10 Juin 2054 – 11h31 – Toulouse – France

Dans une petite maison aux briques rouges, des rires et des cris d’enfants, des tintements de verres qui s’entrechoquent et de doux accords de guitare viennent troubler la quiétude habituelle du petit quartier pavillonnaire. Le soleil a déployé ses plus beaux rayons et la chaleur est au rendez-vous pour ce jour exceptionnel : le premier anniversaire d’Adriana, la fille d’Anna et Margaux. Pour l’occasion, c’est toute leur famille qui a fait le déplacement. Après 8 ans de vie commune dont 6 ans à enchaîner les rendez-vous pour enfin avoir un enfant, les deux femmes savourent cette victoire.

- C’est fou comme elle te ressemble cette petite ! Lance Marie, la mère de Margaux, à Anna. C’est ton portait craché !

Anna sourit les yeux plein de fierté. Il est vrai qu’avec ses grands yeux bleu, ses cheveux blonds qui commencent déjà à boucler et ses traits fins, Adriana à tout de sa mère. Avec Margaux, elles s’étaient mises d’accord très rapidement sur le fait que ce serait Anna qui porterait l’enfant. A vrai dire, Margaux était presque soulagée de ne pas avoir à tomber enceinte. Avec son métier d’hôtesse de l’air, il lui aurait fallu abandonner son cher avion dès les premiers mois pour être reléguée au sol et elle n’en avait guère envie. Pour Anna en revanche, tomber enceinte était en première position dans les rêves de sa vie. Ingénieure au Centre National des Études Spatiales, appelé le CNES, l’équivalent français de la NASA, elle avait pu mener sa grossesse à terme tout en continuant de travailler. Maintenant, depuis la naissance d’Adriana, il faut jongler entre les différents plannings et les horaires farfelues des deux jeunes mamans. Heureusement, elles peuvent compter sur Marie. La mère de Margaux habite à deux pâtés de maisons et elle leur sauve régulièrement la vie, quand à la dernière minute, l’une doit embarquer dans un avion et l’autre se rendre d’urgence à l’agence spatiale.

Mais aujourd’hui, tout le monde est réunit autour de la petite fille.

- Passes-moi donc ma petite fille que j’en profite un peu ! Hein Adriana ? Tu viens avec Papi ? Adriana tend les bras avec un grand sourire montrant ses deux toutes petites dents de devant qui viennent à peine de sortir. Joël, le père d’Anna aimerait pouvoir voir plus souvent sa petite fille. Mais lui et sa femme habitent en Bretagne… soit à environ 8h de route de chez Anna et Margaux. Alors pour se rattraper, il l’a couverte de cadeaux et s’amuse à la faire tourner dans les airs.

Alors qu’Anna retourne vers ses sœurs pour continuer leur discussion, Margaux accourt vers elle, un téléphone à la main.

- Anna ! Le CNES t’appelle ! Alors qu’elle lui tend le téléphone, Anna voit dans les yeux de Margaux la déception qui s’installe. Elle le sait déjà. Le CNES n’appelle pas pour souhaiter un joyeux anniversaire à leur fille. Mais plutôt pour qu’Anna rejoigne l’agence en vitesse pour une urgence qui ne peut pas attendre.

- Oh non pas aujourd’hui… Le sourire d’Anna s’efface instantanément de son visage. Elle adore son travail, mais aujourd’hui, c’était leur jour en famille. Elle soupire et prend son téléphone. Margaux regarde sa compagne. Au début le regard lasse, il trahit rapidement l’incompréhension d’Anna face à son interlocuteur. « Ralentit je comprends rien dis-moi ce qu’il se passe ! Fred mais dis moi ! Ok bon j’arrive... ».

- Margaux je… Je dois y aller maintenant… ! Il… Il se passe quelque chose d’incroyable apparemment mais j’ai rien compris… Il arrêtait pas de dire que je devais venir immédiatement, que c’était incroyable… J’ai rien compris… Il m’a dit de te dire de rentrer et de regarder la télé… Mais sa voix était bizarre… Je… Bon j’y vais… Je t’aime. Je vous aime. Margaux regarde Anna. Ses grands yeux bleus sont remplis d’incompréhension et même pour la première fois, d’appréhension. Elle voudrait la retenir.

- Anna… ! Mais Anna est déjà partie en courant dans sa voiture. Une demi-seconde plus tard, la petite twingo rouge démarre au quart de tour faisant sauter les graviers.

- Mais… C’est Anna qui s’en va comme ça ? Il… Il y a un problème ? Demande Marie.

- C’est le boulot… Je sais pas elle ne sait pas… Mais ça a l’air important… Je ne l’ai jamais vue partir aussi rapidement…

- Qu’est-ce qui peut être plus important que l’anniversaire de sa fille ?!

- Maman tu sais très bien que nos métiers c’est comme ça. On nous appelle et on doit y aller. - Oui enfin bon quand même !

- Mais c’est bizarre… Elle m’a dit de rentrer dans la maison et d’allumer la télé… J’espère que c’est pas grave…

- Oh ne t’inquiètes pas pour elle ! Quoiqu’il se passe, s’il y a bien une personne sur cette Terre capable de tout gérer, c’est bien Anna ! Allé viens ma chérie, il est temps que ta fille souffle sa bougie.

Moins de 5 minutes plus tard, Anna arrive à l’agence spatiale de Toulouse. Apparemment ils ont rappelés tout le monde car le parking est plein et que les voitures continuent d’affluer. Le CNES est un gros campus avec plus d’une dizaine de bâtiments où travaillent jour et nuit des ingénieurs, chercheurs, spationautes, biologistes, etc. Anna est spécialisée dans la recherche de la vie extraterrestre et travaille tous les jours en collaboration avec la NASA. En entrant dans son bâtiment, elle est prise d’un mouvement de recul. L’endroit d’ordinaire si calme est métamorphosé. Des tas de gens courent dans tous les sens, certains s’embrassent, d’autres sont paniqués. Elle a la tête qui tourne tant l’endroit ressemble à une fourmilière. Elle manque de se prendre deux gars en costard qui se hurlent dessus, des paquets de dossiers dans les mains. Alors qu’elle se dirige vers le grand escalier de verre qui se trouve devant elle pour rejoindre le bureau du directeur, Fred son collègue arrive en courant, l’attrape par le bras et la tire vers lui.

- Anna tu pars au siège à Paris immédiatement, c’est toi qu’ils ont sélectionnée !! Un avion t’attend sur le tarmac ! Viens vite !

Il a beau être plus petit qu’elle, la force qu’il exerce sur son bras la renverse presque.

- JP est déjà dans l’avion, il t’expliquera ! Allé dépêches-toi !!

Fred l’entraîne par le bras vers le tarmac. Le CNES dispose de son propre petit aéroport et de son propre jet. En temps normal, seul le directeur et quelques hautes personnes du siège ne l’utilise. Depuis 10 ans qu’elle y travaille, Anna n’a jamais vu un seul employé monter dans cet avion. Et aujourd’hui, c’est elle qui y va. Des milliers de questions se bousculent dans sa tête. Il a vraiment dû se passer quelque chose d’incroyable pour expliquer un tel remue-ménage ! Tout en essayant de cavaler aussi vite que Fred, Anna tente d’avoir des informations.

- Putain mais Fred explique moi ! Qu’est-ce qu’il se passe ?!

- Pas le temps Anna ! Dépêches-toi !!

Arrivés sur le tarmac, le calme qui y règne dénote avec l’ambiance survoltée du bâtiment. Seuls les moteurs tournant à plein régime du petit avion aux couleurs de la France empêchent tout silence qui aurait permis à Anna de respirer un peu. Fred la conduit aux marches du jet et lui tend un petit dossier.

- Voilà les toutes dernières données ! Tu les donneras à JP. T’inquiètes il va t’expliquer. Anna c’est incroyable… Tu vas pas en revenir… Toutes ces années… Et on a rien vu avant… C’est incroyable… Je te souhaite bonne chance. Fais attention à toi Anna.

Toujours noyée dans l’incompréhension, Anna embarque dans l’avion. Ses yeux s’écarquillent d’étonnement en entrant dans l’avion. Il ne ressemble en rien aux avions de lignes qu’elle a l’habitude de prendre avec Margaux. L’intérieur de la cabine est remplit par deux grands canapés en cuir bleu marine, une petite table au milieu sur laquelle sont posées deux coupes de champagne ainsi que des amuses-bouches par dizaines. Adossé sur l’un des canapés, le visage plongé dans son dossier, JP, le directeur du CNES ne voit même pas Anna arriver.

- JP ?

Il sursaute, relève la tête et se lève les bras grands ouverts, souriant à pleines dents à la vue de la jeune femme.

- Anna !! Tu es là !! Viens viens assis-toi ! Cap’tain, on décolle !

Anna s’assoit sur le canapé en face de JP, mal à l’aise dans cet environnement qu’elle ne connaît pas.

- Bon tu vas m’expliquer ou toi aussi tu vas m’envoyer vers quelqu’un d’autre qui m’expliquera pourquoi j’ai laissé ma fille souffler sa première bougie sans moi ?!

- Ahahahah. Je te promet Anna, tu ne vas pas le regretter. Le monde entier ne va parler que de toi ces prochains jours. Tu vas être célèbre. Tu vas avoir ton nom gravé dans les livres d’histoires à jamais. C’est toi qu’ils ont choisi. Parce que c’est toi la meilleure Anna.

- Je… Hein ? Je comprends rien JP… Qu’est-ce que je fais là ? Les yeux du directeur brillent comme elle ne les a jamais vus briller.

- Anna… Ouvre le dossier que Fred t’a donné. Et donnes-moi les premiers chiffres qui sont marqués tout en haut.

Anna fixe JP quelques secondes, hésitant entre hurler pour connaître la raison de toute cette pagaille, rire de son étrange agitation ou pleurer devant cette situation incompréhensible. Finalement, elle dégrafe la pochette et en sort la première feuille. Sur l’ensemble de la feuille, une suite de calculs interminables. Les chiffres se mélangent aux lettres dans des opérations démesurées. Tout en haut cependant, six chiffres en gras sont entourés, fluotés, marqués de quatre points d’exclamation.

- Euh… 244800… ?

- Oh putain mais ils ne ralentissent pas. Ça va trop vite !!! Dit JP, se dressant de colère, envoyant valser le reste du dossier.

- Qui ça « ils » ?

- Soit ils vont s’écraser, soit ils vont exploser… A moins qu’ils aient des matériaux qu’on ne connaît pas. C’est pas possible…

- JP ! Qui ça « ils » ?!! Le directeur regarde Anna, presque comme s’il avait oublié qu’elle était là. Il souffle puis se rassoit sur le canapé. Il plonge son regard dans le sien et ouvre la bouche pour lui dévoiler enfin les réponses à ses questions.

- Attachez-vous, décollage imminent. Leur informe le pilote.