suivre. Je m’exécute. Nous rentrons dans l’auberge, nous la traversons, nous montons un escalier, nous longeons un couloir au bout duquel se trouve une porte qu’il ouvre, et nous entrons dans une pièce où règne un grand désordre : des cahiers et des feuilles de papier jonchent le sol. Le tapissent même. L’homme me fait :
« Il serait temps de ranger vos écrits. »
Puis il sort, et referme la porte derrière lui. Je ne sais pas par où commencer. Je me gratte la tête. Je pense tout haut :
« C’est moi qui ai écrit tout cela ? »
Je commence par prendre tous les cahiers, j’en fais une pile que je range dans un coin ; puis je m’attaque aux feuilles. Je les empile les uns sur les autres, et me dis :
« Il va falloir que j’élague. Qu’est ce qui m’a pris d’écrire tout ça ? »
On frappe à la porte.
« Entrez ! »
Julie entre. Elle a une dizaine d’années. Elle me dit :
« Papa, Caroline est en train de conduire la voiture. »
Je lui fais :
« Je descends dans deux minutes. »
Elle ressort. Je me remets à ranger mes écrits. Quelques instants plus tard, on frappe à nouveau à la porte.
« Entrez.
C’est Caroline qui entre. Elle a une dizaine d’années. Elle me dit :
« Papa, Julie est en train de conduire la voiture. »
Je lui fais :
« Je descends dans deux minutes. »
Elle ressort. Je me remets à mon rangement. Une pendule se met à sonner douze coups. La porte s’ouvre. L’homme à la grosse moustache me dit :
« Allez-y. Vous continuerez demain. »
Je sors, je descends les escaliers, je traverse le hall de l’auberge, et je me retrouve dans la via di San Giovanni in Laterano. J’ai faim. Devant un restaurant une serveuse me tend le menu t me dit :
« Entrez, entrez. Ici on mange bien, ce n’est pas cher, et l’on accepte tous les moyens de paiement, même les téléphones portables. »
Je rentre. Elle m’indique une table de cinq couverts.
« Monsieur attend sans doute quelqu’un ? »
Je lui réponds que je n’attends personne.
Elle me rétorque :
« Mais si, mais si, cherchez bien. »
J’insiste :
« Je vous dis que je n’attends personne. Je suis tout seul. »
Elle me regarde dans les yeux et me dit :
« A Rome personne n’est jamais seul. Asseyez-vous. Je vais vous trouver quelqu’un pour vous tenir compagnie. »
A peine ai-je posé mes fesses sur la chaise, que je vois apparaître l’homme aux grosses moustaches qui, tapant du poing sur la table, hurle :
« Et vous appelez ça du rangement ? C’est une honte !! C’est une honte !! »
Et il s’en va. La serveuse revient vers moi et me dit d’un ton dépité :
« Désolée, monsieur, nous n’avons plus rien à manger.
— Ça ne fait rien. Je n’avais pas faim. »
Je me lève et je sors. Une voiture s’arrête à ma hauteur, un vieillard en sort et m’ouvre la porte arrière.
« Prenez place, me fait-il. Je connais une adresse où vous pourrez faire vos affaires en toute tranquillité. »
Je monte. Pendant une vingtaine de minutes nous roulons à travers les rues de la ville. Nous passons devant le zoo et villa Borghese. La voiture s’arrête dans une petite ruelle, devant une riche demeure. Le vieux m’ouvre la porte et je descends. Il m’indique la grille et me fait :
« C’est là. Surtout, faites comme si vous connaissiez tout le monde. »
Puis il remonte dans sa voiture et s’en va. Je m’apprête à sonner à l’interphone, lorsque je sens une main qui se pose sur mon épaule. Je me retourne. L’homme à la grosse moustache me tend une valise et me dit :
« J’ai fait le travail à votre place. Tenez. »
Puis, avant de s’en aller il ajoute en indiquant Caroline et Julie :
« Ce sont vos filles ?
— Oui.
— Dites-leur de ne plus conduire la voiture. »
Puis il s’en va, et nous trouvons tous les trois en train de déambuler dans les rues de Rome, tandis que la lumière décline peu à peu, jusqu’au noir total.
Nice le 28/07/2006
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