Dans les geôles d'Ornor
Lorsqu'il s'éveilla, le Waldin décida de retourner à Ethor Kaelys. Il avait sans nul doute accompli sa mission, il ne lui restait plus qu'à rapporter la Pierre de Vasyl au Prince-Gouverneur d'Ethor Kaelys, Allengryn, qui deviendrait roi des Nainden. Quand à lui, il pourrait ensuite rentrer chez lui.
Il songeait ainsi en marchant lorsqu'il aperçut au loin la porte sculptée d'Holtrock, la cité naine sculptée dans la montagne. Il songea alors à y faire un détour, mais, se rappelant son précieux fardeau et ce qu'on lui avait dit sur la cupidité des Nains, il y renonça. Mais il décida quand même d'aller admirer Holtrock d'un peu plus près, et il monta sur une butte qui lui donnait une vue sur toute la région.
Tout à coup, il entendit un bruit d'ailes derrière lui, et reçut un violent coup dans le dos qui le projeta en avant. Son sac tomba, roula, s'ouvrit, et la Pierre de Vasyl s'en échappa. Il se releva prestement pour la rattraper, en vain. Un aigle piqua sur l'objet, le saisit entre ses serres et l'emporta. Corrik saisit son arc, mais il était trop tard : en quelques coups d'ailes, l'oiseau fut hors d'atteinte et partit vers Holtrock.
Le Waldin, hébété, resta planté là quelque temps, avant de ramasser son sac et de courir en direction de la forteresse. Quelques minutes plus tard, il atteignit une route. Il était trop dangereux de la suivre, Corrik continua donc à marcher dans l'alpage entre les blocs de pierre, projetés là par quelque volcan dans des temps fort anciens. Apercevant un fossé, il s'y blottit en attendant la tombée de la nuit pour agir.
La nuit vint. Corrik quitta sa cachette et s'avança furtivement vers l'entrée de la forteresse. L'obscurité le servait. La route s'enroulait autour de la montagne et y entrait plus haut par un pont-levis, sous la fameuse Porte de l'Ours. Corrik commença l'ascension de la montagne en marchant dans les éboulis, car passer par la route aurait été trop risqué. Il avançait lentement, se cachant de temps en temps derrière un gros bloc rocheux quand il lui semblait qu'un Nain, là-haut, regardait dans sa direction.
Une demie-heure plus tard environ, il atteignit la route au niveau de la grande porte. Le Waldin réfléchissait à un moyen d'entrer dans la montagne, quand il aperçut un chariot tiré par deux poneys qu'un marchand Nain tenait par leur bride. Deux sentinelles qui gardaient la porte l'arrêtèrent, lui dirent quelque chose en langage nain, puis l'un des deux gardes partit tandis que l'autre inspectait le chargement. C'étaient de grandes jarres de terre cuite, fermées par des couvercles. Corrik sauta sur l'occasion. Dès que le garde eut terminé, il grimpa dans la charrette et ouvrit une des jarres. Elle était pleine de vin à ras bord. Le Waldin souleva un second couvercle : celle-là n'était pleine qu'à moitié. Profitant de sa petite taille, Corrik s'y glissa prestement et laissa retomber le couvercle au-dessus de lui. Il était temps, car le chariot repartait.
Une fois qu'il eut passé la porte, le Waldin souleva légèrement le couvercle pour voir où on l'emmenait. Il fut surpris de voir le ciel étoilé et la lune, car il pensait être dans une sorte de ville souterraine. Les ingénieux Nains avaient creusé le haut de la montagne de l'intérieur, puis après des travaux sans doute longs et difficiles, ils en avaient ouvert le sommet, de sorte que Holtrock était à présent une enceinte protégée par d'immenses murs formés par les flancs de la montagne. Sur ceux-ci, du côté intérieur, ils avaient taillé des escaliers dans la roche qui permettaient d'accéder à un chemin de ronde entourant la forteresse. On apercevait des petites guérites pour abriter les sentinelles, dont on voyait se découper les silhouettes, lorsque le vent froid soufflait, et aux quatre points cardinaux, se dressait une tour. Au centre de la place, un puits avait été creusé, et tout autour, il y avait des étalages de marchands, fermés à cette heure.
Corrik remarqua aussi que les Nains vivaient dans des habitations creusées dans le mur d'enceinte de la place forte. Il vit également que le chariot, comme beaucoup de monde d'ailleurs, se dirigeait vers une sorte de réplique plus petite de la Porte de l'Ours, qui s'ouvrait dans la roche. Voyant approcher des gardes, le Waldin laissa retomber le couvercle de la jarre pour s'y cacher totalement, en espérant qu'il ne serait pas découvert.
Après quelques instants, le chariot s'arrêta, les jarres furent transportées par des serviteurs. On déposa la jarre dans laquelle se tenait Corrik au sol, et celui-ci put risquer un œil hors de sa cachette.
Il se trouvait dans une salle immense creusée dans la montagne. Des piliers imposants s'alignaient tout le long des murs, ornés de motifs sculptés et de bas-reliefs représentant des scènes historiques ou légendaires, des batailles, des combats contre des dragons, et bien entendu le combat du Nain contre l'ours, des portraits de personnages illustres...La salle était éclairée par d'énormes torches suspendues aux murs, et au milieu se dressait une longue table couverte d'une nappe blanche. Là, des Nains étaient attablés, buvant, mangeant, faisant résonner leurs rires et leurs chants sous les voûtes du colossal palais qui avait dû coûter tant d'efforts à leurs ancêtres.
Attablé en milieu de table, Corrik reconnut Ornor, celui qui commandait le détachement de Nains. Il semblait être le seigneur des lieux, discutant avec ses convives et riant plus fort que tous. À sa droite se tenait un Homme. Il était blond de barbe et de cheveux, ce qui semblait annoncer un Ratharden. Dépassant tous les invités de plusieurs têtes, il semblait isolé et un peu perdu. Il tournait la tête de droite à gauche dès qu'un Nain prenait la parole, mais ne semblait pas comprendre ce qui se disait, et de temps à autre un sourire gêné apparaissait sur ses lèvres.
Corrik vit alors que deux serviteurs parlaient entre eux. L'un portait un carafon de vin, et le deuxième portait la Pierre de Vasyl. Le Waldin sortit de la jarre et se cacha sous une desserte, sur laquelle les plats à servir étaient déposés. Caché dessous la nappe, il vit qu'Ornor avait fait un signe au serviteur qui s'approcha de lui et lui donna discrètement la Pierre. Ornor dit quelques mots en ratharden à son voisin en riant tandis qu'il glissait subrepticement sa main sous la table pendant un court instant et cachait la Pierre.
Corrik prit son courage à deux mains et courut de la desserte à la table principale. Entre les pieds de la table et ceux des convives, il s'arrêta quelques instants, le cœur battant. Personne ne semblait l'avoir vu. Le Waldin avançait prudemment, cherchant à atteindre le précieux objet. Il arriva ainsi aux pieds d'Ornor, et s'aperçut que la Pierre était posée au bord de sa chaise de chêne massif.
Il allongeait le bras pour la saisir, quand Ornor se leva brusquement, se mit debout sur sa chaise et sembla réclamer le silence ; tous se turent.
« C'est le moment ! » se dit alors le Waldin.
Il posait déjà la main sur la Pierre de Vasyl, quand soudain celle du Nain s'abattit sur la sienne et se referma avec force, la serrant comme elle l'aurait été dans un étau. Puis le Waldin se sentit irrésistiblement tiré vers le haut et arraché à sa cachette.
« Par l'ours de Tormild ! gronda le Nain. Je te reconnais ! Tu venais nous voler, sale petit fouineur ! »
Les convives étaient stupéfaits. Des exclamations fusèrent. L'homme assis à côté d'Ornor s'écria :
« Un Waldin ! Ici ! »
Corrik, lui, était mort de peur. Il resta suspendu par le bras, car le Nain ne le lâchait pas. Puis des gardes accoururent, empoignèrent le malheureux Waldin, et l'entraînèrent hors de la salle. Ils sortirent du palais et descendirent les marches d'un souterrain qui s'enfonçait dans le sol. Arrivés à une lourde porte de fer, ils appelèrent quelqu'un.
Corrik comprit qu'on l'emmenait dans un cachot. Un Nain, probablement le geôlier, vint ouvrir. Il avait un crâne rasé qui luisait à la lueur de la torche qu'il portait, et sa barbe était rousse comme le feu. Il se saisit de Corrik et le traîna dans un couloir sombre. Tout le long de ce couloir étaient des cellules aux grilles de fer. Et dans ces cellules, des prisonniers misérables étaient enchaînés. La plupart étaient des Nains, mais deux d'entre eux étaient des Hommes, probablement des Ratharden. Une cellule voisine de l'un d'eux était libre : le Waldin y fut jeté. Sa tête heurta le sol dur et froid, et il ne se releva pas tout de suite. Il gisait là, totalement brisé.
Le geôlier s'éloigna, et avec lui la lumière. Tout fut envahi par les ténèbres. La lourde porte de fer se ferma avec bruit, puis ce fut le long silence de ceux qui n'espèrent plus.
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