L’affiche rouge de Philippe Ganier-Raymond

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J’ai seize ans, presque dix-sept ans, je viens d’atterrir dans un foyer, cabossé, et ma vie est merdique au possible. Car d’un coup, tout s’est arrêté, menotté comme un bandit de grand chemin, excès de zèle foireux de flics en mal d’autoritarisme, mon sort à 21 heures un soir de semaine a été réglé par un petit juge, dans un petit box où ne tenait qu’à grand-peine trois chaises et un bureau. On m’a posé bien des questions, auxquelles on n’a de toute façon pas prêté l’oreille, mon sort étant fixé depuis au moins un an. On ne cherchait que le prétexte pour m’éloigner. C’est bien plus tard, en regardant les 400 coups que j’ai compris ce qu’il s’était passé. Saleté.

Mais je suis dans ce foyer désormais. Je suis le seul à faire des études. Que je vais foirer. Trop de temps de trajets (quatre heures par jour), trop d’heures de cours (entre quarante et quarante-deux par semaine), sans compter les temps de « vie » au foyer à savoir faire la popote pour dix personnes deux fois par semaine, plus les devoirs. Le tout en gérant des mecs qui hurlent la nuit, toutes les nuits, qui font conneries sur conneries (j’en ai long comme le bras d’anecdotes toutes plus débiles les unes que les autres, voire flippantes). Pas de fric pour les clopes, pas de fric pour du dentifrice, mais des billets pour aller au cinoche trois fois par semaine. Allez comprendre.

Je me souviens d’essayer, alors que la fatigue m’écrasait, de faire mes devoirs, de rien comprendre à rien. De poser des questions à M. parce que je ne comprenais pas ce que je lisais tout simplement. Il voulait, lui, devenir journaliste, il était plus jeune que moi et déjà une vie de dingue derrière lui. Alors que j’étudiais un texte sur le fantastique, il m’expliquait patiemment les passages sur lesquels j’accrochais. Ma première cibiche a été une Davidoff, partagée ensemble. Et dans les volutes bleues s’élevant dans les rais de lumière, M. me faisait découvrir ce qui le passionnait dans le journalisme d’investigation, cette quête de vérité. Et il me faisait lire ses bouquins. Dont nous discutions ensuite.

M. est parti un jour à l’autre bout du monde, en m’offrant ce livre. Ce petit livre. Qu’il m’avait fait lire et dont nous avions longuement discuté ensemble quelques mois avant. Livre qui fut une claque monumentale. Que je m’explique. Ma famille, lors de la Seconde Guerre mondiale, n’a pas été toujours exemplaire. On dira ça comme ça. Que depuis que je suis tout gamin, j’ai ce truc en travers de la gorge et qui me débecte au plus haut point, et c’est peu de le dire. J’ai lu presque tous les Frisson-Roche, des récits de batailles aussi, beaucoup, soit en Europe, soit dans le Pacifique ou en Russie, et me suis rêvé résistant alors que le Front national montait, que le racisme tuait. Ma vie n’est que refus du refus de l’autre.

Ce petit livre, je l’ai devant moi, là, dans ma main, tout corné, avec un de mes dessins en premières page. L’affiche rouge, écrit par Philippe Ganier-Raymond aux éditions Marabout Histoire. Bien lire ce qu’il y a écrit sur la couverture : « Juifs, étrangers, communistes, ils furent les premiers résistants – La vérité sur les partisans sacrifiés ». Tout y est dit, synthétisé. Âpre et sans détour. Et l’image de Marcel Rayman, dont le photographe a demandé que l’on remonte l’écharpe pour que ne se voie pas les traces de torture…

Ce livre m’a accompagné pendant des années, lu et relu. Je pensais, naïvement sûrement, être un des rares à savoir que des étrangers, qui avaient fui les pogroms, ces massacres antisémites, s’étaient réfugiés en France, pays des Libertés pour y combattre. Avant les Français. J’ai un livre de photos à la maison, rare, qui montre la réalité de ces pogroms. Crûment. Cette cruauté folle et aveugle des foules abêties. Cette gangrène de la raison qui « autorise » de tuer femmes, vieillards, enfants, tout ce qui est différent parce que différent. Alors, oui, ils savaient. Contre quoi se battre. Et ils y sont allés. Courageusement.

Ce livre est poignant, car il y est raconté la vie d’hommes et de femmes qui malgré leurs doutes et leurs peurs, ont su se révolter contre la barbarie. Et de savoir que Marine Le Pen veut être présente pour l’intronisation de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon, me révolte. Parce que pour eux, ces xénophobes, ces racistes, ces antisémites, le boulot n’est pas fini. Et qu’il le reprendrait bien volontiers. « Putain d’enculé de fascistes ! » Underground – 1995 - Emir Kusturica

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