Chapitre 4
10 Juin 2054 – 13h48 – Paris – France
Le cortège de berlines s’immobilise devant un grand bâtiment avec d’énormes baies vitrées. Anna n’était encore jamais venue au siège du CNES. Elle n’avait d’ailleurs jamais imaginé à quoi il pouvait bien ressembler.
Sur le parking, que de grosses cylindrées noires avec différents drapeaux de différents pays sur les rétroviseurs. Quelques arbres ajoutent un peu de couleur à ce drôle de paysage ainsi que les lettres bleues « CNES » qui dominent le bâtiment et scintillent au soleil. Devant la porte d’entrée, deux pots de fleurs mal entretenus font office de gardiens, accompagnés par un cendrier qui n’a pas dû être vidé depuis les premiers pas sur la Lune de Neil Armstrong.
En entrant dans le hall d’accueil, Anna, toujours entourée par son armée de bouledogues, est surprise par la luminosité qui contraste avec l’extérieur, plutôt morne. Tout est blanc immaculé et le toit en verre déverse un puit de lumière qui inonde l’intérieur des rayons puissants du soleil. En face d’elle se trouve un gigantesque escalier en colimaçon qui délivre tous les étages. Tout est organisé en rond, les bureaux sur les côtés pour laisser passer la lumière de la verrière. De jolie rambardes en bois délimitent les paliers. Plusieurs petits arbres mis dans des pots viennent compléter ce joli décor.
Sur la droite, derrière un bureau, cachée par un ordinateur et un grand saladier de bonbon, la secrétaire les appelle. En s’approchant, Anna découvre une petite femme toute fluette avec de longs cheveux roux, des yeux noirs en amande et un sourire à faire fondre un glacier. Contre tout attente, c’est avec une voix grave et éraillée qu’elle s’adresse à eux.
- Salut JP tu as fait bonne route ?
- Salut Louise ! Oui nickel merci. Regarde qui je t’amène ! Dit-il en désignant Anna.
- Anna Delcourt ! Quel honneur de vous rencontrer ! Vous n’imaginez pas le nombre de fois que j’ai entendu votre nom ces dernières heures !! J’adorerais vous posez une bonne centaine de questions, mais là on a vraiment pas le temps… Dix fois que Pierre descend pour me demander si vous êtes arrivés ! Peut-être que tu auras le temps de partager une cigarette avec moi un peu plus tard… Si ils te laissent respirer quelques secondes.
Elle éclate de rire tout en se levant en leur faisant signe de la suivre. Louise les conduit dans l’ascenseur. Ils sont un peu serrés avec la garde rapprochée. Étage numéro 12, le dernier étage, salle numéro 8, la dernière salle. Ils n’aurait pas pu faire plus reculé pour leur réunion « top secrète ». Louise a à peine le temps de frapper à la porte que celle-ci s’ouvre brutalement sur un homme brun, trapu, avec des cernes qui descendent jusqu’aux genoux et une petite moustache comme dans les films italiens. A la vue des deux nouveaux arrivants, il fait un grand sourire, dévoilant une dentition quelque peu anarchique.
- Anna !!! Oh Anna te voilà enfin !! Entrez entrez !! On a de nouvelles données depuis que vous êtes partis ! L’équipe de la NASA devrait arriver d’ici trois heures maximum. On va commencer sans eux car on a beaucoup à faire… Et on a peu de temps ! Anna mets-toi à l’aise ma belle, tu veux un café ? Un thé ? Un jus d’orange ?
- Euh… Je veux bien un café s’il vous plait…
Il rit encore une fois devant l’air surpris de la jeune femme. Il faut dire aussi que le débit de parole du directeur est si élevé que si tu te déconcentres ne serait-ce qu’une seconde, tu as déjà perdu la moitié des informations ! Plusieurs personnes sont déjà présentent dans la salle, lui adressant un rapide signe de la main avec de faibles sourires avant de retourner promptement dans leurs calculs et leurs dossiers.
- Louise tu peux apporter un café à Anna s’il te plaît ? Allé on y va. Alors quand vous êtes partis de Toulouse beaucoup de choses étaient encore vagues. Maintenant on a plus de précisions. Enfin, il y a toujours une grande part de mystère… Ahahah… Ce n’est pas tous les jours que des êtres venant d’une autre planète viennent nous rendre visite… Ahahah. En même temps si ils venaient tous les jours, ce ne serait pas le jour le plus important de l’humanité, ahahah, n’est-ce pas Anna ?!
Il ne laisse même pas le temps à la jeune femme de répondre, ni de tenter de poser une seule question ou même émettre un seul son. Il continue, toujours avec un débit digne d’un avion supersonique, en riant tous les trois mots.
- Alors. Ouf. Faut pas que j’oublie de respirer moi aussi. Alors, je disais. On a continuer d’analyser les données, de les suivre, de calculer leur trajectoire et ça y est. Grâce à leur vitesse, leur rayon d’action et leur trajectoire, on sait quand ils vont atterrir… Et où… !
Pierre marque une pause, regardant Anna d’un air énigmatique.
- Et ? C’est où ?
- En France ! Ce sera en France Anna ! Cette fois c’est sûr et officiel ! Ce sera chez nous !! Dans les Vosges. D’ailleurs on part juste après la conférence de presse. Tous les journaux ont été conviés, toutes les télévisions du monde seront là ! Pas de pression hein ! Ahahaha.
- Et euh… Quand est-ce qu’ils sont censés atterrir… ?
- Je m’égare, je m’égare et j’en oublie l’essentiel ! Selon nos calculs, ils devraient atterrir aux alentours de 5h37 demain. Donc on a vraiment peu de temps pour se préparer. De toute manière, toi tu es prête depuis que tu es née ahahah. Donc voilà le programme : la conférence de presse est à 16h pile. On a donc deux heures pour la préparer, mais on a déjà commencé en vous attendant. Pendant ces deux heures, on va revoir avec toi toutes nos données, même si j’imagine que dans l’avion tu as dû lire le dossier de fond en comble. N’est-ce pas Anna ?
- Oui oui, je l’ai lu au moins trois fois.
- Ah je le savais, tu es vraiment la femme de la situation. Après la conférence, départ pour Épinal par le jet qui t’a amenée ici, puis on ira à Aydoilles. On sera au plus près du lieu d’atterrissage. J’espère qu’ils ne vont pas s’exploser sinon on est mal ahahaha. Un camp est en train d’être monté en ce moment même, on y restera et on parlera de la technique d’approche. Il y a également un important dispositif de sécurité qui a lieu maintenant pour éviter toute fuite du lieu d’atterrissage.
- On parlera de la technique d’approche ? Mais on a déjà un protocole strict là dessus… Qu’est-ce qu’il y a à rajouter ?
- Te concernant rien. Mais ce sera pour coordonner toutes les équipes de secours, de police, de communication. Tous les ingénieurs, les scientifiques, les journalistes, la télévision. Tout le monde. La seule qui sait précisément ce qu’elle a à faire… Et bien c’est toi. Bon. Bien entendu, tout ne dépend pas de nous, mais pas mal d’eux… Mais sur le papier tu sais quoi faire.
- Sur le papier ouais…
- Ahahaha le stress du grand jour !! Je te fais réimprimer le protocole si ça peut te rassurer de le relire. Mais JP m’a dit qu’il était ton livre de chevet depuis de nombreuses années !
- Et du coup j’y vais totalement toute seule ? Tu sais aussi bien que moi qu’il y a deux possibilités. Soit j’y vais seule, soit il y a une garde derrière.
- Non on a décidé que tu irais totalement seule. Sauf si ils se montrent menaçants dès l’arrivée ! Je te laisse avec Jill, c’est notre chargée de presse. Elle doit connaître les éléments aussi bien que moi et ensemble, vous allez faire un discours d’enfer ! Je dois y aller, j’ai un appel à passer à la NASA, JP tu viens avec moi. A tout à l’heure Anna !
Jill la trentaine, des cheveux bruns relevés en chignon, remonte ses lunettes et s’approche d’Anna. De petites tâches de rousseur parcourt ses pommettes et son nez pointu. Vêtue d’un tailleur bleu marine, des talons aiguilles qui ferait tomber n’importe quelle personne normalement constituée, elle parvient à peine à l’épaule d’Anna.
- Viens on va aller dans la salle à côté où on sera un peu plus tranquille… Et surtout où on pourra parler sans déranger tout le monde ! Tu as déjà fait une conférence de presse ou pas ?
- Non pas vraiment… J’ai participé à des séminaires mais pas devant la caméra…
- Ok t’inquiètes, tu as juste à faire comme si les caméras n’existaient pas ! Et puis, on va écrire un texte ensemble comme ça, pas de panique. Ça te va ?
- Oui oui.
- La conférence se tiendra ici, dans la salle de presse, au rez-de-chaussée. Je ne suis pas sûre qu’elle soit assez grande pour accueillir tous les journalistes… Mais de toute manière on n’a pas d’autre endroit ! On a décidé d’être le plus honnête possible avec les gens et de leur en dire le plus possible. Sauf le lieu de l’atterrissage évidemment… ! Je te laisse lire ce que j’ai écrit, ce n’est pas très long. Si tu as des modifications, tu me le dis. Et bien sûr, je t’ai gardé un moment si tu veux d’adresser à ta famille.
Anna a toujours du mal à réaliser ce qu’elle est en train de vivre. Tout cela lui semble tellement irréel. Elle devrait être surexcitée, et pourtant elle ne parvient pas à ressentir cet emballement que tout le monde ressent. Peut-être qu’une fois sur le terrain, son esprit se débloquera. Mais pour l’instant, la seule chose à laquelle elle pense, c’est que si jamais la rencontre se passe mal, Margaux la verra mourir en direct.
Jill pose doucement sa main sur son bras et la regarde en souriant.
- Ça va très bien se passer Anna. Prends les évènements les uns après les autres, une étape après l’autre.
Elle rend son sourire à Jill. Cette femme a vraiment l’air d’être une perle de douceur et de gentillesse.
- Oui… Merci…
Anna récupère la feuille du discours et commence sa lecture.
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