L'évasion
La craie parcouru le mur sur quelques centimètres à peine. Et sept jours de plus à moisir ici. Arcole cogna la roche d'un poing rageux. Un cocard au visage, il venait de d'échouer sa 4241ème évasion.
- Abandonne, vieux, ça sert à rien de vouloir pisser contre le vent. Et puis on est pas bien ici ?
Les yeux rivés sur l'écran de télévision accroché au plafond, Wagram avait l'air de se satisfaire de son sort. Il plongea une main nonchalante dans le paquet de chips entreposé sur sa bedaine.
- T'en veux ? proposa-t-il à son camarade de cellule.
Arcole ne répondit pas. Il méprisait son colocataire. Le gros Wagram puait la défaite. Abandonner, c'était arrêter d'espérer. Et arrêter d'espérer, eh bien c'était accepter de mourir à petit feu. Wagram n'était qu'un mort en sursis.
- Ferme-la Wagram, conclut-il à haute voix.
Le prisonnier enrobé paru affecté et sortit de sa torpeur audiovisuelle pour se redresser et porter ses doigts gras à son double menton.
- Qu'est-ce que tu cherches dehors ? Hein ?
Arcole ne répondit pas. Il fixait le mur invariablement, comme s'il y projetait par son esprit son prochain plan d'évasion.
- Tu cherches la liberté ? La fierté ?
Wagram ricana.
- La fierté, tu n'en auras pas plus dehors. Et de la liberté encore moins ! Tu te feras exploité jour et nuit, et pour tout ça pour quoi ? Des cacahuètes !
Il marqua une pause. Il attendait une réponse qui ne vint pas. Alors il insista.
- Ici, on peut se permettre de ne rien foutre de la journée. Y a juste à répondre présent à l'appel du matin et à celui du soir et puis voilà. Personne te fera chier. Ici, on est logé, blanchi, nourri. On a même pas besoin de penser, la télé le fait pour nous.
Arcole n'écoutait plus. Il pensait à ce qu'il trouverait dehors. Au fil des mois, il avait oublié peu à peu le monde qui l'avait vu libre. A présent, il ne lui restait que quelques détails. Une odeur, un frisson de brise, le rire d'un véritable ami. Cependant, à mesure que sa mémoire s'amenuisait, son imagination se déployait et repeuplait de plus belle ce monde égaré. Une larme monta à hauteur de son oeil tuméfié.
Les lumières s'éteignirent. L'heure du coucher. Il se glissa dans ses draps. Wagram n'avait pas tout à faire tort. Mis à part la liberté, l'on était privé de rien dans cette prison. Le matelas était moelleux et les draps lavés chaque jour. Mais Arcole haïssait le comfort. La liberté, il n'y avait qu'elle qui pouvait compter à ses yeux.
A quatre heure, Arcole rouvrit les yeux. Il se glissa hors de son lit et déroba le paquet de chips échoué au pied de celui de Wagram. Quelques chips dépassant du pas de la grille suffirent à attirer le chien de garde. Lorsqu'il fut assez près, Arcole lui déceintura son collier et se servit du cran de la boucle pour crocheter la serrure. Une fois dans le couloir, se dirigea vers le garde roupillant. Il lui retira son badge, sa casquette et la veste qu'il avait laissée sur le porte-manteau.
Il passa le couloir A sans encombre, puis le B, descendit l'escalier du premier étage, longea la coursive du bloc 8, traversa le réfectoire désert puis sortit à l'air libre par les cuisines. L'air bleuté de la nuit lui caressa le visage. Il remplit ses poumons de ce parfum d'espoir et s'approcha de la clôture.
Il dégaina un cutter qu'il avait emprunté aux cuisines et commença à découper les fils entremêlés. Mais au fur et à mesure de sa progression, quelque chose clochait. Il se retournait sans cesse, afin de voir si personne ne le suivait. Pas un chat. Il avait presque terminé. Son coeur s'était mis à battre férocement à l'intérieur de sa poitrine. Il touchait au but. Le but final. Après tant de mois. Le bout de grillage tomba au sol, réveillant au passage une légère nuée de poussière. Il resta là, pantois. Il se murmura à lui-même.
- Plus qu'un pas et je suis libre.
Le silence de la nuit avala ses mots.
Il se racla la gorge et répéta à voix haute.
- Plus qu'un pas et je suis libre.
Son coeur se mit à tambouriner encore plus fort. Il ne pouvait résister à tant de tension. Le plaisir de sentir la victoire au bout des doigts. Il fallait qu'il crit son bonheur au monde. Tout de suite ! Maintenant !
- PLUS QU'UN PAS... ET JE SUIS LIBRE !!!
Cette fois il s'était mit à hurler. Les projecteurs de la prison s'allumèrent un à un. L'alarme rententit peu après.
Arcole passa à travers le trou et se mit à courir comme un dératé.
- Vous m'attrapperez jamais ! Jamais !
Les portes du pénitentier s'entrouvrirent pour laisser passer les phares d'une jeep avec quatre hommes à son bord. L'évadé fut rattrapé au bout de quelques centaines de mètres.
De retour dans sa cellule, un cocard au deuxième oeil en sus, Arcole se glissa dans son lit. Son coeur s'était remis à battre normalement mais il tremblait encore de toute l'adrénaline que son cerveau avait libéré. Il avait goûté à la liberté l'espace de quelques secondes. Il avait eu sa dose.
S'il y a une chose qu'Arcole n'avouera jamais, pas même à lui-même, c'est qu'il était bien dans cette prison. Pas heureux, non, mais bien.
Pas de prison, pas de frisson.
- Bon, demain. Demain, je m'évade pour de bon.
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