"Un jour, Cerbère a perdu ses six yeux dans la beauté de l’arc en ciel Bifrost"

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« Un jour, Cerbère a perdu ses six yeux dans la beauté de l’arc en ciel Bifrost »

Quelque part à Kuala Lumpur, Malaisie - Janvier

J’ai quelque chose à te dire

Je ferme les yeux, je me blottis contre la fenêtre froide, le temps est moite. Il s’est passé quelque chose de grave, suffisamment grave pour que Quinto nous appelle. On lui avait dit, on l’avait prévenu. Il va se passer quelque chose de grave, fait attention, hippocampe. Ton arrogance te perdra. Tu te montres trop, tu fais une cible idéale, facile. C’est ton choix, tu es sédentaire, tu es dans l’annuaire, ton nom est véritable, c’est ta vie. Tu ne croyais qu’à moitié nos prédictions, devenue bien plus précise depuis quatre ans. Maintenant, tu as la preuve qu’elles sont vraies, véritable. Tu doutais de nous, de moi ? Mes prédictions de comptoir, je les garde pour mon travail, mon site. Les gens qui font appel  à de la voyance en ligne ne veulent pas entendre la vérité, ils veulent entendre ce qu’ils veulent entendre. Ils ont besoin de quelqu’un pour leur dire que oui, ils ont une vie compliqué, oui ils y arriveront au bout. Ils ont besoin de quelqu’un pour les brosser dans le sens du poil, de leur redonner confiance en eux. Au final, l’astrologie, c’est comme la psychologie. Il faut une capacité d’écoute ou de lecture pour entendre et détecter. Ma déontologie personnelle fait que je les renvois vers un ou une professionnelle lorsque j’arrive à lire entre les lignes que ça ne va vraiment pas , que c’est grave. J’ai été comme eu à une époque. Avant que tu me trouve, Lumière, Soleil. Shaam. Tu te faisais encore appeler Moon à l’époque. Oxymore pour quelqu’un au prénom aussi lumineux et solaire que le tiens. Tu tempête calmement, autre oxymore, au téléphone. Tu répètes qu’il faut faire attention, que ce n’est pas fini, que ce n’est que le début. Il me vient une question. Est-ce judicieux ? C’est pour ça qu’il faut que je te parle, Shaam. Mon amour.

J’ai quelque chose à te dire.

La conversation se clôt, enfin et je n’ai pas quitté ma place, ici, au milieu des coussins, mes yeux se sont rouvert. Je ne la quitte pas en général, je ne sors presque pas, pas le jour, j’ai trop peur. Je préfère la nuit. Et puis, je ne me sens chez moi nulle part, c’est mon insécurité, elle me fait vivre. Toi, tu es un enfant du monde, tu es chez toi partout. Un quart aborigène, un autre quart anglais et une moitié berbère. Cette moitié, tu la tiens de ta mère et, te sachant désavantager dès le départ, elle t’a tatoué. Peut-être pas exactement dans les traditions mais c’était plus de la superstition de sa part, tu m’as dit un jour. Deux traits sur ta joue gauche, qui intrigue tes interlocuteurs. C’est pour la dualité. Une lune au niveau de ta tempe droite,  le soleil sur la tempe gauche cachée par tes cheveux en pagailles pour la vie et la mort et l’absolu. Ceux-là, il n’y a que moi qui les vois lorsque je t’ébouriffe les cheveux. Reste les deux carrés superposés du combat de Dieu et de la malédiction. Tu es un livre à toi tout seul, mon Shaam. Je te sens te glisser derrière moi, je me colle contre ton torse en silence.

-          « Pourquoi est-ce qu’il nous appelle à deux heure du matin ?

-          Il vient de se lever, lui. Parait-il qu’à partir de maintenant, il écoutera avec attention nos recommandations. Que ça ne peut plus continuer comme ça, que ça a blessé Evangeline, qu’il a promis de la protéger et qu’il ne peut pas mourir ainsi, que ce serait trop bête. Il m’est d’avis que le ronflement que j’entendais à côté de lui a dû aussi peser sur sa décision. Il demande aussi si on ne veut pas aller faire un tour à Paris, juste au cas où. Je pense qu’Ephkaïa a râlé de notre silence radio.»

La surprise doit se lire sur mon visage parce que tu pouffes de rire derrière moi. Quinto. Nous écouter. En quinze ans de collaboration, c’est bien la première fois que ça arrive. Combiné au fait qu’il ait trouvé quelqu’un qui est capable de le supporter sans vouloir l’assommer au bout de trois heures. Je veux bien rencontrer cette femme, elle a toute mon admiration. Ephkaïa est mise de côté, c’est bien la seule à avoir, du haut de ses soixante-quinze ans, un peu d’autorité sur l’énergumène. Mais la femme « ronflement », elle, elle m’intéresse. Je suis prête à commérer et à dévoyer notre capacité pour savoir à quoi elle ressemble. Je veux voir cette force de la nature. Peut-être même qu’elle entendra le son de ma voix avant la sacro-sainte limite des deux semaines. C’est le temps qu’il me faut en général pour pouvoir discuter de futilité avec un ou une inconnue fraichement rencontrée. Sinon le silence. Nous sommes les Dreamcatchers du groupe, nous attrapons les fils du futur et du passé dans nos rêves communs. Avant, je te tenais difficilement la main dans notre sommeil, nous ne contrôlions absolument rien du flux d’information, nous mettions énormément de temps à les décrypter pour les rendre utilisable et les rêves tenaient plus du cauchemar. Maintenant, c’est bien différent. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut que je te parle.

J’ai quelque chose à te dire.

Je boude à la moquerie, tu déposes tes lèvres dans mon cou, attisant un frisson à fleur de peau. Tu viens souffler dans mes longs cheveux noirs crépus, nos peaux sombres contrastent dans le faible éclairage de la nuit. La pluie bat encore sur le carreau de la vitre. Tu m’aimes, je t’aime et depuis quatre ans, nous avons passé un contrat. Nous ne sommes plus des enfants, nous arrêtons de fuir, de nous fuir, de nous préserver par le mensonge. Je te l’ai prouvé, je ne suis plus aussi peureuse et fragile que lorsque tu m’as sauvé, lors de notre première rencontre. Je sais ce que je veux et je compte l’obtenir. Tu deviens plus joueur, tes mains se font plus baladeuses, je murmure un petit « Hey » bien anglais. Écoute-moi, s’il te plait. J’ai quelque chose à te dire et il n’y aura pas de meilleurs moments. Tu n’as pas l’air de savoir, nous n’avons pas rêvé de ça et les quelques voix d’outre-tombe qu’il t’arrive de capter bien malgré toi de temps à autre n’ont pas l’air d’avoir vendu la mèche. Tout va vite pour capter ton attention, je me retourne, je te pousse dos à notre nid de coussin dans une chute étouffée.

« Shaam. »

Tu arrêtes de jouer, de rire. Tes yeux dépareillés prennent leur air sérieux et c’est comme ça que je sais que tu m’écoutes enfin, sans amusement. J’amène une de tes mains sur mon ventre….

I have something to tell to you.

I’m pregnant.*

___________________________________________________________________

* J'ai quelque chose à te dire .

Je suis enceinte.

 

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