Samantha devait prendre une décision rapide : suivre le Baron ou retourner sur ses pas pour se renseigner sur la disparition de Brorel. Le son décroissant des pas du Baron dans le couloir acheva de la décider.

La guerrière se recoiffa rapidement, attacha ses ballerines à l'aide de rubans avant de déchirer sa longue robe de bal. Enfin elle tira sa bague pour être prête à combattre.

Sans attendre, elle diminua la distance qui l'éloignait du suspect. Le couloir mal éclairé emprunté ordinairement par les domestiques menait à une porte de bois que l'homme avait laissée entrouverte.

Samantha plaqua son dos contre le mur et glissa une oeillade prudente à l'extérieur. Le Baron de Rochelles parlait avec un homme qui lui ouvrait la porte de sa voiture. Elle tendit l'oreille, concentra ses sens magiques sur la conversation pour tenter d'en saisir quelques mots.

• Elles sont arrivées à la capitale, disait l'homme de main.
• Où ?
• ... magique.

Ils se turent et la princesse retint sa respiration. Le faible murmure lui semblait un fracas assourdissant. Les regards des complices se tournèrent vers elle et son rythme cardiaque s'accéléra. L'avaient-elle remarquée ?

Un bruissement de l'eau du Grand Canal qui bordait le rue détourna leur attention. Un caisse dégringola d'une pile et s'écrasa sur le quai avec vacarme. Le remue-ménage poussa les acolytes à quitter les lieux. La calèche tourna au coin de la rue et disparut dans un claquement de sabots ferrés sur les pavés.

Samantha relâcha son son souffle et sortit à l'air libre. Le ciel pur brillait des diamants d'un millier d'étoiles. Pas un nuage n'obscurcissait la toile constellée de points bleutés et brillants.

Sa mission était remplie, en partie du moins. Elle tapota sa boucle d'oreille dans l'espoir de recevoir une réponse.

• Brorel ?

Un mouvement rapide derrière elle la fit surauter. D'un mouvement rapide du poignet, elle fit jaillir son arme et se mit en garde.

• Tout doux, damoiselle elfe.

La voix ne venait de nulle part. Elle ne sentait pas vraiment de présence et ne parvenait pas non plus à localiser un esprit.

• Ici, princesse.

Un courant d'air la fit frissonner. L'inconnu avait parlé dans son oreille. Elle virevolta et plaqua sa dague contre son cou.

Un rire cristallin s'égrena. Samantha raffermit sa prise sur la tunique d'apparat de l'homme qu'elle avait appréhendé.

• Qui êtes-vous ?

Il s'évapora et réaparut à quelques pas, un sourire malicieux sur les lèvres, détendu et les mains dans les poches.

• L'ignorez-vous donc, Samantha ? Je vous croyais plus intelligente que cela.
• Cessez donc de jouer avec mes nerfs et dites-moi plutôt ce que vous voulez.

Le garçon disparut pour se matérialiser assis sur un mur, les jambes pendantes dans le vide. Il l'avait percée à jour. Samantha n'oubliait jamais un visage et elle l'avait déjà vu, l'avant-veille sur le port.

Il surgit devant elle et s'inclina cérémonieusement.

• Aodh Diamondsparkle, pour vous servir, Votre Altesse.

L'Altesse croisa les bras, plus que sérieuse. Elle ne lisait rien des émotions de son vis-à-vis et cette expérience la déstabilisait.

Elle observa avec attention les traits de la fée, scruta ses yeux bruns, examina sa tenue dans l'espour d'y déceler quelque indice sur sa personne.

Il rit encore et le son ressemblait étrangement à celui d'un grelot suspendu aux arbres des temples et agité par le vent du printemps.

Samantha comprit pourquoi on associait les fées à cet instrument dans toutes les légendes qu'elle avait pu dévorer à l'Académie.

• Que veux-tu donc, Diamondsparkle ?
• Tu ne parviens pas à le lire et cela t'impatiente, n'est-ce pas ?

La guerrière l'ignora.

• Sais-tu que nos mères étaient toutes deux originaires du Sud ? Deux sang-mêlés, mis à l'écart par leur famille : le Sort nous destinait à nous rencontrer, continua tranquillement Aodh.
• Viens en au fait.
• Ah, pas les sentiments ? J'essayerai bien le combat, mais je ne suis pas vraiment en tenue.

Il rit encore, comme s'il venait de faire une blague très drôle. Samantha fut encore perturbée. Elle ne savait plus à quoi s'attendre de sa part. Le fait qu'il n'ait pas l'air menaçant n'en faisait pas un ami.

• Ah oui ?
• Ai-je pensé tout haut ? On dirait qu'il m'entend.
• En effet, j'entend tes pensées, princesse.

La guerrière bondit en arrière, surprise d'entendre la voix du noble jeune homme résonner dans son esprit.

• Arrête tout de suite !

Comprenant le danger, Samantha barricada ses pensées d'une triple barrière mentale, comme elle l'avait appris de son maître de magie.

• C'est mieux ainsi.

Diamondsparkle ouvrit ses propres défenses, exposant ses émotions aux sens de la magicienne, qui n'y releva que de la curiosité, de la légèreté et de la bienveillance. Il lui sembla que ces sentiments camouflaient une tristesse qu'elle n'eut le temps d'analyser.

• Satisfaite ?
• Oui.
• Passons aux choses sérieuses.

Aodh s'approcha de Samantha et la fixa dans les yeux avec gravité.