Foi de pierre ?
L’adolescent lorgne avec crainte les sculptures impies qui parsèment les murs de pierres veinées de noir.
Il réprime un sursaut d’inquiétude à chaque fois que l’une d’entre elles explose en morceaux, sous l’action de la grosse masse maniée par l’un des paladins.
Il observe une statue d’une sorte de chien à bec de canard être massacrée, quand une main ferme se referme sur son épaule.
« Tu as peur qu’elles s’animent et nous attaquent, ou quoi ? »
L’adolescent se tourne vers le général dont il a été chargé d’être l’aide de camp.
« Non… C’est juste que… Cet endroit me met mal à l’aise… »
« Je peux comprendre… Mais ne t’inquiète pas, on va le détruire entièrement ! Bientôt, la Lumière va pouvoir briller pleinement sur ces terres ! »
Là-dessus, il encourage le jeune homme à s’écarter, afin que lui et ses soldats puissent continuer leur ouvrage.
Normalement, son travail consiste à veiller sur le matériel de son supérieur et à en prendre soin, en restant au campement… Mais là, le général lui a ordonné de les accompagner, car il avait jugé imprudent de laisser la moindre personne en arrière, alors qu’ils allaient s’attaquer à un temple censé être gorgé d’hérétique !
Cependant, les lieux se sont révélé n’accueillir qu’une petite quinzaine de pauvres hères, la majorité étant malades, blessé ou étaient des femmes ! Il y en avait même une avec un bébé !
L’adolescent avait rendu le contenu de son estomac quand des soldats étaient passés devant lui, traînant les cadavres de ces personnes.
Le général lui avait tapé dans le dos en riant, non sans commenter comme quoi « les jeunes de nos jours sont si fragiles ! »
Ses pas l’entraînent de plus en plus profond dans le couloir de pierres.
…Il aurait préféré sortir à l’extérieur, pour respirer de l’air frais, mais il n’a aucune envie d’attendre près de la charrette où ont dû être jetées les dépouilles des hérétiques.
Tout autour de lui, les statues impies l’oppressent de leurs regards.
Mais soudain, il tombe en arrêt devant l’une d’elles, alors qu’il sent son sang se geler dans ses veines.
Si haut que son dos est vouté contre le plafond, c’est une énorme masse de fourrure taillée dans une pierre noire, qui lui fait face.
Ses traits lupins expriment une violence primale, avec ses yeux fixes et ses crocs si réalistes que l’on pourrait voir la salive dégouliner entre eux.
Ses mains aux ongles recourbés comme des cimeterres sont plantées dans la roche de son piédestal.
C’est la représentation d’un monstrueux loup-garou.
Son esprit lui hurle, sans aucune logique, de fuir, mais ses jambes flageolantes refusent d’obtempérer ! À la place, elles finissent par l’abandonner.
Il tombe à la renverse, son dos se cognant contre le piédestal de la statue vis-à-vis au Garou…
Il sent vaguement son coude s’écorcher sur le sol dur, mais sa peur irrationnelle l’empêche d’en prendre pleinement conscience.
Mais c’est alors qu’un hoquetement surpris résonne quelque part derrière lui !
Comme dans un rêve il tourne la tête, pour découvrir une statue de femme en robe et encapuchonnée, dont les bras son ouvert… et de derrière elle, le visage inquiet d’une jeune fille, bien vivante, qui en dépasse !
« …Euh… Salut ? » parvient-il à articuler.
« …Salut ? Tu… Ça va ? Tu es… tu ne t’es pas fait trop mal ? »
C’est de manière hésitante et troublé, qu’il porte son coude à hauteur d’œil… il saigne, mais rien de très grave, à priori.
La fille s’extirpe prudemment de sa cachette, tel un petit animal craintif, pour tendre le cou vers l’éraflure.
« … Tu devrais nettoyer la plaie, au cas où… Ma grand-mère faisait ça tout le temps, quand je me blessais. »
« Ah… Merci ? »
« Tu… comment t’appelles-tu ? »
« Clément… et toi ? »
« Rebecca. »
Un silence embarrassé passe.
« Et… que fais-tu ici ? » finit par tenter le jeune homme.
« Mamie m’a dit de me cacher derrière Mahozeur… »
Elle joint le geste à la parole, désignant la statue.
C’est la petite-fille de l’une des hérétiques, réalise soudain Clément, se sentant idiot de ne pas y avoir pensé plus tôt !
« …Comment es-tu tombé ? Tu as trébuché sur quelque chose… ? »
Elle scrute le sol, cherchant sur quoi il avait pu se prendre les pieds…
« Hum… tu vas te moquer de moi… »
Rébecca reporte ses grands yeux curieux sur lui.
« Pourquoi ? »
Il agite vaguement une main vers la statue de Garou, sans la regarder.
« Je… quand j’ai vu cette sculpture, ça m’a rappelé… un mauvais souvenir, disons. »
« Un mauvais souvenir ? »
Elle achève de sortir de derrière la statue, venant s’accroupir à côté de lui, sans s’occuper qu’elle tache sa robe verte dans la poussière.
« Oui, un… très mauvais souvenir… », il baisse les yeux, avant d’ajouter dans un murmure triste, « Je suis devenu orphelin, après qu’un Garou soit passé à la ferme de mes parents… »
Sans avertissement, Rébecca bondit brusquement sur ses pieds, avant de foncer se planter devant la statue lupine, ses petits poings sur les hanches, s’écriant d’un ton accusateur :
« Vilain Behemaroth ! Vous êtes censé envoyer vos serviteurs qu’aux gens méchants ! »
C’est un spectacle presque comique de voir ce minuscule bout de fille houspiller ainsi un pareil monstre de pierres !
Quand elle se retourne de nouveaux vers Clément, elle bredouille avec embarras :
« Behemaroth est le dieu créateur de la faune et protecteur des chasseurs… Mais les histoires le dépeignent souvent comme peu attentif à ce que font ses enfants… Cela ne changera probablement rien, surtout venant d’une inconnue comme moi, mais… Je te présente mes plus sincères condoléances. J’espère que tes proches reposent en paix. »
Le jeune homme se sent au bord des larmes.
On lui avait toujours dit que le sort de sa famille était une épreuve que la Lumière avait décidée pour lui et qu’il ne devait pas lui faire honte en pleurant… Et personne n’avait jamais eu une pensée pour ses parents qui ne soit pas une rapide prière parmi tant d’autres…
« …Ma grand-mère disait souvent que quand on est triste, il faut faire un câlin à la statue de Mahozeur. C’est la déesse maternelle des repos et du réconfort, tu sais ? »
Clément jette un regard interrogatif à la sculpte, sur le piédestal auquel il est appuyé.
C’est vrai que ces bras ouverts ont un air accueillant…
Mais il ne peut s’empêcher de répondre, plus durement qu’il ne l’aurait voulu : « …Les prêtres disent qu’il n’existe que la Lumière, comme vraie religion… »
Pourtant, étonnement, Rébecca ne se fâche aucunement face à cette remise en question de ses croyances, haussant simplement les épaules placidement.
« Chacun est libre de croire ce qu’il veut, non ? »
Là encore, c’est la première fois qu’il entend ce genre d’idées !
C’est alors qu’il se rappelle la présence des militaires et des paladins plus loin dans le couloir.
« …Les soldats du culte ne devraient plus trop tarder. Tu… S’ils te trouvent… »
Elle lui adresse un sourire mi-réconfortant, mi-candide.
« Ne t’inquiète pas ! Mahozeur a une petite cavité dans son dos. Ils ne m’auront pas ! »
Sur ces mots, elle lui esquisse un ultime salut de la main, avant de se faufiler de nouveau derrière la statue de la déesse.
Clément se redresse maladroitement sur ses pieds, hésite un instant, puis remonte le couloir, jusqu’à retrouver les soldats, qui poursuivent inexorablement leur tâche de destruction.
Ils lui paraissent moins nobles à présent…
Le général l’avise du coin de l’œil, mais ne dit rien, ne devinant évidemment pas tous les doutes qui habitent l’esprit du jeune homme.
Clément vient s’asseoir à même le sol, près de la sortit du temple souterrain.
Une mauvaise odeur de décomposition débutante y flotte, en provenance de la charrette funéraire garée plus loin… mais il l’ignore. Ces gens sont morts dans une foi qui les rendait heureux, c’est ce qui importe… ou du moins c’est ce dont il se persuade.
Et il ne verra jamais, parmi eux, une certaine robe verte, souillée de rouge.
Annotations
Versions