Affinage en cave
Il fallait que je déplace mon attention. Chasser la terreur par omission.
J’avais tenté de me projeter dans de verts pâturages, j’avais suivi des yeux un trop court instant la trajectoire d’un papillon aux ailes tachées de jaune. Puis voulu à toutes forces sentir les doux effluves de la terre et de l’eau. J’aurais tant aimé la douceur d’une partie de campagne. Mais toute image de nature se refusait à moi. Je cherchais Renoir, je retombais toujours sur Tarantino, sans l’humour.
Sur le sol glacé, ma permanente avait fini de défriser dans mon sang.
Mes poignets me faisaient souffrir, il avait serré à m’en faire péter les os. Je remuai les mains pour rétablir la circulation. Du bout des doigts de la main gauche, je frôlai le tissu qu’il avait garrotté dans mon dos, autour de mes poignets. À première vue, un de ces vieux chiffons qui traîne dans les ateliers d’hommes, une étoffe grossière pleine de trous dans lesquels mes doigts se prenaient.
Me concentrer.
Une trame irrégulière et lâche, plutôt fine, presque…ouvragée dirai-je. D’un coup, un fil, très mince et très seul, suspendu au milieu d’un petit précipice, entre deux rives de tissu. À ses côtés, un nœud, deux, une série de boucles dures sous l’ongle, granuleuses sous le bombé du doigt. Puis une texture resserrée, donnant de l’épaisseur à la structure. Entre le pouce et l’index, un petit millimètre je dirais. Une trame dense qui dessine des motifs trilobés en pointe, je crois que Manotte appelle ça des bouclettes. Un ancien couvre-lit ?
Quand le grincement métallique résonne dans la cave, que l’ombre immense du salopard et de son couteau se découpent en noir sur le rectangle de lumière, je sors de mes observations en lâchant un cri que mon bâillon étouffe. Le pire, c’est peut-être que je ne comprendrai jamais le sens de tout ça.
Tandis qu’une sueur froide me trempe, je fixe l’inconnu. Je sais qu’il va me priver de ma courte vie, et qu’il ne fera pas dans la dentelle.
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