Le café de la place
Une heure plus tard, on vint s'assoir à l'une de ces tables rondes au pied en fer forgé et ses chaises métalliques et vertes qui me rappelaient celles de jardin parisien. La terrasse offrait de l'ombre. Ici on parlait, là on plaisantait. En coulisse, à l'intérieur une machine italienne chantait sa musique en expresso. Elle semblait accompagner un chanteur au jazz et à la java chevillés au corps depuis trop longtemps disparu.
Une jolie jeune femme nous rejoignit affichant un beau sourire désarmant, un plateau doré glissé sous le bras. D'un geste tournant, elle effaça les souvenirs d'une commande précédente tout en nous questionnant.
- Alors, ces messieurs prendront ?
- À vous l'honneur, cher...
- ...
La serveuse reprit l'initiative devant nos silences.
- Oui ! Monsieur Afred, je vous sers comme d'habitude ?
- Alfred !
- Oui. On se connait bien ! dit-il avec un petit sourire, presque jubilatoire.
- Bien ? dis-je quelque peu estomaqué.
- Vous savez mon cher...
- Louis !
- Mon cher Louis, qu'à mon âge, disais-je, les plaisirs deviennent simples et les questions métaphysiques s'évanouissent avec le vent du large.
- Je n'en doute pas. Pour moi, je prendrai un pastis avec un glaçon, s'il vous plait. Vous voudrez bien nous mettre quelques cacahuètes à grignoter, ajoutai-je dans un grand sourire charmeur.
Déjà notre serveuse s'éloignait telle un moineau pressé de rejoindre son nid. Elle semblait voler sur la terrasse et générer à son passage un tourbillon de feuilles de platanes. Elle disparut dans la pénombre du café. J'entendis de loin la commande passée à voix haute et claire au barman derrière le comptoir. Mais déjà je revenais vers ce visage qui quelques heures plus tôt captivait mon imaginaire.
D'un seul coup, je réalisais que dans son expression affichée, il perdait plusieurs années, rajeuni par cette facilité à plaisanter de la vie. Il se jouait du temps qui passe, de ces plaisirs simples et démodés, comme le chantait Aznavour. Cet homme m'intriguait chaque minute davantage. Il émanait de lui un côté sympathique qui semblait vouloir effacer un autre plus secret, inavouable.
- Alors, à votre victoire et à votre bonne santé, Alfred, dis-je en levant mon verre.
- Merci, merci, jeune homme. Vous ne manquez pas d'humour. C'est si rare chez les gens de votre âge.
- Oui, vous n'avez pas tort. La vie d'aujourd'hui se montre plus superficielle. Plus technologique. Le virtuel envahit tout notre espace.
- Vos fameux réseaux sociaux.
- Social. Un mot galvaudé car il ne traduit pas une réalité. Les gens trouvent de plus grandes facilités à se rencontrer par ce type de médium mais cela cache un revers bien sombre de la médaille.
- Oui, je me tiens à la page de ce phénomène des mensonges. Le dernier sport à la monde. Mais qui présente un terrible danger. Celui de ne plus croire en rien ni en personne. Et cela touche la politique et les journalistes.
- Je vous rejoins sur ce point. Mais les mensonges existent depuis toujours. L'Histoire en est pleine.
- Oui c'est exact et à ce propos, j'ai moi-même une anecdote du passé à vous conter. Avez-vous le temps ?
- Oh oui ! bien sûr. Je suis en vacances.
- Alors... soit.
Un courant d'air passa nous rendre une douce visite. Il apportait avec lui des senteurs lointaines, exotiques.
Peu à peu la place se remplissait de boulistes et comme par symétrie la terrasse du café en faisait tout autant. Un carreau de temps à autre prenait corps entre les façades, doublé d'applaudissements et d'encouragements sonores.
Mais moi, je n'étais plus là...
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