Chapitre 7
Don't count me out
Just cause I'm down
Boy I've been down before
Fate has a way of playing games
And I've been keeping score
{…]
Run for your life7
— Rae, bouge-toi ! La parade commence dans une demi-heure, on va louper le début !
— Oui, c’est bon, j’arrive. Je finis de me préparer.
J’écoute Matt soupirer. S'il savait que j’ai changé 5 fois de tee-shirt pour finalement enfiler le premier que j’avais sorti. Punaise, est-ce que quelqu’un pourrait m’expliquer à quel moment je suis redevenue une ado de quinze ans ?
— Rae, sérieux, je vais partir sans toi ! Les rues vont être blindées, on va mettre des plombes à retrouver Alec et Liam.
— Je t’ai dit que j’arrivais !
J’attrape une veste cargo que j’enfile sur mon jean destroy et mon haut blanc. Matt est dans l’entrée et toute sa posture me signale que là, je le gonfle. J’aurai bien fait un tour par la salle de bain pour vérifier mon allure générale, mais je crois que je ne vais pas abuser. Mon plus beau sourire aux lèvres je lui dis :
— Bon alors tu fais quoi ? Je t’attends, moi !
Et je dévale les escaliers en courant, l’écoutant pester derrière moi.
On a réussi à retrouver Liam et Alec plutôt facilement compte tenu du monde. Du coup, j’en rajoute des caisses auprès de Matt. Nous nous promenons au milieu de la foule et je savoure ce moment simple d’amitié. Je n’ai pas assisté à la parade l’an dernier, je sortais juste de l’hôpital après trois semaines d’hospitalisation et je ne pouvais pas encore me déplacer sans béquilles. Pourtant l’ancienne Raelynn adorait ces événements festifs : la musique, les déguisements. Toute à mes pensées, je n’ai pas vu que Liam et moi avions été séparés de Matt et Alec. Nous les cherchons dans la foule, mais impossible de repérer qui que ce soit avec ce monde. Liam me parle de ses précédentes parades, je partage quelques souvenirs également. Puis ses yeux s’illuminent devant un marchand de bonbons, alors, comme deux gamins, nous voilà à acheter des tonnes de friandises toutes plus chimiques les unes que les autres. Je me sens bien, détendue. Je remarque que Liam n’est pas étranger à ce sentiment. La crainte des débuts a laissé place à la curiosité et à l’envie de le découvrir. Cette même pensée qui m’a fait paniquer lors de notre dernière soirée me parait moins déroutante aujourd’hui. Reste quand même à faire la lumière sur cette femme avec qui je l’ai croisé au parc. S’il a quelqu’un dans sa vie, il ne la mentionne jamais et elle ne l’accompagne pas lors de ses sorties.
Soudain, un pétard explose à quelques mètres de moi, me faisant entrer dans une crise de panique d’une rare violence.
Mon cœur s’emballe.
Mes tympans sifflent.
L’air déserte mes poumons.
Je suis dans cet entrepôt à nouveau. Les souvenirs de mon agression me percutent, violents, réels. Je peux sentir les relents d’urine et de pourriture. Ces mêmes odeurs qui hantent mes cauchemars J’essaie de me raisonner. Ce n’est qu’un jouet pas un coup de fusil, mais impossible de penser clairement. Mes sens sont à l’affût. Je vis chaque mouvement autour de moi comme une agression. Quelqu’un qui passe trop près, un enfant qui crie au loin, même la musique ambiante. Dans ce brouillard, je cherche Matt du regard. J’ai besoin de Matt. Mais la foule est trop dense et je ne suis pas en mesure de me concentrer. Je me sens suffoquer. J’écoute vaguement qu’on m’appelle, mais je n’arrive pas à sortir de cet état de transe. Une boule écrase ma poitrine, les larmes inondent mes joues. Je n’ai absolument aucun contrôle sur mes réactions. Respire Rae, respire…
Quand une main se pose sur mon épaule, le calme revient. Mon instinct reprend le dessus et j’exécute mécaniquement ces gestes que j’ai pratiqués au quotidien pendant des années. Je verrouille ma prise sur celle de mon assaillant et le balaye en me retournant. Le bras de mon agresseur bloqué dans son dos, j’immobilise son corps imposant de mon genou. Dans un réflexe, je cherche les menottes à ma ceinture mais ne rencontre que du vide. Et cette voix qui tente de percer dans le brouillard induit par mon état. Cette voix…
— Raelynn, bordel ! Lâche-moi !
La brume se dissipe, j’aperçois le profil de mon suspect face contre terre, reconnais les traits anguleux de Liam. D’effroi je relâche ma prise. Celui-ci me regarde, médusé. Il s’assied difficilement, passe la main sur sa joue meurtrie. Je me repasse les minutes précédentes pour tenter de comprendre comment j’ai pu en arriver à maîtriser Liam. Les reliques de la crise sont toujours là, bien présentes : mon corps est douloureux de s’être trop contracté, une migraine me vrille les tempes, mais surtout, j’ai honte. Tellement honte de n’a pas avoir su me contrôler. D’avoir agressé Liam. Et je suis en colère. En colère d’avoir pensé que je pourrais venir voir la parade du 4 juillet avec mes amis, me mélanger à la foule et agir comme n’importe qui.
Toujours au sol, Liam fouille mon regard à la recherche d’une explication logique qui n’existe pas. Je lui murmure que je suis désolée et pars en courant. Dans ma course effrénée je bouscule des gens et me fais insulter allègrement, mais je continue le regard droit devant moi jusqu’à être hors de portée du monde, du bruit et de l’agitation ambiante. J’examine rapidement les alentours pour savoir où je suis et me dirige vers le métro. Je n’avais pas fait de crise aussi violente depuis des mois. Que dois-je en conclure ? Que je rechute ? Que j’avance ? Mon rythme cardiaque augmente à nouveau à mesure que je me questionne. Je dois me calmer à tout prix. A l’arrivée de la rame de métro je me fraye un passage, chausse mes écouteurs et m’avachis sur un strapontin. Dans ma bulle de musique, ma tension s’apaise, mon corps se détend.
Les arrêts défilent au rythme des vibrations du téléphone dans ma poche. Je n’ai pas besoin de regarder le nom du correspondant, je devine que Matt a eu vent de l’incident et qu’il est à l’affut. Si j’étais une bonne amie, une amie moins égoïste, je prendrais quelques secondes pour le rassurer. Les vibrations s’enchainent : messages, appels, tout y passe. J’en viens à ne plus supporter ce bourdonnement continue et fini par couper mon téléphone. La tête en appui contre la vitre, je me concentre sur la sensation du verre froid sur ma peau.
S’accrocher à du réel.
Lorsque ma station est annoncée, je me lève tel un automate. Mes pas me conduisent jusqu’à mon immeuble, je pleurerai presque de soulagement en trouvant mes clés dans la poche de ma veste. Mes doigts effleurent l’emballage des bonbons dégustés quelques minutes plus tôt. La parade me semble si loin, comme si j’avais vécu une vie depuis.
Ma tête bourdonne mais je n’ai pas la force de partir à la recherche d’un comprimé de paracétamol, je n’aspire qu’au repos et à l’oubli. Sur le seuil de ma chambre, mon lit me parait loin, mes jambes ne me portent plus, je m’écroule sans grâce dans un sanglot mais ce n’est que lorsque que je ramène mes genoux sous mon menton que je m’autorise à ouvrir les vannes.
Je pleure de tout mon soûl jusqu’à épuisement. Ce n’est que lorsque le bruit d’une porte qui s’ouvre me sort de ma torpeur que je réalise m’être assoupie. Matt débarque dans ma chambre comme une furie, le souffle court et les cheveux en bataille d’avoir couru à ma recherche. Quand des yeux se pose sur moi, le voile d’inquiétude qui les ternissait s’estompe pour faire place à une réelle tendresse. Je l’écoute pousser un soupir de soulagement avant que ses lèvres ne se déposent sur mon front. Puis il ressort de la chambre et je l’écoute téléphoner à Liam ou Alec pour les prévenir qu’il m’a retrouvé. Il ne tarde pas à revenir à mes côtés, non sans avoir pensé à prendre une bouteille d’eau et un encas. Il dépose le tout devant moi et s’installe avec moi à même le sol. Son parfum familier m’enveloppe et la chaleur de son corps me rassure. Nous n’échangeons pas un mot mais quand sa main saisie la mienne pour la presser je n’ai pas besoin de plus.
C’est prostrée dans un coin de ma chambre que je finis la soirée. La crise de panique n’est pas loin, je la sens affluer. Je dois déployer tous les efforts du monde pour ne pas me laisser envahir. Matt a bien tenté de me proposer de la musique ou de la méditation mais l’une comme l’autre ne sont pas suffisante cette fois. Quand le jour décline, j’appréhende le sommeil et les cauchemars qui viendront avec. Aussi, je tente de repousser au maximum le moment de me coucher. Matt a passé un bout de temps avec moi, juste assis par terre, à mes côtés, sans rien dire. C’est également dans le silence qu’il a quitté ma chambre pour aller se reposer un peu avant d’attaquer sa garde. Le réveil indique 5h du matin, je n’ai pas bougé. Mon corps entier me fait mal. Certains membres à cause de mon immobilité, d’autres en raison des courbatures d’après crise. J’écoute l’alarme de Matt, il va se lever. Je regagne difficilement mon lit pour faire semblant de dormir. S’il me trouve au sol il s’inquiétera durant son service. Je sais qu’il viendra vérifier mon état avant de partir. Il valide mes propos quelques instants après en passant la tête par l’embrasure.
— Rae ? m’interpelle-t-il en chuchotant.
Je ne réponds pas. La porte se referme et je me laisse bercer par le bruit de la douche. Trente minutes plus tard, me voilà seule à nouveau.
Mon regard s’accroche à l’écran de mon smartphone qui affiche un message.
Liam :
[Si tu as besoin de te défouler, je serais au stadium vers 8h. N’hésite pas.]
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