Chapitre 24 Le Poids du Destin
Sans protester, Samantha suivit Aodh, qui avait attrapé sa main et l’entraînait à grands pas. Il se dirigeait avec une aisance déconcertante dans le labyrinthe de couloirs, d'escaliers et de pièces de la Tour.
Plusieurs fois, elle trébucha sur une arête de pavé, mais le garçon l’empêcha de tomber sans ralentir sa marche. Il s’arrêta brusquement devant la porte d’un bureau. D’un poing assuré, il frappa deux coups.
- Entrez, fit une voix grave.
Avec assurance, la fée entraîna Samantha dans la pièce. Le général de Freewood se tenait debout devant une table encombrée de parchemins et de grimoires anciens. À l’entrée des visiteurs, il jeta un coup d’œil inquiet au vieil homme assis dans un fauteuil.
- Général, Arthur, il est temps de vous expliquer avec Samantha, déclara Aodh sans préambule.
La guerrière reconnut en un éclair le Premier Mage du Royaume. Elle ne l’avait jamais rencontré en personne, mais elle l’avait aperçu à plusieurs reprises. Un peu mal à l’aise, en contraste avec son assurance habituelle, elle regarda Aodh d’un air suppliant, ne sachant pas par où commencer.
Whithall se leva, la jambe un peu raide. Il passa la main dans sa barbe poivre et sel bien soignée et fit un pas en direction de la jeune femme.
- Votre Altesse Aralei, je suis enchanté de vous rencontrer en personne. Maître Elowen Ravenshade m’a beaucoup parlé de vous et de vos aptitudes naturelles pour la Sonsensia.
La princesse attrapa la main tendue avec obligeance et s’inclina légèrement, les joues teintées d’une discrète teinte rosée.
- Maître Elowen a toujours été ma professeure favorite. J’espère qu’elle se porte bien.
Le magicien inclina la tête d’un air sympathique.
- Elle se porte comme un charme.
- Je ne crois pas que nous soyons ici pour échanger politesses et potins, intervint Aodh d’un ton irrité.
- Calmez-vous donc, jeune homme, le rabroua doucement le vieux magicien.
- Non, je ne me calmai pas ! Enfin, c’est absolument inconcevable d’entraîner quelqu’un dans une quête dangereuse, Héros de la Promesse ou non, sans mettre auparavant ladite personne au courant de ce à quoi elle s’engage !
- Je ne sais pas si tu te rends vraiment compte de la responsabilité qui nous incombe, Aodh, soupira Brorel.
Il décoiffa ses cheveux dans un geste irrité et tenta de se calmer.
- Non, je ne comprends pas et je ne veux pas comprendre ! Tout ce que je sais, c’est que vous avez mis l’une des nôtres en danger, et je ne l’accepte pas !
- Pardon ? explosa Brorel, ordinairement calme. C’est justement pour la protéger que nous avons pris cette décision !
Whithall suivit l’échange d’un regard acéré.
- Calmez-vous, jeunes gens. Des décisions ont été prises, qui semblaient être les meilleures sur le moment. Aujourd’hui, il s’avère que ce n’était pas le cas. Vous avez toutes mes plus sincères excuses, Samantha.
La jeune femme se pinça l’arête du nez et prit le temps de réfléchir.
- Je ne comprends ni de quoi vous parlez ni ce que je suis censée faire. Je suis fatiguée, une armée de trolls se bat dans ma tête, et vous autres me parlez de secrets que je dois ou ne dois pas savoir. Quelqu’un peut-il au moins avoir la décence de m’expliquer de quoi il s’agit ?
Ces paroles imposèrent le silence aux trois hommes. Aodh ouvrit la bouche d’un air idiot, prêt à avaler des mouches. Brorel se frotta nerveusement les mains. Quant au mage, il parut pensif et sembla réfléchir aux paroles qu’il devait prononcer. Le regard lourd qu’Aodh posa sur lui ne le perturba absolument pas. Il lissa machinalement sa barbe déjà parfaitement en ordre.
- Je suppose que nous devrions commencer par le début.
La fée, visiblement incapable de contenir ses émotions, éclata d’un rire strident au son duquel Samantha sursauta.
- C’est une bonne idée, railla-t-il.
D’un geste impérieux, Whithall lui imposa le silence.
- Jeune homme, je tiens à vous rappeler que vous n’êtes pas ici chez vous. Veuillez respecter les convenances et baisser d’un ton.
- Respect ? Vous osez me parler de respect quand vous vous permettez de contrôler sans vergogne la vie d’innocents ?
- Aodh. Pour la dernière fois, taisez-vous.
Samantha assista à cet échange sans guère de réaction. La lassitude plombait ses paupières. Elle croisa le regard de Brorel, qui se mordait la lèvre avec inquiétude. Elle ferma les yeux pour tenter de contenir toutes les émotions qui lui parvenaient en même temps : la colère d’Aodh, l’inquiétude et le remords du général.
La guerrière fronça les sourcils. Elle ne ressentait rien de la part du mage. Les habituels sons, couleurs et formes qu’elle avait appris à interpréter étaient absents. Elle se concentra pour au moins toucher son esprit. Elle s’approcha doucement. "J’ai besoin de savoir." Mais elle se heurta à un mur impénétrable. La réverbération du choc la fit tituber, et Brorel la rattrapa in extremis avant qu’elle ne s’écroule.
Imperturbable, Whithall n’avait pas bougé. Pourtant, il avait dû sentir quelque chose. Impossible qu’il n’ait rien remarqué. Samantha laissa le général l’asseoir sur un fauteuil dans lequel elle se pelotonna.
- Je vais tout vous dire, prononça enfin Whithall.
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